Les caisses sont vides !!! Loin d’être une fausse alerte, c’est plutôt à cette sauce que les Ivoiriens ont, toujours, été mangés depuis la nuit des temps.
Bien plus qu’avant, le paysage socioéconomique de la Côte d’Ivoire laisse entrevoir une bien triste réalité. Mais loin d’être l’apanage d’un seul gouvernement, tous les présidents ivoiriens ont connu leur période de vaches maigres. De Felix Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara en passant par Henri Konan Bédié, Guéi Robert et Laurent Gbagbo, la situation économique en Eburnie a connu des fortunes diverses qu’il convient de passer au peigne fin afin de mieux comprendre les choix politiques et économiques de chaque gouvernant.
Les caisses sont vides… mais pas avant le miracle économique d’Houphouët-Boigny
Felix Houphouët-Boigny, le père de l’indépendance ivoirienne qui avait placé l’économie ivoirienne sur une pente ascendante, en réussissant le miracle ivoirien des années 70, n’a nullement échappé à la conjoncture des années 80. Du début des années 1960 aux années 1977-78, la Côte d’Ivoire avait connu une croissance essentiellement liée au boom des exportations du café, du cacao et du bois. Le Produit intérieur brut (PIB) s’était alors accru de plus de 7% par an en moyenne. Mais avec la chute des prix du cacao à près de 40% sur le marché international, l’effet boomerang s’est fait ressentir. Or l’État avait engagé de nouveaux et coûteux chantiers, telle que la transformation de Yamoussoukro, village natal du président Houphouët-Boigny, en capitale politique du pays. Il ne pouvait ni ne voulait revenir sur ses engagements et devait donc trouver de nouveaux modes de financement.
C’est dans ce contexte que les Institutions de Bretton Woods vont imposer leur Plan d’ajustement structurel (PAS) pour éviter au pays une banqueroute. L’ancien premier ministre Alassane Dramane Ouattara est donc envoyé à la rescousse pour mettre en oeuvre de véritables mesures d’austérité. La liquidation ou la cession au privé d’une bonne vingtaine d’entreprises publiques, le gel des salaires et l’arrêt des embauches dans la fonction publique, la hausse des prix des services publics, la hausse des impôts indirects (TVA) et des droits de douane ont eu pour effet une forte contraction de la demande intérieure. Mais la conjoncture était tellement profonde qu’elle a déclenché des grèves dans plusieurs secteurs d’activités.
Les recettes miracles de l’économiste Henri Konan Bédié
Arrivé aux affaires en tant que dauphin constitutionnel du Vieux, Henri Konan Bédié a également hérité d’une situation économique presque chaotique. Son gouvernement dirigé par son Premier ministre Daniel Kablan Duncan est aux abois. De fait, la Côte d’Ivoire connaît en 1993 une véritable crise de compétitivité, notamment liée à un taux de change réel qui s’est apprécié du fait de la baisse du dollar. Le pari des autorités monétaires françaises était donc de corriger cette surévaluation, par une réduction de 50% de la parité du FCFA par rapport au franc français. La dévaluation a donc lieu en janvier 1994. Elle marque le début d’un nouveau cycle de croissance pour la Côte d’Ivoire.
Dans les premiers instants, la masse monétaire au niveau du pays avait connu une certaine hausse. Mais la gestion approximative et surtout le détournement des 18 milliards de l’Union européenne ont contraint les bailleurs de fonds à tourner le dos à la Côte d’Ivoire. C’est donc à un désastre économique que le pays doit faire face. Tous les compteurs sont au rouge et la récession bat son plein. La situation politique est également tendue. Les mouvements d’humeur qui ont commencé avec le boycott actif de 1995 vont prendre de plus en plus d’ampleur pour déboucher sur le coup d’Etat de 1999 avec l’arrivée du général Guéi Robert au pouvoir.
Guéï Robert, le balayeur aux longues dents
L’instabilité politique en Côte d’Ivoire a été un frein terrible pour l’économie. Dès le coup d’État du général Robert Guéï, en décembre 1999, le taux de croissance de l’année 2000 était de -2,3%, selon la Banque mondiale. Dès sa première apparition à la télévision après sa prise de pouvoir, sans même chercher à s’imprégner de la situation économique du moment, le général putschiste a été formel : « Les caisses sont vides ! » Eu égard à cet empressement, certains observateurs ont vite fait de conclure que ce serait lui et ses «jeunes gens » qui les auraient vidées. Quoi qu’il en soit, la situation économique du pays n’était guère reluisante pendant les dix mois de transition militaire dirigée par le Comité national de salut public (CNSP).
Tous les bailleurs de fonds avaient posé comme condition de retour en Côte d’Ivoire l’organisation d’élections justes et transparentes. Le pays traverse alors une difficile période de vaches maigres. Même pour l’organisation des élections qui devaient permettre de renouer avec les partenaires internationaux, les Ivoiriens se sont vus contraints de se cotiser afin de rassembler les fonds nécessaires. Mais pendant que ceux-ci s’attendaient à revenir dans le concert des Nations, voilà que l’issue calamiteuse de ces élections vient plonger le pays dans un coma économique sans précédent.
