Y a-t-il encore une presse au Mali ? En tant qu’acteur majeur du secteur, je me dois de poser la problématique aujourd’hui, compte tenu des nombreuses souffrances auxquelles font face les hommes de médias. Ils sont délaissés au profit d’autres canaux dont les services conduisent souvent à plusieurs conséquences fâcheuses : manque à gagner pour l’Etat en termes de recettes, car ne payant pas d’impôt ; éléments diffusés sans avoir été traités au préalable…
Le constat est vraiment amer. Le phénomène prend véritablement forme sous le régime IBK. Des personnalités du cercle restreint du prince du jour font appel au service de jeunes qui se font remarquer sur les réseaux sociaux. Rapportent-ils du bon ou pas ? Tel n’était pas le baromètre. Il fallait avoir la langue bien pendue et avoir une certaine audience. Des contrats informels sont passés et ces jeunes empochaient des millions pour quelques sorties sur un ou des sujets précis dont l’angle de traitement est probablement défini par le bailleur.
Ces canaux ont contribué considérablement à dégrader les assises du pouvoir d’IBK. Et au moment où le régime s’en rendait compte, il était trop tard. Je le dis car des ministres, à l’époque, ont eu à me faire des confidences, m’appelant parfois à les aider à rectifier le tir. Mais, le coup était déjà parti. A l’époque, le Mouvement du 5 juin (M5) qui venait de prendre la rue avait attiré presque tous les « vidéomen » attitrés du pouvoir. Les engagements qu’ils avaient avec le régime ont été foulés aux pieds. Et ils ont pris position pour les maitres du jour. Ce revirement aussi n’était pas fortuit. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais c’est sûr que nombreux sont ceux qui ont empoché des millions de nos francs pour des services dont le coût n’excède guère 100.000f. En effet, ils ne fonctionnent qu’avec du forfait d’internet.
Le système, permettant d’être riche sans avoir à se tracasser, a enregistré au fil du temps une vague considérable de partisans du moindre effort.
Proches de l’opposition ou de la majorité, les factures étaient alléchantes à condition de veiller au grain, et sortir ainsi les griffes quand une situation défavorable au bailleur se dessinait.
Cette attitude inquiétante qui avait presque asphyxié la presse classique à l’époque a malheureusement évolué après le renversement du pouvoir d’IBK. Ils sont toujours là : activistes, vidéomen…, en un mot les acteurs des médias sociaux qui pourrissent l’atmosphère. Ethique et déontologie sont foulées aux pieds par bon nombre d’entre eux qui n’ont pas de limite dans leur sortie sur telle ou telle affaire ou contre X ou Y.
Et tout ça pour quel résultat ? Dégâts considérables dans les rapports humains et climat délétère entre le Mali et d’autres pays à cause des idées incongrues qu’ils accouchent à longueur de journées sur les réseaux sociaux.
L’illustration la plus récente, c’est l’affaire des 49 militaires ivoiriens arrêtés au Mali. Leur maladresse avait atteint un niveau inquiétant au point de pousser les autorités à convoquer les associations des médias et autres au département de la Communication, afin de demander aux uns et aux autres de jouer la carte de l’apaisement.
Ce qui est bon à dire et écœurant, c’est que plusieurs vidéomen sont entretenus par des personnalités de la transition. Et à chaque fois qu’une situation se présente, elles donnent la primeur de l’information aux animateurs des réseaux sociaux qui en font leurs choux gras.
Et nous les hommes des médias classiques ? Nous sommes de nos jours des parias de la société. Notre métier n’a plus sa valeur. Au lieu d’être le quatrième pouvoir, il a perdu toute son influence. Les journalistes vivent dans des conditions pitoyables. Ils ont du mal à faire face aux dépenses familiales et leurs entreprises croulent sous le poids des charges. Difficile de payer le personnel, le loyer, les frais liés à l’impression des journaux… Tout cela, pour la simple raison que tous les avantages liés aux contrats que les médias bénéficiaient ici et là ont été presque gelés, sous prétexte que les caisses de l’Etat sont vides. Au même moment, des fonds sont débloqués à destination des acteurs des médias sociaux et autres, en tordant souvent le cou aux procédures en matière de décaissement des fonds publics.
La réussite de toute révolution, de toute transition dépend du degré de contribution des médias classiques. Les journalistes, malgré les conditions difficiles, ont toujours été là lorsqu’il est question d’accompagner l’Etat, surtout en des situations critiques comme celle du Mali.
Alors, il est temps que les autorités de la transition redorent le blason de la presse malienne. Elle fait de belles choses sans moyens. Mettez à sa disposition des conditions minimales, et vous verrez les résultats.
Boubacar Yalkoué
Source: LE PAYS