Elle chantait les valeurs de bravoure, de l’honneur, du travail bien fait, du respect du prochain…
Tôt dans la matinée d’hier, la nouvelle du décès de la grande cantatrice Bako Dagnon s’est répandue à travers la capitale comme une traînée de poudre. La triste nouvelle a surpris presque tout le monde car l’artiste s’était produite en public très récemment à deux reprises à Bamako sans montrer de signe de faiblesse. D’abord le 11 juin au stade Omnisports Modibo Kéïta lors du concert du Centenaire du premier président de la République du Mali, et quelques jours après, soit le dimanche 14 juin dernier, elle anima le Grand prix de la nation au champ hippique.
Dans un communiqué déposé à notre rédaction, la ministre de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme « salue la mémoire de cette grande figure de la musique malienne qui a su mettre son talent au service du rayonnement artistique du Mali et qui fit connaître au-delà de nos frontières, les richesses de la musique traditionnelle du Mali ».
Mme Ndiaye Ramatoulaye Diallo, accompagnée d’une forte délégation, s’est aussi rendue hier matin dans la famille de l’illustre disparue pour présenter ses condoléances. De nombreuses autres personnalités maliennes et étrangères ont tenu, dès l’annonce du décès, à présenter leurs condoléances à la famille.
Née vers 1953 à Kita, Bako Dagnon a émergé dans les orchestres « Apollo » qui animaient les soirées pendant les week-ends. Elle a connu un premier succès en reprenant un morceau très populaire à l’époque, « Le guide de la révolution », sur un rythme de salsa. C’était un hommage aux Pères de l’indépendance de la Guinée Conakry, Ahmed Sékou Touré, du Mali, Modibo Kéïta, et de la Côte d’Ivoire, Félix Houphouët Boigny, à travers leur parti politique le RDA.
Bako Dagnon intégra l’Ensemble instrumental en 1974, au même moment que Souadou Soumano, Djélimady n°1 et n°2, entre autres. Elle décidera de voler de ses propres ailes à partir de 1985.
Son morceau « Tiga mognogo », devenu un tube populaire, lui valut alors un énorme succès au plan national. Dans cette chanson, elle évoque l’arachide, un aliment très prisé des Malinkés, et vante par ce biais, la culture mandingue. « Tiga mognogo » fait les beaux jours de la télévision nationale et son interprète truste toutes les émissions musicales.
Bako Dagnon va franchir nos frontières avec un premier album international intitulé «Sidiba». Produit et managé par Syllard production en France, cet album a valu à la cantatrice une tournée en Europe qui l’a conduite en France, en Angleterre, en Italie et en Allemagne pendant l’été 2010. Les tubes extraits de cet album ont tourné en boucle pendant longtemps sur les radios internationales comme RFI et les chaînes de télévision comme TV5.
« Sidiba », le titre de l’album, et « Ounhoumba » sont des onomatopées qui indiquent le « grand bruit » pour le premier, « l’acceptation » pour le second. Ils sont aussi tirés du répertoire des orchestres « Apollo », à la fois louanges et conseils aux femmes afin de les aider à bien tenir leur foyer. Une femme qui obéit à son époux et sait se réserver a de fortes chances d’avoir un foyer équilibré et des enfants épanouis. Ce sont là des valeurs qui ont fait la force de nos sociétés traditionnelles.
Bako Dagnon était désormais considérée comme une gardienne de la tradition mandingue. Grâce à son sens de l’histoire et de la musicalité, elle a perpétué des histoires séculaires. Dans sa musique, elle alliait la tradition et modernité. Mais pas n’importe laquelle. «Je ne veux pas de mélange qui ne colle pas à notre tradition et qui en dénature le sens, le contenu et même les messages», insistait-elle. Ses chansons sont à la fois des louanges et des conseils. Elles font l’éloge du respect d’autrui, de l’honneur. Bako Dagnon a abordé aussi des thèmes liés aux valeurs comme l’agriculture, la bravoure des paysans. Elle s’est autorisée un tour dans le répertoire bambara avec « Faden Tô » qui traite du respect de la femme d’autrui, de l’honneur.
La musique de Bako Dagnon n’est pas une simple récitation de ses connaissances expertes. Avec sa voix puissante et agile, elle séduit l’audience et communique l’authenticité de sa musique.
Admiratif, notre confrère Africulture écrivait récemment à son sujet : « Par son intensité et sa tessiture, son expressivité et son extrême souplesse, la voix de Madame Bako Dagnon n’a évidemment rien à envier à celles des plus grandes divas de l’opéra occidental, ni d’ailleurs à celles des plus fameuses stars du blues, du flamenco ou de la soul – dont elle se rapproche plus encore par ses formidables facultés d’improvisation ».
Auteur de cinq albums sortis localement, Bako Dagnon s’est fait discrètement entendre au-delà de nos frontières sur l’Electro Bamako (2001) de Marc Minelli, ou sur quelques titres « Kêmê Bourama », « Touramagan », « Naré Maghan » avec le collectif de griots éponyme de l’album Mandekalu (2004), produit par Ibrahima Sylla.
Tout récemment, son titre « Donsokè » (le chasseur en bambara), un merveilleux morceau acoustique, concocté avec la complicité du musicien guinéen Mory Djéli, a achevé de convaincre de l’étendue du talent de Bako Dagnon et de l’héritage qu’elle laisse au monde de la culture qui y retrouvera un concentré de ce qui fait l’âme malienne.
Y. DOUMBIA
source : L’ Essor