Je ne comprendrai jamais les Occidentaux. Au sens biologique, ce sont de vrais animaux : ils sont capables du meilleur comme du pire. Pour changer l’ordre géostratégique d’une région entière ou couper la tête à un « dictateur » qui leur tient tête, ils sont capables de fermer les yeux sur des massacres à huis clos, de les entretenir sur des dizaines d’années par des soutiens multiformes dont l’entrainement des rebellions et des ventes d’armes criminelles ou, directement, malgré des intérêts nationaux divergents, de s’entendre sur le minimum et envoyer des dizaines de milliers de soldats faire ou finir le (sale) boulot.
D’un autre côté, les mêmes sont capables de déployer des moyens exceptionnels –humains, techniques, logistiques et financiers- pour arracher du piège de l’avalanche un alpiniste imprudent, retrouver un spéléologue en quête de sensations fortes prisonnier des entrailles de la terre… ou de retrouver la dépouille d’un soldat dont l’avion aura été abattu par la chasse ennemie.
Ainsi fonctionnent les Occidentaux ! Toujours pousser le contraste, le paradoxe, le sens du devoir, le patriotisme et, quelques fois, l’absurde dans leurs derniers retranchements.
Cette petite réflexion m’a été inspirée par un sujet abondamment couvert récemment par plusieurs grands médias occidentaux et dont les vedettes étaient, malgré eux-mêmes, quatre jeunes soldats canadiens tombés au combat lors de la Grande Guerre (1914-1918). Ce mois d’août 2018, il y a cent ans que les soldats William Del Donogan, (20 ans), Henry Edmonds Priddle (33 ans), John Henry Thomas (28 ans) et Archibald Wilson (25 ans) sont portés disparus, suite à de violents combats dans le secteur de Lens (nord de laFrance) pour déloger les troupes allemandes d’une colline stratégique qu’elles occupaient.
Ce sont donc quatre jeunes hommes enfin sortis de l’anonymat qui ont été inhumés le 23 août dernier dans un cimetière militaire britannique des environs de Lens, avec tous les honneurs militaires dus à leur statut, en présence de leurs (rares) proches septuagénaires, octogénaires et même nonagénaires.
Il faut dire que les forces armées canadiennes ont fait les choses en grand pour honorer la mémoire de ces illustres disparus qui peuvent désormais reposer dans l’absolue béatitude.
Emue aux larmes, Dolores Adams, 80 ans, une Américaine originaire de Seattle, venue assister aux obsèques de son aïeul William Del Donogan, a déclaré à l’AFP : “Le fait qu’on honore leur mémoire, cent ans après (…) c’est bouleversant”.
Que le chemin a été long pour arriver à ces hommages posthumes qui confirment le respect quasi mythique que les hommes vouent à leurs morts, quelle que soit la culture à laquelle ils appartiennent !
Selon le Figaro, les dépouilles des héros du jour ont été découvertes entre 2010 et 2016 lors d’opérations de destruction d’anciennes munitions et d’un chantier de construction aux environs de Lens. « Les services du ministère canadien de la Défense sont parvenus à les identifier en octobre dernier en combinant analyse anthropologique médico-légale, recherche historique et analyse génétique (ADN) ». Du grand art !
Aux dires des historiens, précise Le Figaro, le nombre de soldats de toutes nationalités portés disparus sur le front ouest, théâtre principal des combats de la Guerre de 14-18, tourne autour de 700.000 sur un total de 3,5 millions de morts. Il y a donc encore du boulot pour les Etats-majors alliés de retrouver tous ces morts – si leurs restes sont encore conservés quelque part dans les entrailles de la terre -, de les identifier et de leur donner une sépulture décente. Assurément, un travail de mémoire dont nul ne peut prévoir l’horizon et dont la réussite est plus tributaire de contingences qu’autre chose.
Au même moment, et c’est là que je voudrais souligner le « deux poids, deux mesures », les Occidentaux ne font strictement rien pour faire parler les archives au sujet de pans obscurs de notre histoire commune. Sans aller loin dans la mémoire, je voudrais souligner « l’épisode» douloureux et non encore élucidé du massacre du Camp de Thiaroye, près de Dakar (Sénégal). Un petit rappel s’impose. Le 5 novembre 1944, plus d’un millier d’anciens prisonniers de guerre africains du contingent des « tirailleurs sénégalais » embarquent de force pour le Sénégal. Ils n’obtiennent pas les primes de démobilisation promises ni ne peuvent retirer leurs économies déposées sur des comptes d’épargne en France. Ces « tirailleurs sénégalais » qui viennentdu Sénégal, du Dahomey (actuel Bénin), du Soudan français (actuel Mali), de la Côte d’Ivoire, de l’Oubangui-Chari (actuelle Centrafrique), du Niger, du Tchad, du Gabon et du Togo, accostent au port de Dakar le 21 novembre 1944. L’ambiance est à couper au couteau et va dégénérer très rapidement. Face aux revendications de plus en plus insistantes des démobilisés qui ne réclament que leurs droits les plus élémentaires, les français choisissent la méthode radicale. Le 1er décembre 1944, des gendarmes français renforcés de troupes coloniales, ouvrent le feu sur les tirailleurs sénégalais. Un massacre dont le bilan reste couvert du sceau de secret-défense et qui s’établirait, selon les estimations, entre plusieurs dizaines et plusieurs centaines de morts.
Sembène Ousmane a porté au grand écran ce massacre incompréhensible à travers son chef-d’œuvre « Camp de Thiaroye » qui a ému plus d’un. Une histoire non encore soldée. Qui fait tache. Un épisode entouré d’une omerta qui résiste au temps et à la quête de vérité des descendants des suppliciés.
A l’instar des quatre jeunes soldats canadiens, les exécutés du Camp de Thiaroye méritent respect, reconnaissance, hommage posthume et sépultures dignes de leur statut. Leurs descendants ne réclament pas plus et ceci, à mon humble avis, n’est pas au-dessus des forces de l’ancienne puissance coloniale.
À présent, après le pire, nous aimerions qu’elle soit capable du meilleur. A moins que le « deux poids, deux mesures » ne soit plus une simple contingence, mais bien une règle figée dans du marbre.
Serge de MERIDIO
Source: infosepte