Nous sommes dans le quai de la gare ferroviaire au centre ville de Bamako. En ce matin du 12 février 2018, quelque chose de nouveau semble se passer. Les techniciens sont tous occupés à passer en revue les derniers réglages. Les passagers quant à eux, embarquent peu à peu et prennent place dans une des rames du long bloc de fer dans un brouhaha total. Le départ du train ne devrait pas en principe tarder. Je regarde ma montre, elle affiche 7h00. L’angoisse commence à s’emparer de moi. En effet, c’était mon premier voyage à bord d’un train voyageur. Avec les confrères, je discute de tout et de rien pour dissiper cette peur intérieure. Un peu plus loin, les embarquements continuent au même rythme que le grand bruit de la gare : marchandages, échanges de nouvelles, les adieux, etc.
Le dispositif de ce matin laisse comprendre aux passagers habitués des lieux que le voyage du jour avait une certaine particularité. Et pourtant, c’était bien le cas. Le ministre des transports et du désenclavement en personne s’apprêtait à faire le voyage en train de Bamako à Kayes pour montrer que les activités ferroviaires avaient bien commencé et cela pour toujours.
A 07heures quinze, le ministre fait son entrée à la gare avec toute sa délégation. Après une brève salutation, il prend place dans une des rames ; le train pouvait maintenant démarrer pour la cité de rails. Il siffle et traverse la capitale pour s’introduire dans le mandé profond. Nous voilà donc embarqués pour 23 heures de voyage.
Doucement, le « boa géant » des rails traverse villes, villages et hameaux. Et, à son passage, les populations sortent pour l’accueillir avec des chants, danses et acclamations. En réponse, il siffle et, de ce sifflement les habitants reconnaissent son message : il est heureux de revivre et redonner la joie dans les cœurs de tous ces hommes et femmes qui dépendent de sa générosité.
Souvent, nous nous arrêtions pour partager ces moments de retrouvailles entre celui-là que la population elle-même se plait à appeler « le grand serpent » et les siens. En effet, un seul regard suffit pour comprendre toute la complicité qui existe entre le train et les riverains. Il faut avoir une pierre à la place du cœur pour ne pas être touché par la scène pleine d’émotion.
Je descends pour contempler le paysage de Toukoto (une ville à forte affluence et à grande renommée à cause de l’activité ferroviaire) lorsqu’une veille m’interpelle : « Mon fils, n’est pas que c’est bien la reprise du train ? ». Sans trop comprendre, je dis oui en haussant la tête, et à elle de me dire : « Dieu en soit loué mais qu’il ne s’arrête plus jamais! Un peu de pain pour la vielle s’il te plait mon fils !» Je lui tends quelques pièces et continue à contempler le beau paysage qui, curieusement a une grande ressemblance avec le paysage de chez moi, le pays dogon. Le « grand serpent » continue sa route avec à son bord l’infatigable ministre des transports et du désenclavement, Baba Moulaye Haïdara. Il rend visite à tous les passagers du train, long d’au moins 500 m, s’enquiert de leurs préoccupations, rassure les plus sceptiques que le train n’arrêtera plus jamais de siffler conformément aux vœux du président de la République.
La nuit avance, dans le train, les têtes dodelinent et les causeries s’étouffent peu à peu dans la fraicheur glaciale de la climatisation. Je profite du temps libre des conducteurs pour me renseigner sur le fonctionnement de cet engin qui a toujours suscité ma curiosité. Les cheminots très professionnels m’expliquent avec pédagogie son fonctionnement et mieux, partage leur longue expérience de cheminot. Vraiment, c’est passionnant ! Au cours de ce voyage, j’ai aussi compris comment les cheminots maliens sont dévoués pour la cause du chemin de fer. C’est peut être parce que la plupart d’entre eux ont vu le jour et grandi sous le sifflement du train. Leur engagement m’a énormément surpris. Malgré de nombreux mois d’arriérés de salaire, ils répondent avec joie et abnégation à l’appel du devoir lorsqu’il s’agit surtout de faire siffler le train. Parmi eux, deux dames m’ont particulièrement impressionné : L’une des rares conductrices de train de la sous région.
