Il aura fallu attendre quatre ans après sa victoire à la présidentielle d’octobre 2011 pour que Paul Biya forme un nouveau gouvernement. Les élections sénatoriales, législatives et municipales de 2013, toutes majoritairement remportées par son parti, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), n’avaient pas semblé opportunes au chef de l’Etat camerounais pour renouveler son équipe gouvernementale.
Vendredi 2 octobre, alors que très peu l’attendait encore, Paul Biya, 82 ans dont trente-trois passés au pouvoir, a procédé à un changement d’équipe minimal, puisqu’il s’agit, selon les termes du décret, d’un simple « réaménagement ». En clair, le président camerounais conserve le même gouvernement pléthorique de 2011 avec ses soixante-cinq ministres qui ont pour la plupart entre 65 et 70 ans. Il conserve son premier ministre, Philémon Yunji Yang, natif du Nord-Ouest anglophone, 68 ans, en poste depuis 2009, dont il phagocyte de plus en plus les prérogatives en le faisant entourer d’une armada de secrétaires généraux et de conseillers.
Un gouvernement âgé
Paul Biya maintient aussi dans leurs fonctions des fidèles parmi les fidèles, ayant en commun d’être entrés dans les sphères du pouvoir au début des années 1980 et qui sont les symboles d’une classe politique camerounaise âgée. Laurent Esso, l’actuel garde des sceaux, 73 ans, a débuté comme conseiller du président, il y a trente-trois ans, avant d’occuper les portefeuilles les plus stratégiques.
Le ministre du tourisme, Bello Bouba Maigari, lui, fut le premier chef du gouvernement de Paul Biya, entre 1982 et 1983, avant de passer dans l’opposition et de se réconcilier avec le régime. Avec Amadou Ali, le vice-premier ministre âgé de 72 ans, natif de Kolofata, dans le nord du Cameroun, où sévit Boko Haram, il représente la caution « nordiste » de Paul Biya, tout comme Issa Tchiroma, 68 ans, natif de Garoua, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement. A leur côté, l’ancien journaliste Jacques Fame Ndongo, chargé de l’enseignement supérieur, passerait presque pour un jeune homme avec ses 65 printemps.
« Il n’y a aucune impulsion nouvelle, aucune réorientation de politique avec ce gouvernement. Le président n’a fait que récompenser certains et calmer les ardeurs des autres. C’est le même scénario depuis bientôt quarante ans, lâche le romancier et essayiste Eric Essono Tsimi (Migrants Diaries, Acoria, 2014). Paul Biya ne fait que confirmer la mainmise ethnique du Centre et du Sud sur l’appareil d’Etat. » Pourtant, parmi les neuf ministres qui quittent les bonnes grâces du président, cinq viennent de sa région natale dans le Sud.
Scandales financiers
« Le problème, c’est qu’ils commençaient à devenir très embarrassants pour le régime, car empêtrés dans des scandales financiers à répétition », répond Eric Essono, natif de Monatélé, dans le centre du Cameroun, à quelques encablures de la capitale Yaoundé.
Lire aussi : Cameroun : un parti d’opposition interdit de défilé
Le réaménagement gouvernemental de Paul Biya apparaît aux yeux de certains observateurs de la scène politique camerounaise comme une décision prise pour préserver l’image du régime en matière de lutte contre les malversations financières, notamment depuis le lancement de la vaste opération anticorruption « Epervier », en 2004, sous la pression des bailleurs de fonds. Robert Nkili, frère cadet de la première épouse du président Biya et ancien ministre des transports, est soupçonné de rétrocommissions d’un montant de plus de 20 milliards de francs CFA (environ 30 millions d’euros) dans l’achat de deux aéronefs chinois pour le compte de la compagnie aérienne nationale Camair Co.
D’autres, comme Biyiti Bi Essam, Louis Bapès et Emmanuel Bondé, Lazare Essimi Menye ou encore Catherine Bakang Mbock, sont sous le coup d’une enquête par le tribunal criminel spécial pour détournements de fonds. Aucun d’eux n’occupait de portefeuille régalien, mais les budgets qu’ils avaient à gérer étaient importants (agriculture, transports, mines, télécommunications et affaires sociales). Egalement emportés par la vague, pour « insubordination » cette fois-ci, le ministre des sports Adoum Garoua et la ministre de la culture Ama Tutu Muna. Cette descendante de l’une des plus illustres familles camerounaises a marqué son passage à la culture depuis 2007 par un imbroglio autour de la gestion des droits d’auteur.
« Repousser les ardeurs d’éventuels concurrents »
« Le président fait de la diversion face à son incapacité à apporter des réponses aux problèmes essentiels des Camerounais, en donnant l’impression de sanctionner ses ministres indélicats, estime Célestin Njamen, l’un des responsables du Front social-démocrate (Social Democratic Front, SDF), le principal parti d’opposition. Le problème du Cameroun n’est pas un problème d’hommes, c’est un problème de système. » Pour ce responsable politique, le remaniement ministériel de vendredi « ne changera rien ».
« Il ne s’agit pas seulement d’un remaniement disciplinaire. On peut également y voir une manière de repousser les ardeurs d’éventuels concurrents », analyse le sociologue Stéphane Akoa, chercheur à la Fondation Paul-Ango-Ela, à Yaoundé. Dans la perspective de la présidentielle théoriquement prévue pour octobre 2018, certains au sein même de la famille politique de Paul Biya commencent à afficher leurs ambitions plus ou moins ouvertement.
C’est le cas d’Edgar Mebe Ngo’o, jusqu’ici tout-puissant ministre de la défense. Il n’a pas été débarqué du gouvernement mais nommé au poste beaucoup moins influent de ministre des transports. Mebe Ngo’o, qui ne manque pas une occasion de rappeler qu’il a « beaucoup d’argent », a su imprimer sa marque au sein de l’armée et revendique une bonne gestion de la guerre contre les islamistes de Boko Haram dans le nord du Cameroun. Autant d’éléments qui, pour cet homme de 58 ans, en font un présidentiable.
Succession de Paul Biya
« Il ne suffit pas de contrôler l’armée ni d’avoir beaucoup d’argent pour devenir président au Cameroun. Il faut aussi avoir de très puissants relais dans le Nord et dans l’Ouest et bénéficier d’un réseau international solide. De même qu’il faut avoir de bonnes connexions au sein des grands corps de l’Etat, comme la police, la magistrature et aussi les opérateurs économiques », nuance Stéphane Akoa, qui estime que ceux qui se positionnent pour la succession de Paul Biya manquent de tous ces atouts.
Le chef de l’Etat, quant à lui, n’a rien laissé entrevoir de ses ambitions pour 2018. Mais rien ne l’empêche de se représenter à la magistrature, malgré son grand âge et ses multiples mandats précédents. La modification de la constitution qu’il a fait voter en 2009 a supprimé la limitation des mandats présidentiels. Dans l’éventualité d’une nouvelle candidature dans moins de trois ans, il aurait besoin d’afficher quelques résultats sur le plan économique : il lui faut parachever le projet du port en eau profonde de Kribi (dont la gestion du terminal à conteneurs a été attribuée à la fin d’août au Français Vincent Bolloré), avancer dans la modernisation du réseau routier et reconstruire une compagnie aérienne nationale digne de ce nom. Il lui faudra également réduire la courbe du chômage, qui avoisine 15 %, en constante augmentation depuis cinq ans, selon des chiffres officiels sans doute sous-évalués.
Source: Le Monde