Cet entretien a été réalisé dans le cadre de la célébration de la deuxième édition de la Journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante, célébrée le 24 janvier de chaque année.
Le Pays : le monde célèbre la deuxième édition de la Journée mondiale de la culture africaine et afro-descendante. Que vous dit cette Journée ?
Fodé Moussa Sidibé : c’est un événement grandiose pour tous les Noirs d’ici et d’ailleurs. C’est important que nous parvenions, d’abord, à nous prendre en charge, sur le plan culturel. Pour ce faire, nous ne devons pas oublier nos frères afro-descendants. Lors de la célébration de notre identité culturelle, nous ne devons pas les oublier.
On parle de culture africaine et afro-descendante. Quelle différence pouvons-nous faire entre les deux ?
Lorsqu’on s’éloigne de notre lieu originel, il va de soi que nous perdions certains éléments de notre culture. D’autres éléments se transforment. Mais il y en a d’autres qui restent permanemment et qui font partie de l’être qui s’éloigne.
Qu’avons-nous gardé de notre identité africaine dont doivent s’inspirer les afro-descendants ?
Il s’agit particulièrement de nos croyances, de notre spiritualité, de nos valeurs sociales, de notre philosophie, de notre vision du monde et de l’univers, etc.
Quelle place la langue et les croyances jouent-elles dans la promotion de la culture africaine ?
Le monde entier veut nous faire comprendre que nous pouvons faire évoluer nos cultures en laissant de côté nos langues. On veut nous faire comprendre que nous pouvons évoluer et promouvoir nos cultures en abandonnant nos croyances, nos spiritualités. Ce qui est quasiment impossible. Le ver se trouve dans le fruit. Aucune culture ne peut se développer sans langue d’expression propre de son identité. Aucune culture ne peut se développer sans une vision affirmée de ses croyances, de sa religion, de sa vision du monde, de sa philosophie, de sa spiritualité.
Nous voulons notre culture, qui est une totalité. On ne peut pas développer une culture en prenant seulement un aspect et vouloir la promouvoir sans pour autant aller à la base de ses fondements.
De quelle base parlez-vous ?
C’est la langue d’expression de nos cultures et les croyances traditionnelles.
Aujourd’hui, sommes-nous loin des afro-descendants ?
Oui ! Assez loin. Il faut affirmer que nous sommes de plus en plus loin de « l’africanité originelle tout comme nos frères afro-descendants ». Ce que nos frères ont perdu en étant éloignés du continent, nous nous sommes arrangés à les perdre, en partie en étant sur place. Cependant, ceux qui ne se disent pas musulmans ou chrétiens sont encore imprégnés de croyances traditionnelles. Ils vivent avec leurs croyances. Ils sont dans le vrai de l’Africanité.
Ceux qui ont pris à leur compte d’autres valeurs telles les religions et les langues importées qui changent complètement la vision de l’individu par rapport à lui-même et au monde ne sont plus dans le vrai. Ils ne sont pas loin de certains afro-descendants.
Donc l’adhésion aux religions monothéistes est en déphasage avec la promotion de la culture africaine ?
Assurément ! On ne peut pas défendre la culture africaine et se réclamer chrétien ou musulman. Je ne peux pas me dire homme de culture malien en étant chrétien ou musulman. On ne peut pas promouvoir nos cultures et rester attaché aux religions importées qui ont pour objectif avoué, la totale destruction de nos religions autochtones et la négation de nos langues.
Dans la même logique, préconiseriez-vous aujourd’hui qu’à la place des balani show qu’on privilégie des manifestations culturelles traditionnelles ?
Je n’ai rien contre les balani show parce que c’est la preuve de la carence de notre politique culturelle et de notre système éducatif qui ignore nos réalités socioculturelles. Comme on le dit, « la nature a horreur du vide ». Quand il n’y a rien comme proposition, on crée. Les enfants ont créé parce qu’on ne leur a rien proposé. Or, la jeunesse aussi bien que l’enfance ne peut pas se faire sans distraction, sans récréation.
Dans nos sociétés traditionnelles, au clair de lune, les enfants s’amusaient bien. Ils avaient leur rythme, leurs jeux qui structuraient leur esprit par rapport à leur environnement.
Pouvez-vous nous citer quelques-uns de ces jeux ?
Il y avait des jeux de cache-cache, de la marelle, la lutte, le kotèba, les contes, des chants et des danses, etc. Ces jeux leur permettaient de se structurer non pas par rapport à un espace inconnu, mais par rapport à leur environnement.