Après 23 heures de route, nous voilà enfin à Kayes, il est 6 heures du matin. Mais la population elle, était là à attendre leur train et d’être témoin de l’arrivée des autorités. Elle voulait bien s’assurer que les responsables seront là pour leur rassurer que le train sifflera et pour toujours.
A Kayes, j’ai eu droit à seulement 5 heures du temps dont 3 dans ma chambre d’hôtel et 2 à la gare ferroviaire de Kayes pour reprendre le même trajet. A peine arrivée à Bamako, la cité des rails me manque déjà.
Amadingué Sagara
Désenclavement :
Baba Moulaye Haïdara a effectué un voyage de confirmation de la reprise des activités du chemin de fer Dakar-Bamako-Ferroviaire (DBF) :
La promesse tenue d’ IBK saluée par les populations
Le ministre des transports et du désenclavement, M. Baba Moulaye Haïdara, a effectué un voyage de confirmation de la reprise effective des activités ferroviaires à bord du train voyageur Dakar-Bamako-Ferroviaire (DBF) en compagnie d’une forte délégation et de la presse nationale lundi 12 février 2018.
Parti de Bamako à 7 heures 30 min, notons que DBF a repris ses activités depuis le 23 décembre 2017 après une longue période d’hibernation et est aujourd’hui à son 26ème voyage. Pour la circonstance, plusieurs cadres du chemin de fer du Mali comme du Sénégal ont tenu à faire partie de la délégation.
Les populations ont unanimement salué la reprise des activités du train voyageur, en témoignent les sorties massives des populations pour saluer le sifflement du long serpent en fer fièrement dressé sur sa voie.
A chaque arrêt, femmes, enfants, vieux et jeunes n’avaient qu’un seul refrain : « Enfin nous revivons ! Longue vie à notre train voyageur ! »
Enseignant à la retraite, M. Mamadou Diala Traoré compare ce que le train est pour la cité de rails à ce que le Nil représente pour l’Égypte. « Si dans l’histoire nous disons que l’Égypte est le don du Nil, moi je peux vous dire sans me tromper que Kayes dépend des rails » a-t-il laissé entendre.
Justement la vie de la cité des rails est indissociable à celle du train. Depuis 1904, le train Dakar Niger fait partie de la vie des populations situées aux abords de rails. C’est lui qui achemine les productions et marchandises vers les grandes villes. Grâce au train, les populations ont su développer de petits commerces permettant d’améliorer leur condition de vie. On comprend aisément que l’arrêt des activités a été un coup dur pour cette partie du Mali qui s’est brusquement retrouvée sans ressources. Depuis, des séries de grèves initiées par des syndicalistes ont été lancées pour le redémarrage des activités ferroviaires. Aujourd’hui, le train a, de nouveau, sifflé et les populations l’ont immédiatement reconnu. Ce cri qui a toujours apporté une lueur dans leur quotidien.
De Bamako à Kayes en passant par Kati, Negala, Sebekoro, Badinko, Kita, Boulouli, Toukokoto, Fangala,Oualia, Badumbe, Mahina et Diamou, on pouvait lire sur les banderoles des mots de reconnaissance au président de la République comme cette inscription de la coordination régionale de la voix du peuple de Kayes : « oui c’est désormais une réalité. Le grand serpent a repris vie. Il sifflera de Bamako à Kayes toutes les semaines. Bravo et merci IBK !».
Les larmes aux yeux, une veille dame d’une soixantaine d’années s’exprime : « Merci au président IBK pour avoir ramené notre train. Un train vaut plus que dix véhicules pour nous. Franchement sans le train, nous étions tous comme des orphelins.»
Quant au ministre, il a rassuré les populations que l’Etat malien fera tout pour que le train de s’arrête plus jamais. Rappelons que la relance des activités du train était l’une des promesses de campagne du président IBK. Le premier pas étant donné, il ne reste qu’à espérer que l’Etat parvienne à réhabiliter les rails et doter la société ferroviaire de nouvelles rames et machines afin que le train continue de siffler pour toujours au grand bonheur des Maliens.
