Une photo insolite circule depuis le 7 septembre 2020 sur les réseaux sociaux. Sur cette photo, on aperçoit le Président de la Cour constitutionnelle Amadou Ousmane TOURE et le Président du CNSP Assimi GOITA.
Deux autorités de facto qui s’entretiennent pour quelles missions au nom de la Constitution du 25 février 1992?
Quelles missions constitutionnelles, alors que l’irruption militaire du CNSP dans l’arène politique a finalement débouché sur la rupture de l’ordre constitutionnel, et que le Président de la Cour constitutionnelle est le gardien juridictionnel de la Constitution du 25 février 1992 catégoriquement opposée à toute rupture anticonstitutionnelle !
Mais alors, sur quel fondement constitutionnel? Pour se dire quoi?
UNE CONSTITUTION SUSPENDUE DE FACTO
La photo paraît à priori assez insolite, car l’une et l’autre de ces deux personnalités procèdent de l’anti constitutionnalité résultant de la rupture de chaîne de constitutionnalité, consécutive aux conditions de « démission » du Président IBK et de son effet neutralisant sur l’intérim constitutionnelle de la Présidence de la République.
Le torrent de cette rupture constitutionnelle a emporté l’ensemble des institutions de la République y compris la Cour constitutionnelle et ses Conseillers, laissant toutefois indemne comme en 1991 pour sa spécificité comme en 1991 la Cour suprême qui sort sans dommage de la tragédie institutionnelle.
Il ne sert des lors à plus rien de se voiler la face en se murrant dans l’illusion d’une constitutionnalité inexistante.
LE PRESIDENT IMAGINAIRE D’UNE COUR CONSTITUTIONNELLE FANTÔME FACE A UN CHEF DE L’ETAT PROCÉDANT D’UN ACTE FONDAMENTAL PRIVE DE LÉGITIMITÉ CONSTITUANTE
En fait, Amadou Ousmane TOURE tient la présidence imaginaire d’une Cour constitutionnelle fantôme qui n’a plus aucune place dans l’anticonstitutionnalité ambiante qui règne depuis le 18 août 2020. Elle ne dispose plus d’aucun interlocuteur institutionnel qui soit constitutionnellement légitime. Elle-même ne dispose plus de légitimité constitutionnelle.
Quant au Président du CNSP Assimi GOITA, son autorité résulte également de l’extra constitutionnalité que n’a pu couvrir l’Acte fondamental n°001/CNSP du 24 août 2020 qui en fait le Chef de l’État. Un Acte fondamental qui ne peut de toute façon, servir d’instrument de travail d’un cadre constitutionnel.
La conjonction de ces deux facteurs contribue à percevoir à travers la photo de l’entretien qui circule, les traits d’une République bananière qui semble se préparer doucement mais sûrement à un grand saut dans l’abîme des bricolages juridiques caractéristiques du régime défunt de IBK. Les Maliens se souviennent parfaitement que sur ce registre, Amadou Ousmane TOURE qui a servi au cabinet de Boubou CISSE, n’est pas en terrain inconnu, si l’on s’en tient aux correspondances scandaleuses portant sa signature au crépuscule dudit régime.
Parce qu’il y a rupture constitutionnelle du fait de l’inapplicabilité d’une transition constitutionnelle par procédure d’intérim assurée par le Président de l’Assemblé nationale, la Cour constitutionnelle est rendue de facto, complètement inopérationnelle. Elle ne peut non plus prétexter d’un quelconque Acte fondamental pour se forger un espace de fonctionnalité.
Ce qui revient à dire que la rencontre du Président de la Cour constitutionnelle avec le Président du CNSP ne s’inscrit nullement dans des rapports entre institutions républicaines de ka Constitution du 25 février 1992. L’entretien du 7 septembre 2020 fut donc un tête à tête entre un Président de la République de facto et le Président d’une Cour constitutionnelle de facto.
L’IMPOSTURE JURIDIQUE DE RECONNAISSQNCE PAR LA COUR D’UNE AUTORITÉ ANTICONSTITUTIONNELLE
Supposons le scénario catastrophe d’un Président de Cour constitutionnelle de jure s’entretenant en séance de travail avec un Président de facto inconnu de la Constitution républicaine du 25 février 1991!
On n’ose à peine se l’imaginer dans un contexte républicain. Car, même en concédant par extraordinaire à Amadou Ousmane TOURE et à sa Cour, un statut plus ou moins constitutionnel, la question lui serait posée de savoir pourquoi le Président de la Cour constitutionnelle d’une Constitution du 25 février 1992 déclarée non suspendue et donc applicable, va-t-il s’entretenir avec le Président du CNSP auto proclamé Chef de l’État sans aucune investiture officielle, en vertu d’un Acte fondamental pris dans les secrets du camp militaire de Kati?
Ce n’est pas pour rien que le juge constitutionnel est astreint de jurer de « se conduire en digne et loyal magistrat » en application de l’article 93 de la Constitution relatif à son serment.
Il en résulte que la Cour constitutionnelle assure le rôle de gardienne juridictionnelle de la Constitution.
La Constitution du 25 février 1992 fait en effet de la Cour constitutionnelle à travers notamment son Président, sa gardienne juridictionnelle. Une gardienne qui, en toutes circonstance, a obligation d’assurer sa défense et son respect.
Si tant est que cette mission n’est pas une fiction, par quelle alchimie juridique alors, le Président de la Cour constitutionnelle gardien juridictionnel de la Constitution du 25 février 1992, peut-il traiter en interlocuteur institutionnel légitime, un Chef d’Etat de facto né à la suite d’une rupture constitutionnelle ?
LE PRESIDENT AMADOU OUSMANE TOURE PIRE QUE L’EX PRÉSIDENTE MANASSA DANIOKO?
Comment le nouveau Président Amadou Ousmane TOURE venu officiellement réparer soi-disant les « Manassades » décriées par tous, pourrait-il justifier cet acte posé?
Que vaut désormais pour Amadou Ousmane TOURE, la mission de gardiennage juridictionnel de la Constitution au regard du serment qu’il
a fraîchement prêté au crépuscule du régime de IBK ?
Ces questions interpellent à plus d’un titre les nouveaux membres de la Cour constitutionnelle au regard du peu de considération qu’ils ont pour les obligations de leurs charges. Cette Cour démembrée puis remembrée dans les conditions calamiteuses que lon sait, présente comme nous l’avons déjà soutenu, tous les signaux d’une Cour qui pourrait s’avérer pire que la défunte Cour présidée par Manassa DANIOKO.
En définitive, une Cour née de manière inconstitutionnelle d’une préalable décomposition elle-même anticonstitutionnelle n’est-elle pas condamnée d’avance à la forfaiture?
Dr BRAHIMA FOMBA
ENSEIGNANT CHERCHEUR
UNIVERSITE DES SCIENCES JURIDIQUES ET POLITIQUES DE BAMAKO
Source: Journal le Pays-Mali