Les Maliens serait-ils plus enclins à faire confiance aux Russes en matière de lutte contre le terrorisme ? Une frange de citoyens monte de plus en plus au créneau pour solliciter l’aide militaire de la Russie au Mali, en l’occurrence au centre du pays, où la crise sécuritaire s’est gravement accentuée depuis quelques années. Mais si ces appels du pied au pays du Vladimir Poutine n’ont semble-t-il eu aucun écho au niveau gouvernemental malien, la question devient préoccupante du moment qu’elle implique des aspects qui pourraient conduire très loin dans les méandres des relations internationales et surtout géostratégiques entre États. Quoiqu’une éventuelle intervention « commando » russe en séduirait plus d’un, elle ne serait d’aucune plus-value pour le Mali pour d’autres.
Colère. Le mot pourrait résumer l’état d’esprit des manifestants de Sévaré le mercredi 9 octobre engagés « corps et âme pour le départ sans conditions de la France, de la Minusma et de toutes les forces étrangères » du Mali. À l’appel de la plateforme « Faso Ko », au moins un millier de personnes avait battu le pavé avec des slogans hostiles aux forces internationales intervenant dans la zone. En marge, les messages de sollicitation de la Russie se sont multipliés, à travers notamment des affiches brandies par de jeunes protestataires.
Ce n’est pas la première fois que les Russes sont appelés à la rescousse contre le fléau du terrorisme grandissant au Mali. On se rappelle qu’en 2017 on estimait le nombre de Maliens penchant pour une « solution russe » à plus de six millions.
Malamine Coulibaly, Président de la plateforme « Faso Ko », confirme que les affiches reflètent parfaitement la vision de la plateforme. « Nous soutenons l’idée de l’intervention russe depuis nos actions du mois de juin. Pour nous, c’est un ancien partenariat qu’il faut à tout prix réactiver. Il est vrai qu’il est paradoxal de demander le départ d’autres forces étrangères en lançant un appel à la Russie, mais nous sommes convaincus que la coopération avec ce pays portera toujours des fruits », défend le numéro un de la plateforme, qui réunit plus de 80 associations de la société civile à Sévaré, Mopti et villes environnantes.
Une solution que trouve « à valeur ajoutée négative » Abdoulaye Niang, Directeur exécutif du Centre Sené d’études stratégiques. « Ce que nous pouvons faire, c’est amener la Russie à être plus regardante sur les résolutions concernant le Mali au Conseil de sécurité de l’ONU. Mais dire que nous allons quitter l’esclavage d’une puissance européenne pour une autre n’a aucun sens patriotique ».
« C’est au contraire parce que nous aimons notre pays que nous agissons de la sorte », répond Malamine Coulibaly. « Nous sommes sûrs que la Russie ne peut pas allumer le feu et jouer au pompier. Aujourd’hui, l’armée malienne est démoralisée par la stratégie et la maitrise de la France. Il suffit juste d’un partenaire plus fort pour épauler les Famas et déclencher une réelle riposte contre le terrorisme ».
De faibles chances
Il convient d’abord de s’interroger, selon plusieurs analystes, sur l’intérêt que la Russie aurait à intervenir au Mali. « Est-ce que ce serait une intervention purement militaire, le renforcement en matériel pour l’armée ou encore des formations, sachant que la Russie ne viendra pas chez nous juste parce que le peuple malien est beau ? », questionne Abdoulaye Tamboura, géopolitologue.
Selon lui, La Russie, membre du Comité de suivi de l’Accord et du Conseil de sécurité de l’ONU ne saurait être isolée de l’échec de la Minusma au Mali. « Il ne faut donc pas jeter l’opprobre sur les forces étrangères existantes aujourd’hui. La Russie ne fera pas mieux sur le terrain que la Force Barkhane, parce qu’à part les Américains personne n’a de satellite géostationnaire au Sahara », affirme-t-il.