Mention spéciale
Mme Diarra Alima Mariko et Mme Maïga Maimouna Keïta l’une des rares femmes conductrices de train dans la sous région
Lors du déplacement du ministre en charge des transports et du désenclavement dans le cadre du voyage de confirmation de la reprise effective des travaux du train voyageur Dakar-Bamako-Ferroviaire, deux personnes ont particulièrement attiré non seulement l’attention de la délégation du ministre mais aussi celle de l’ensemble des voyageurs : Mme Diarra Alima Mariko et Mme Maïga Maimouna Keïta.
Aux commandes du maitre des rails depuis 7 ans, ces amazones, mère de deux enfants chacune sont très passionnées par leur métier. La preuve, elle manie aussi bien la machine que la cuisine. « Ce métier est tout pour moi. J’en suis vraiment passionnée. C’est d’ailleurs cette passion qui m’amène dans le domaine conquis par les hommes. Avec l’aide de mon mari, j’arrive à relever tous les défis qui se dressent devant moi », nous a confié Mme Diarra.
« Oui nous avons compris qu’il n’ya pas de métier de homme ou femme. Aujourd’hui, nous sommes fières d’être parmi les rares femmes sinon les seules à conduire le train dans la sous-région », s’est-elle ainsi exprimée Mme Keita.
Notons que ce sont bien elles qui, en équipe, ont eu la lourde tâche de conduire le ministre Baba Moulaye Haidara et sa délégation de Bamako à Kayes sur une voie extrêmement dégradée. Des dames qui font sans doute honneur à tout le peuple malien et africain en générale et aux femmes en particulier.
Amadingué Sagara, envoyé spéciale à Kayes
Reprise des activités du train voyageur
D’énormes enjeux économiques
Il a fallu pour nous de participer à ce voyage de Bamako à Kayes et, en train pour mesurer toute la dimension de l’impact économique du train voyageur sur la vie des populations rurales situées au long des rails. Une vraie machine économique et créatrice d’emplois. Le train fait de la contrée un véritable eldorado. Dans les villages, même les plus petits, le commerce a repris vie depuis le premier voyage du DBF. A chaque arrêt du train, c’est tout une chaine d’activités qui se dévoile. Tout le monde y trouve son compte. Les populations, mine de rien parviennent à gagner leur vie et pourvoir aux besoins de leurs familles : « Nous, femmes de Oualia vivons de ces petits commerces pour subvenir aux besoins de nos familles et nos enfants. Leur éducation, leur santé et leur habillement sont assurés par ces petits commerces que vous voyez. Merci infiniment aux autorités», lance Mariam Traore vendeuse de légumes.
L’arrêt du train voyageur a été un long moment de tourments pour ces pauvres populations. Coupés des grandes villes pour leur accès difficile, ces villageois n’avaient que le train comme moyens de désenclavement.
Depuis la reprise, le 23 décembre 2017, l’économie a déjà fait un pas de géant.
« Vous savez toutes les activités économiques sont liées à ce train. Il permet aux populations d’acheminer les vivres qui en retour leur procurent de l’argent. Avec ça, ils parviennent à payer les taxes, impôt et assurer la scolarisation des enfants. C’est pour vous dire que c’est tout une machine économique», nous confie Modibo, un cheminot vivant à Toukoto.
Notons qu’un seul voyage de train peut générer plus de 100 emplois directs et indirects. Cette région sans le train voyageur est comparable à un corps dépourvu d’âme. Les populations arrivent à tenir débout grâce aux diverses activités lucratives qu’elles mènent aux abords des rails.
Enfin, la vie a repris là-bas aux abords des rails et souhaitons que la demande des populations soit prise en compte : que plus jamais le train n’arrête de siffler.
Amadingué Sagara, envoyé spéciale à Kayes
Source: La Dépêche