Le film de Soussaba Cissé revient sur une période récente de notre histoire et se veut une mise en garde
La grave crise sécuritaire que notre pays a connu en 2012 se prête à de multiples lectures et c’est une vision originale de cette période très particulière que propose la cinéaste Soussaba Cissé dans les 90 minutes que dure son film « Ngunu n’gunu kan (Les rumeurs de la guerre) ». L’avant-première en a eu lieu mardi dernier au cinéma Babemba. Se trouvant en France lors de la crise malienne, la réalisatrice s’était aperçu que les informations que nos compatriotes de la diaspora recevaient étaient différentes de celles qui circulaient à Bamako. Revenue faire un micro trottoir à travers la capitale, elle décida à la suite de ses constatations de réaliser un film sur les rumeurs contradictoires qui circulaient dans la ville.
Pour Soussaba Cissé, « Ngunu n’gunu kan » est un cri d’alerte à l’adresse de la jeunesse, mais aussi un appel à l’unité. Tourné à Bamako, le long-métrage met au centre de son intrigue Souleymane Touré, un animateur de 26 ans qui officiait dans une radio de Tombouctou lors de l’occupation des régions du Nord et qui incitait les jeunes à la résistance contre les agresseurs. Laissé pour mort par les terroristes, Soul choisit de rallier Bamako où il se fait héberger par un ami. Au début du film, la réalisatrice le présente comme un homme encore traumatisé par une scène terrible qu’il a vécue : le viol sous ses yeux de son amie par des terroristes.
Lors de son errance à travers Bamako, Soul est frappé par la multiplicité des rumeurs qui circulent dans la ville et qui traduisent les regards opposés portés sur la dure réalité du moment. Sur les conseils de son ami, l’animateur décida de servir de sa mésaventure pour aider à la sortie de crise. « Ngunu n’gunu kan » constitue donc son témoignage, complété par de nombreux autres. Tout cela pour que la vérité soit dite sur ce qui s’est passé et que le Mali ne connaisse plus jamais la crise qu’il a traversée.
Le ministre de la Réconciliation nationale, Zahabi Ould Sidi Mohamed, qui assistait à la projection, s’est dit impressionné par la qualité et le ton fédérateur du film. Celui-ci véhicule des messages positifs qui interpellent les citoyens maliens, et en premier lieu la jeunesse. Tout en félicitant la réalisatrice qui fait partie des talents émergents de notre pays, le ministre a réitéré l’accompagnement de son département pour permettre la projection du film partout au Mali. Ce en quoi il a rejoint un vœu ardent exprimé par la réalisatrice.
FAIRE BOUGER LES CHOSES. Soussaba Cissé a assimilé le tournage de « Ngunu n’gunu kan » à un parcours du combattant. Tout d’abord, en raison des difficultés à rassembler le financement nécessaire. Ensuite, parce que le tournage s’est déroulé en pleine période de couvre-feu, c’est-à-dire à un moment où tout regroupement était suspect. La réalisatrice a tout particulièrement remercié les acteurs – au nombre de 315 et tous des bénévoles – pour avoir parfaitement incarné leurs personnages. Pour la cinéaste Foutoumata Coulibaly, plus connue sous son nom de créatrice de « FC », le film est techniquement bien conçu et extrêmement dense au niveau du contenu. Pour elle, le courage démontré par Soussaba devrait inspirer les jeunes cinéastes et les inciter à suivre son exemple.
Née à Bamako où elle a grandi, Soussaba Cissé confirme l’adage selon lequel « Bon sang ne saurait mentir » puisqu’elle est la fille du réalisateur Souleymane Cissé. Elle a depuis longtemps nourri la détermination d’être de cette génération de femmes et d’hommes capables de faire bouger les choses et de redonner au cinéma africain une place importante dans le patrimoine culturel mondial.
Très tôt le monde du cinéma l’a intéressé et elle était souvent présente sur les plateaux de tournage de son père qu’elle accompagnait d’ailleurs dans les festivals où il présentait son travail. Après le baccalauréat, elle poursuit ses études à Paris, entrant au Conservatoire libre du cinéma français (C.L.C.F). Au cours cours de sa formation qui dure trois ans, elle termine ses trois premiers court-métrages : « N’bahMuso » et « Tinyé Su» réalisés sur ses propres ressources, puis « Seben Tan » réalisé dans le cadre d’un film de fin d’études.
Après son cycle universitaire en France, Soussaba Cissé effectue des stages sur plusieurs plateaux de France et aux Etats-Unis. Ses thèmes les plus traités restent les maux des sociétés africaine et française qu’elle décrit dans une douzaine de films. Ses sujets de prédilection touchent à l’excision, au problème des sans-papiers, à l’immigration, à la dépigmentation, aux enfants mendiants. Elle a également réalisé trois autres courts-métrages (Fasodenw 1 et 2, Tiefaring) sur les amalgames faits sur la couleur de peau en temps de guerre au Mali.
Aminata Dindi. SISSOKO
source : L Essor