« Ce sont les Américains qui fournissent les Français en images et en informations satellitaires. La Russie n’a pas cet outil au Mali. Du coup, même si elle intervient, elle serait obligée de coopérer soit avec la France soit avec les États-Unis », ajoute celui qui est convaincu que le pays de Poutine n’a aucunement envie à l’heure actuelle de compter des morts au Mali sans réelle contrepartie en retour.
Même s’il est Dubitatif, le géopolitologue met un bémol, celui d’un possible renfort russe aux forces existantes. « Si cela peut faire du bien au peuple malien, nous aider à lutter efficacement contre le terrorisme et à recouvrer notre intégrité territoriale, cela reste à étudier. Il est vrai que quelque part il faut diversifier la coopération militaire pour que les lignes bougent », nuance M. Tamboura.
D’ailleurs, loin de peindre tout en noir et de rejeter l’option de la rescousse russe au Mali, comme dans les premières heures de l’indépendance, où l’URSS était au premier rang de la coopération internationale avec le Président Modibo Keita, nombre d’observateurs parlent des véritables apports que l’armée russe pourrait concrétiser au Mali.
« Sur le plan militaire, elle reste une puissance tout, comme les États-Unis et bien plus que la France sur la scène internationale. Donc, à ce titre, elle a effectivement les moyens militaires pour former et outiller nos États pour faire face à ce problème du terrorisme, aujourd’hui d’ordre international », soutient un analyste.
Pour Khalid Dembélé, chercheur au CRAPES, la question est tranchée. En aucun cas le Mali n’opérerait une avancée en acceptant une intervention militaire russe sur son sol. « Ce serait juste encore une force étrangère de plus à la quête de ses propres intérêts, pour la plupart inavoués. A priori rien ne changerait pour nous. Ce serait une force étrangère remplacée par une autre. Je vois mal la Russie faire plus que la France tant qu’elle ne gagnera pas quelque chose en contrepartie » avance-t-il.
Manipulations?
L’ampleur de la mobilisation de Sévaré n’est pas passée inaperçue. Au point que d’aucuns y voient d’éventuelles manipulations des populations de la région concernée pour des intérêts sombres qui seraient loin, très loin, de ceux du Mali, en réalité.
« En fouillant, vous verrez qu’il y a beaucoup de cadres maliens qui ont été formés en Union Soviétique et qui, appartenant à une mafia, sont aujourd’hui derrière ces manifestations », accuse Dr. Niang.
« La guerre, peu importe qui la mène, détruit les intérêts des uns et protège ceux des autres. On peut penser aujourd’hui que ceux qui mènent ces manifestations sont manipulés à un certain niveau par les bonnes affaires qu’ils feraient si les Russes prenaient les commandes », fait également remarquer Khalid Dembélé.
« C’est l’État malien la véritable main invisible derrière nous », ironise Malamine Coulibaly. « S’il disait la réalité de la situation à la base, nous n’en serions pas là. Prenez l’Accord, par exemple, nous ne comprenons pas. Celui de défense avec la France est au point mort. Et tous les acteurs que l’État fait intervenir nous font vivre la terreur ici. Au centre tout est bloqué et nous sommes coupés de la vie socio-économique du reste du pays », s’insurge le Président de « Faso Ko ».
Au-delà de l’aspect purement militaire, une éventuelle intervention russe au Mali ouvrirait sans conteste la voie à de fructueuses réalisations économiques. Sur ce point, tous les violons semblent s’accorder : les Russes chercheront à tirer leur épingle du jeu et les intérêts du plus grand pays du monde primeront toujours sur ceux du Mali.
Toutefois, les vrais enjeux de l’heure seraient ailleurs pour Bamako. « Le vrai débat aujourd’hui, c’est comment faire en sorte que l’armée puisse être définitivement reconstruite pour faire face pour de bon à ce fléau qu’est le terrorisme », conclut Khalid Dembélé.
Germain KENOUVI
Repères :
6 millions : Nombre estimé des Maliens favorables à une intervention russe
2017 : Début de l’accentuation des demandes d’intervention russe
80 : Nombre d’associations composant la plateforme « Faso Ko »
4 : Nombre de mois écoulés depuis le début des actions pro russes de la plateforme
Journal du mali