Laurent Gbagbo et ses refondateurs avec leur budget sécurisé
Laurent Gbagbo est arrivé au pouvoir au moment où le pays souffrait d’une asphyxie économique à nulle autre pareille. Isolés par tous les partenaires aussi bien bilatéraux que multilatéraux, les refondateurs devaient compter sur leur capacité à générer des richesses par eux-mêmes. Le ministre ivoirien de l’Économie et des Finances d’alors, Paul Antoine Bohoun Bouabré, a donc décidé de faire fonctionner le pays par un budget sécurisé qui reposait essentiellement sur les ressources propres du pays. Des appels d’offres ont donc été faits afin de nommer à la tête des régies financières des compétences avérées.
Ce pari a permis au pays de se stabiliser quelque peu et de réaliser que ses capacités à autofinancer son développement sont réelles. Le binôme café-cacao et l’exploitation très récente du pétrole ont boosté à nouveau son économie. Le taux d’inflation devient alors inférieur à 5% et le taux de croissance positif en 2004 (1,6%), 2005 (1,8%) et 2006 (1,2%). De surcroît, le service de la dette baisse et la part des exportations dans le PIB augmente.
C’est dans cet élan dynamique qu’une tentative de coup d’État s’est muée en rébellion en septembre 2002. Pendant les six premières années du conflit, la croissance économique sera négative (une moyenne de -0,4%) notamment en raison du départ de la plupart des entrepreneurs étrangers et de la baisse des Investissements directs étrangers (IDE). Cette mauvaise santé de l’économie aggravera le chômage, l’inflation, entraînera la fermeture de toutes les agences des banques du côté rebelle et diminuera les recettes fiscales de l’État. Mais malgré la coupure du pays en deux, les autorités ivoiriennes ont continué à assumer toutes leurs tâches régaliennes.
Les nouvelles autorités ont ainsi réussi à regagner la confiance des bailleurs de fonds qui ont aussitôt entrepris d’insérer la Côte d’Ivoire dans l’initiative des Pays pauvres très endettés (PPTE). Après l’atteinte du point de décision, les élections (encore et toujours) ont été fixées comme condition pour permettre au pays d’atteindre le point d’achèvement afin que l’annulation d’une bonne partie de la dette donne à ce moteur de l’économie ouest-africaine un souffle nouveau. C’est encore le cataclysme, une crise poste électorale est venue ruiner, à nouveau, tous les espoirs des Ivoiriens. C’est dans ces conditions qu’Alassane Ouattara accède au pouvoir d’État.
Alassane Ouattara, «ADO Solutions» et sa pluie de milliards
Économiste, ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest(BCEAO) et directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI), Alassane Ouattara, en accédant au pouvoir, avait suscité chez plusieurs observateurs un réel espoir de relance économique en Côte d’Ivoire. Durant les campagnes électorales, l’ancien premier ministre d’Houphouët-Boigny s’était présenté comme «ADO Solutions», cette panacée qui allait changer le visage du pays à tour de bâton magique. Il avait même annoncé un ouragan de milliards qui allait arroser toutes les régions et transformer fortement le quotidien des populations.
Avec une manne financière récoltée à partir d’un endettement monstrueux, les autorités ont réalisé des infrastructures (ponts, voiries, écoles, centres de santé) qui ont donné fière allure à Abidjan et à certaines villes de l’intérieur du pays. Mais ce tableau enviable n’est que flatteur, s’apparentant à un tombeau blanchi, tant les Ivoiriens croulent sous le poids de la misère et de la paupérisation. Selon l’agence de notation américaine Moody’s, la dette publique a fortement augmenté, passant de 34,2% du PIB à 37,5% en 2015.
En réalité, les caisses sont vides et l’État cherche à les renflouer à nouveau. Un fort taux d’imposition, une augmentation du simple au double des factures d’électricité, une taxe douanière imposée sur les effets personnels du voyageur, l’offensive parisienne du Premier ministre Daniel Kablan Duncan au Forum euro-ivoirien, le 17 mai dernier, qui lui a permis d’engranger (en promesse) une dette supérieure à 15 milliards de dollars, sont autant de facteurs qui démontrent que les finances publiques ivoiriennes souffrent d’un marasme économique dont les effets risquent de s’éterniser.
C’est peu dire que les caisses sont vides. Mais dans le souci de continuer de faire miroiter l’émergence à l’horizon 2020 aux Ivoiriens, les autorités font montre d’une cachotteries étatiques qui risquent d’engloutir le pays pendant longtemps. L’opacité dans la gestion du pouvoir et les contrats de gré à gré pour contenter des proches sont des signes de mauvaise gouvernance qui, pour l’instant, sont passés sous silence. Mais attention au syndrome burkinabè, lorsqu’étouffé par toutes ces mesures impopulaires, le peuple décide de se faire entendre. À bon entendeur…
source : Afrique sur 7