Est-il donc trop tard pour bien faire ?
Non ! Nous pouvons bien réorienter ces balani show si nous voulons bien faire. Pour cela, nous pouvons proposer aux enfants des musiques qui soient de leur terroir, ou tout simplement des manifestations provenant de leur identité. Il faudrait à ce titre mettre nos artistes, nos musiciens, nos artisans… à contribution afin de proposer quelque chose d’authentiquement africain à la place de ces balani show. Mais qui va mener ces réflexions ?
Dans une de vos interviews en 2019, vous aviez déclaré : « s’il y a un champion de la culture malienne, c’est bien Alpha Oumar Konaré et non IBK ». Pourquoi Alpha Oumar Konaré ?
Les raisons sont multiples. De par sa formation universitaire, Alpha Oumar Konaré est un acteur et un militant culturel de premier ordre. Il connaissait bien la culture malienne avant d’être président. Depuis qu’il était ministre de la Culture sous le général Moussa Traoré [deuxième président du Mali indépendant ndlr], il a fait beaucoup de propositions allant dans le sens de la valorisation de la culture malienne. Lorsqu’il a été président de la République également, il a posé des actes culturels sur lesquels nous fonctionnons jusqu’à nos jours.
De quels actes parlez-vous ?
Notamment, de la Rencontre des Chasseurs Ouest-africaine, qui a été l’une des rencontres authentiques de toute l’Afrique de l’Ouest sur la culture authentique de l’Afrique de l’Ouest. Un acte qu’il a posé en 2001. C’est grâce à cette rencontre que les populations ont compris la valeur culturelle d’une confrérie, comme celle des donso, des chasseurs.
À cela s’ajoutent les monuments qu’il a érigés dans les capitales régionales du Mali. Ces monuments sont l’expression de l’identité africaine du Mali. Alpha Oumar Konaré a également apporté sa petite touche à la biennale artistique et culturelle. Mais sous IBK, qu’est-ce qui a été fait pour la culture ? Je ne vois rien.
Seriez-vous donc en train d’attribuer la décadence culturelle du Mali aux présidents qui sont venus après Alpha Oumar Konaré ?
Je ne parlerai pas de décadence de la culture malienne. Elle survit dans certains domaines et dans d’autres, elle brille de mille feux. Néanmoins, cette brillance et cette excellence n’iront pas loin tant qu’on ne tiendra pas compte des deux piliers fondamentaux de la culture : la langue et les croyances.
La langue est le véhicule de la culture. Les croyances constituent le soubassement, le substratum. Il n’y a aucun élément de la culture malienne qui ne soit lié à une croyance, à un aspect de la spiritualité malienne.
Le Ciwara est-il aussi lié à une croyance malienne ?
Le Ciwara est d’abord un élément de la croyance des Maliens. Le Ciwara est le nom d’une société d’initiation malienne. C’est le masque de cette société d’initiation. Le Ciwara est le symbole du labeur, de l’excellence.
Il paraît que ce masque est sexué. Expliquez-nous.
Le Ciwara n’est jamais seul. Il est toujours accompagné. Mais par méconnaissance, on donne un Ciwara à quelqu’un sans se soucier de connaitre le sexe du masque. Pourtant il est sexué. Il y a le mâle et la femelle.
Certes, le Ciwara est le symbole du labeur, mais ce symbolisme n’est pas lié à un sexe. En dehors de tous ces aspects, ce que les gens ne savent peut-être pas et qui est déplorable, c’est le fait que le Ciwara ne doit pas rentrer dans la maison de celui qui prie. Pourtant, c’est toujours une fierté dans notre société.
Pourquoi ce masque ne doit-il pas rentrer dans la maison de celui qui prie ?
Parce que c’est une société d’initiation où on ne prie pas. Certes, il faut promouvoir les cultures africaines et afro-descendantes mais il faut qu’en Afrique, nous apprenions d’abord à nous assumer avant d’appeler nos frères afro-descendants, qui regrettent d’avoir perdu leurs langues et leurs croyances. Au même moment, nous Africains, avons peur de nos religions autochtones que nous contribuons à faire disparaître !
Il faut que nous revenions à l’étude systématique non seulement de nos langues, mais également de nos croyances traditionnelles, de notre religion africaine. Qui veut promouvoir la culture malienne doit nécessairement passer par ces deux piliers fondamentaux.
Réalisé par Fousseni Togola