A l’aune de nouvelles révélations, des élus démocrates ont réclamé, mercredi, que le Congrès nomme un enquêteur spécial indépendant pour faire la lumière sur une éventuelle ingérence de Moscou dans la campagne électorale de 2016.
“Comme un air de Watergate.” Quand l’homme qui a été l’avocat de Richard Nixon pendant le scandale qui a provoqué sa destitution, en 1973, invoque dans une interview de février 2017 une troublante impression de déjà-vu, une seule chose reste à faire : sortir le pop-corn. Révélations en pagaille, services secrets au taquet, parlementaires furieux et gouvernement dans la tourmente… L’affaire sur les liens supposés entre l’équipe de Donald Trump et la Russie a effectivement tout du film d’espionnage.
Dernier coup de théâtre : le Washington Post a révélé, mercredi 1er mars, que le ministre de la Justice, Jeff Sessions – un ancien sénateur qui a notamment conseillé la campagne de Donald Trump sur la politique étrangère –, a rencontré l’ambassadeur russe Sergueï Kislyak en juillet et en septembre, contrairement à ce qu’il avait déclaré sous serment devant le Sénat lors de son investiture.
Ces deux rencontres, confirmées par la Maison Blanche, font peser sur lui des accusations de parjure (mentir sous serment constitue une grave trahison pour les Américains). Surtout, elles accréditent encore la thèse d’une ingérence russe dans la campagne présidentielle de novembre. Alors que des élus démocrates réclament une enquête indépendante sur ces “dossiers russes”, qui empoisonnent le début du mandat de Donald Trump, franceinfo fait le point sur ces révélations rocambolesques qui, si elles s’avéraient fondées, feraient passer le Watergate pour une gentille comédie.
Un possible rôle dans le piratage de la campagne
Commençons par un flashback : le scénario démarre à la fin du mois de juillet 2016 par un gros plan d’Hillary Clinton sur le point d’être investie candidate du Parti démocrate à la convention de Philadelphie (Pennsylvanie). Mais si les caméras sont braquées sur elle, c’est aussi parce que, quelques jours plus tôt, la plateforme WikiLeaks a publié près de 20 000 messages obtenus après un piratage informatique de son parti. Aussitôt, les autorités américaines soupçonnent une implication de la Russie. Leurs craintes ne s’arrêtent pas là : elles estiment aussi que des éléments de propagande et la diffusion de fausses informations accablant Hillary Clinton sont préparés depuis Moscou. Et pour cause, le président russe, Vladimir Poutine n’a pas franchement envie que l’ancienne secrétaire d’Etat s’installe à la Maison Blanche. Notamment parce qu’elle pourrait tenter de reprendre la main dans le dossier syrien. A l’inverse, Donald Trump se montre élogieux à l’égard du président russe et fustige l’Otan, vieille rivale de Moscou.
Ce type d’ingérence dans le processus démocratique d’un pays étranger n’a rien d’original. C’est même autant une tradition russe qu’américaine, rappelle le New Yorker. Mais l’équipe de campagne de Donald Trump était-elle au courant de cette présumée entreprise de manipulation ? Des proches du candidat ont-ils joué un rôle ? Très vite, la Maison Blanche, encore occupée par Barack Obama, et les services secrets américains ont cherché à le savoir. A ce moment-là, “les services américains ont commencé à relever des conversations dans lesquelles des officiels russes discutaient de contacts avec des associés de Donald Trump”, révèle le New York Timesmercredi 1er mars.
Des alliés européens ont commencé à partager des informations concernant des rencontres entre des proches de Trump et des Russes, au Pays-Bas, en Grande-Bretagne et dans d’autres pays.
Un officiel américain anonymeThe New York Times
Plusieurs proches de Trump sont ainsi soupçonnés d’avoir entretenu des relations avec la Russie pendant la campagne. C’est le cas de son ancien directeur de campagne, Paul Manafort, un lobbyiste jadis employé pour redorer l’image du candidat pro-russe à l’élection présidentielle ukrainienne, Viktor Ianoukovitch. Le FBI s’intéresse par ailleurs à son ancien conseiller, Carter Page, ou encore à Roger Stone, “un membre du Parti républicain soupçonné d’avoir eu des liens indirects avec WikiLeaks pendant la campagne”, explique Slate.com.
Quant à l’actuel ministre de la Justice, Jeff Sessions, il a reconnu avoir rencontré l’ambassadeur russe Sergueï Kislyak en juillet et en septembre, mais dans le cadre de ses fonctions de sénateur, précise-t-il, et non en tant que conseiller de Donald Trump. Il assure ainsi qu’il ne mentait pas quand il a nié devant le Sénat avoir été en contact avec des officiels russes. Evidemment, l’argument ne convainc pas les démocrates qui pointent la position si particulière de Jeff Sessions : en tant qu’attorney general, il supervise le FBI et donc son enquête sur les éventuels contacts entre des proches du milliardaire et des responsables russes.
