Bamako News : Comment expliquer la persistance de l’excision dans la société malienne ?
Aly Tounkara : Il faut déjà appréhender le phénomène selon les axes culturels, les croyances et même les rapports vis-à-vis du corps. L’excision est une pratique qu’on peut qualifier de culturelle. Dans le contexte malien, beaucoup vous diront qu’ils la font parce que dans leur ethnie, leur communauté ou leur milieu, elle est pratiquée.
Certains vous avanceront hypothèse selon laquelle l’excision est une forme de purification pour l’être féminin. D’autres pensent que ce serait une recommandation religieuse. Et il ne faut pas oublier surtout les acteurs de l’excision. Ce sont des personnes qui ont la ferme conviction que lorsqu’une femme n’est pas excisée son corps n’est pas purifié.
Donc quand nous sommes déjà dans une telle dynamique de réflexion, naturellement l’aspect traditionnel ou l’aspect médical de la pratique pourrait paraître à leurs yeux comme ridicule, voir absurde. Dans nos différentes localités, nous assistons à une sorte de confusion entre ce qui est de la religion et ce qui est culturel.
Malheureusement, beaucoup de ces pratiques sont antérieures à l’islam et à la polygamie. L’excision a donc succombé au charme de l’islam sans pour autant qu’elle soit un fait religieux. Je pense que cette difficulté à séparer ce qui est culturel de la religion serait la raison. Alors que certains estiment que la pratique toujours sacrée et d’autres la trouvent indissociable de la vie même de l’être humain.
Il faut interroger les niveaux de compréhensions sur la religion et de la culture et surtout cette difficulté que prouve aussi l’état central du Mali à établir un pont entre ce qui est culturel et ce qui est religieux. Nous n’avons pas pu établir un pont qui pourrait réunir ces 3 aspects. D’où toute la difficulté que trouvent les acteurs qui se battent contre la pratique de l’excision, parce que ce sont des acteurs qui revendiqueraient plus l’univers institutionnel que culturel ou religieux.
Malgré tout le danger dont on parle tous les temps, pourquoi l’excision est-elle toujours pratiquée dans certaines localités ?
Ce sont des communautés qui ne croient pas en les conséquences de la pratique de l’excision. Ce sont des communautés qui pensent que vouloir lutter contre l’excision, c’est être à la solde l’Occident. Dans certaines localités du Mali il y a cette crise de confiance entre les acteurs de l’excision et ceux qui revendiquent son abolition.
Du moment où l’interlocuteur a la ferme conviction que tout ce que nous sommes en train de lui dire serait venu de l’Occident ou serait un complot contre l’islam, une façon d’amener les femmes à accomplir le rapport sexuel de manière incontrôlée, tout ce qui sera finalement tenu comme discours contraire ne sera jamais pris en compte. Il faut d’abord dissiper cette crise de confiance entre les deux parties pour éradiquer le problème. Surtout que les cultures sont avant tout une construction humaine. Mais lorsqu’on les conçoit comme une construction divine, quelque chose de sacrée, d’inaliénable, difficile de parvenir à un changement. Malheureusement des gens ont tendance à croire que la culture elle est intacte.
L’excision pourrait-elle être complètement éradiquée dans les jours à venir ?
Quand on fait une analyse de 1990 à nos jours, l’excision a connu un recul même si cela peut paraître lent. De nos jours, beaucoup de milieux ruraux sont contre la pratique. Alors je reste optimiste qu’au rythme de sensibilisations, de communications qui sont faites, un moment donné nous pourrons assister aux funérailles de la pratique de l’excision. Mais il faut du temps, de la pédagogie.
Propos recueillis par Soumba Diabaté
Source: Bamakonews