La nouvelle loi électorale a été adoptée, vendredi dernier par le Conseil National de Transition, l’organe législatif de la transition par 115 voix pour, 3 contre et 0 abstention après un toilettage inédit et sans précédent. En effet, l’examen et la procédure d’adoption du texte initial ont été sanctionnés par 92 amendements en plus de la suppression par les soins du CNT de 6 des 225 articles du projet.
Porté par le ministre délégué auprès du premier ministre, chargé des Réformes politique et Institutionnelles, Mme Fatoumata Sékou Dicko ainsi que par son collègue de la Refondation de l’Etat chargé des relations avec les institutions, Ibrahim Ikassa Maiga, le projet initial aura ainsi subi une modification aux allures de censure largement adoubée par les membres de l’organe législatif, essentiellement aux dépens de l’Autorité Indépendante de Gestion des Élections dans sa formule voulue par le gouvernement. Conçu par ce dernier pour mettre un terme au système tripartite souvent décrié par les acteurs politiques, l’AIGE s’en retrouve lui-même un organe mort-né puisque dépouillé de sa contenance au CNT dont le président a laissé entendre, au bout de la délibération, que les contraintes temporelles font de la Transition une période peu propice aux expérimentations. De quoi justifier, en effet, le retour à l’administration classique de ses nombreuses attributions que le projet de loi lui a retirées au profit de l’AIGE dont l’efficience est sujette à caution. C’est le principal argument évoqué, en tout cas, par le président de la Commission loi, en soutenant en filigrane que l’attribution de nombreuses missions à l’AIGE initiale n’a pas été suivie de modification des textes en vertu desquels lesdites missions sont dévolues à l’administration. C’est le cas des législations et réglementations en rapport avec l’état civil, la détermination du nombre d’élus par municipalité ou encore de la faisabilité des révisions de listes électorales ainsi que de la gestion du matériel électoral par le nouvel organe unique.
«Nous sommes maliens, des patriotes et nous n’écoutons que le Mali… partout où ce texte était en collision, en contradiction avec un texte, nous avons jugé nécessaire de l’amender», a-t-il ainsi expliqué en évoquant les contradictions du projet gouvernemental avec la charte des partis politiques ainsi qu’avec des textes comme la loi de 02 octobre 2017 selon laquelle le nombre de conseillers communaux et de cercles est fixé par arrêté du ministre de l’Administration territoriale. Le président de la commission s’est en même temps montré dubitatif sur la faisabilité d’un déploiement de l’AIGE sur l’étendue du territoire national dans les mêmes proportions que l’administration classique, entre autres.
Par-delà ces aspects techniques, les houleux débats suscités par la nouvelle loi électorale avait trait également à des réserves et appréhensions d’ordre politique quant a la démarche ayant prévalu à son élaboration. Toutes choses qui expliquent, selon Souleymane De, la nécessité d’insuffler une dose d’inclusivité au projet gouvernemental par l’élargissement des écoutes parlementaires à l’ensemble des acteurs concernés par le processus électoral, aux fins de disposer d’une loi consensuelle. «Une loi électorale des Maliens et non d’un clan», a-t-il martelé, à la suite de la ministre porteuse du projet, qui a plaidé pour une prise de recul des membres du CNT face aux enjeux et à la teneur refondatrice de la nouvelle loi électorale.
Et pour cause, le Gouvernement Choguel, selon la ministre Dicko, ne se reconnaît point dans les amendements qui visent l’AIGE de sa substance ni dans les accusations de non – inclusivité et accepte visiblement un tel épilogue de la procédure législative telle une camisole de force. Il reste que l’ultime dénouement reste suspendu à un arbitrage éventuel du chef de l’Exécutif qui a le choix de renvoyer le texte en seconde lecture ou de consacrer son abrogation en l’ignorant tout simplement au profit du statut-quo ante dans le processus électoral. Il peut tout aussi bien promulguer la loi en l’état et laisser le Premier ministre de tirer les conséquences de l’humiliation qui consiste à lui imposer la mise en œuvre de son PAG sans l’organe unique qu’il présente sur tous les toits comme la «colonne vertébrale» de la refondation.
Quelques réactions lors des débats…
Assarid Ag Imbarcaouane : « nous avons reçu le projet en décembre 2021. On s’attendait à une session extraordinaire qui n’a pas été convoquée. C’est seulement le 25 avril 2022 que nous avons commencé l’examen, juste après le passage du PM. Juste pour dire devant l’opinion nationale et internationale que le CNT n’a jamais failli à sa mission. Nous avons adopté toutes les lois déposées sur la table du CNT dans le temps. Et chaque fois que le gouvernement nous écrit pour prioriser une loi, nous l’avons toujours respectée. Nous ne sommes pas venus ici pour nous assumer, mais pour servir notre patrie».
Nouhoum Sarr : « je rends un hommage appuyé à la commission des lois pour avoir toiletté cette loi et enlevé ses aspérités. La refondation du Mali a commencé et elle se poursuivra contre vents et marrées. Le Mali sera refondé, non pas autour d’un homme et de son clan mais autour des valeurs républicaines».
Molaye Keita : « nous sommes face à notre responsabilité…La gestion d’un Etat n’est pas émotionnelle. Ça fait des mois, chaque fois qu’un membre du gouvernement sort à la télé, il répète que ce projet de loi est sur la table du CNT. Comme si le blocage était au niveau du CNT…On n’est pas là pour défendre un clan mais le pays. La loi électorale est pour les partis politiques. Et le CNT a eu le courage de les écouter».
Abdine Koumaré : « je suis surpris par le silence du président quant madame le ministre a taxé le CNT de tribunal…Nous sommes loin d’être un tribunal, nous sommes l’organe pour légitimer cette transition. Je souhaite que madame le ministre de retirer ce mot ».
Amidou Keita
Source : Le Témoin