Des amitiés suspectes à Moscou
L’action s’accélère au mois de décembre. Dans la Trump Tower, à New York, le nouveau président monte son équipe de transition. Pendant ce temps, à Washington, Barack Obama découvre les conclusions des agences de renseignements (CIA, NSA, FBI…) sur l’ingérence présumée du gouvernement russe dans l’élection présidentielle, tout juste perdue – contre toute attente – par les démocrates. Au début du mois, il ordonne donc à ses services de conduire une vaste enquête sur ces accusations. Tous pointent la Russie du doigt, à tel point que le 29 décembre, le président américain annonce une contre-attaque : l’expulsion de 35 ressortissants russes, soupçonnés d’espionnage, ainsi qu’une série de sanctions à l’encontre de Moscou. Selon des proches cités par le New York Times, l’ambassadeur russe aux Etats-Unis, Sergueï Kislyak, est furieux. Le diplomate, sermonné par l’équipe Obama, brandit même la menace d’une “réponse musclée de la Russie”.
Pourtant, le lendemain… rien. A la surprise générale, le président russe décide de ne pas réagir à cet affront, tandis que Donald Trump flatte son futur homologue dans un tweet :“Joli coup (de V. Poutine). J’ai toujours su qu’il était très intelligent !”
Deux jours plus tard, le 2 janvier, l’administration Obama apprend qu’aussitôt sorti du briefing du département d’Etat, Sergueï Kislyak a passé un coup de fil à Michael Flynn, alors annoncé comme le futur conseiller à la Sécurité nationale de Trump, détaille encore le quotidien new-yorkais. “Les deux hommes ont discuté à plusieurs reprises dans les 36 heures qui ont suivi. Les services secrets américains, qui espionnent les téléphones des diplomates russes, ont découvert que monsieur Flynn a invité les Russes à ne pas répondre, expliquant que les relations [entre les deux pays] s’amélioreraient dès que Trump serait investi”, écrit le journal, citant à nouveau des sources anonymes. Or, un citoyen américain ne peut négocier en son nom avec un gouvernement étranger sans autorisation, explique Slate.
Pour ne rien arranger, le conseiller a également induit en erreur son propre camp, en particulier Mike Pence, alors futur vice-président. Face à la presse, début janvier, Michael Flynn déclare en effet que la conversation avec l’ambassadeur n’a pas porté sur les sanctions. Une affirmation qui, bien que difficile à croire au regard du calendrier, a été reprise publiquement par Mike Pence. Au cœur du scandale, Michael Flynn démissionne le 14 février.
Des espions devenus très bavards
Pour comprendre ces révélations, il faut jeter un œil en coulisses, au cœur des différentes agences de renseignement et d’investigation américaines. Chargées par Obama de se pencher sur les liens entre le camp Trump et la Russie, elles se sont retrouvées face à un dilemme : comment s’assurer que le résultat de leur travail ne serait pas balayé d’un revers de la main par l’administration Trump une fois celle-ci arrivée au pouvoir ? Et ce alors que Trump et son administration ont toujours nié en bloc toute relation avec Moscou ? La réponse : en communiquant leurs conclusions, pourtant confidentielles, à un maximum de personnes, tout en semant des indices susceptibles d’aider quiconque enquêterait sur ces mêmes sujets, explique encore le New York Times.
“Des officiels ont commencé à poser des questions précises dans les réunions avec les services de renseignement, sachant que les réponses seraient alors archivées et donc faciles à retrouver par des enquêteurs – comme ceux de la Commission sur le renseignement du Sénat, saisie début janvier”, détaille le quotidien. Par exemple, dès qu’une information est recueillie, elle est immédiatement analysée, afin de faire l’objet d’un rapport, poursuit le New York Times. D’habitude très secrètes, les agences s’arrangent même pour abaisser le niveau d’accréditation requis pour accéder à ces informations, “afin de leur assurer une large diffusion au sein du gouvernement voire, dans certains cas, à des alliés européens.”
Ces mesures visent surtout à protéger d’une éventuelle destruction ces informations classifiées en les rendant accessibles à des parlementaires. Elles ont aussi pour conséquence de multiplier les sources potentielles auprès de la presse américaine. Ainsi, les semaines qui ont suivi l’investiture de Donald Trump ont été marquées par une salve de révélations, appuyées par les déclarations “d’officiels américains”, évidemment anonymes. Autant d’articles qualifiés de “fausses informations” par Donald Trump, entré en guerre contre les médias. Des “fake news” qui provoquent des secousses bien réelles et qui, selon les démocrates, pourraient précipiter, si elles se multiplient, le clap de fin du mandat de Donald Trump.
Source: francetvinfo