Les travaux de la Commission technique mise en place par décret n°2022-0394 du 29 juin 2022 à l’effet de rédiger la nouvelle Constitution appellent de notre part quelques remarques de forme et de fond, dans l’espoir de contribuer à l’amélioration du texte avant sa soumission au référendum.
A l’entame de notre analyse, il convient de saluer la qualité rédactionnelle du texte. Il est évident que de vrais légistes s’y sont consacrés.
L’attribut « avant-projet », utilisé pour qualifier le texte constitutionnel élaboré, signifie sans doute que celui-ci fera l’objet d’une autre instance de discussion (Cadre national de concertation ou Conseil national de Transition érigé en Assemblée constituante) pour adopter « le projet » qui sera finalement soumis au référendum. Ce choix méthodologique est celui bien à propos pour une nouvelle Constitution. Ce serait encore mieux si cela passait par un cadre national de concertation où les délégués des forces vives de la Nation seraient élus par leurs bases.
Sur la forme
Au regard du nombre élevé des articles, 195, le texte parait très long en le comparant aux 122 articles de la Constitution en vigueur, mais lorsqu’on se réfère au nombre de pages, l’écart se réduit à 8 pages près entre les deux textes, le premier comptant 33 pages et le second 25 pages.
Cette variété différentielle est due au mode d’organisation de chaque texte. Par exemple, la Constitution de 1992 compte 18 titres, 4 titres de plus que dans l’avant-projet de nouvelle Constitution, bien que comptant moins de pages. En France, la Constitution compte 89 articles, 16 titres et tient sur 33 pages tant dis que l’avant-projet à l’étude, pour le même nombre de pages (33) contient 195 articles et 14 titres.
Au niveau du Titre V, le chapitre I porte comme titre « Dispositions finales ». C’est probablement un automatisme de clavier qui a dû leur échapper ; on devrait logiquement lire « Dispositions générales ».
Le chapitre IV qui suit directement aurait dû être le chapitre II, la numérotation sous ce titre a été mélangée. Il conviendrait de porter ces corrections.
Au niveau des pouvoirs de la Cour constitutionnelle relatifs à l’élection du Président de la République, il y a une redondance entre le Titre III, chapitre I, article 49 et le Titre V, chapitre II (fausse numérotation), article 154. Il conviendrait de n’en faire qu’une seule disposition sous le chapeau de la Cour constitutionnelle.
A part ces quelques remarques qui méritent une attention particulière, le texte est très bien présenté.
Sur le fond
Il faut noter d’emblée que l’avant-projet de nouvelle Constitution a bien choisi sa vocation de nouveauté, car il rompt l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif, en réduisant les pouvoirs de ce dernier, et retouche le fonctionnement et le nombre des institutions à 7. Il en résulte une prépondérance poussée du pouvoir exécutif, au profit du Président de la République qui voit ses pouvoirs grossir de droit. C’est ce qui nous fait dire que le Mali est probablement au seuil d’un nouveau régime politique présidentialiste. Ce régime n’est pas en soi un mal, mais il le devient à coup sûr dans les mains d’une personne encline au nombrilisme. Il conviendrait donc de rehausser les garde-fous.
Voyons cela de plus près.
Les nouveaux pouvoirs du Président de la République
- Il détermine la politique de la Nation (article 44) ;
- Il met fin aux fonctions du Premier ministre, sans qu’il soit nécessaire que celui-ci présente la démission du gouvernement (article 57) ;
- Il nomme les autres membres du gouvernement, sans qu’il soit nécessaire que le Premier ministre les lui propose(article 57) ;
- Il s’adresse au Parlement réuni en Congrès sur l’état de la Nation, une fois, le premier trimestre de chaque année (article 61) ;
Les pouvoirs implicites du Président de la République
- Il conserve son pouvoir de dissoudre l’Assemblée nationale, puisqu’aucune disposition ne le lui interdise (article x, inconnu) ; il y a bien une raison pour laquelle on ne l’a pas écrit, puisqu’à l’article 69, dans l’avant dernier alinéa, il est clairement dit que le Président pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels ne peut dissoudre aucune des institutions ;
- Il peut désigner un quota parmi le ¼ des membres à désigner au Haut Conseil de la Nation (article x, inconnu) ; à l’article 97, l’autorité d’élection des ¾ des membres est précisée, en l’occurrence les représentants des collectivités territoriales, tant dis que celle de désignation du ¼ des membres représentant les légitimités traditionnelles et autres n’est pas identifiée.
Les pouvoirs extorqués au Parlement
- Le parlement ne peut plus censurer le gouvernement et provoquer de ce fait sa démission (article 79 de la Constitution de 1992) ;
- Il ne peut plus bloquer un projet de loi à cause des rapports entre ses deux chambres (alors que ce pouvoir de blocage est possible dans l’article 79 de la Constitution de 1992, par le jeu d’une motion de censure ).
Le “nouveau” pouvoir “boucan” du Parlement
- Il peut destituer le Président de la République en cours de mandat pour haute trahison (article 72).
En réalité, ce pouvoir n’est nouveau que dans ses modalités de mise en œuvre. Dans la Constitution de 1992 en vigueur, article 96, la Haute Cour de Justice (H.C.J.) émane de l’Assemblée nationale, donc du Parlement.
Bien qu’on ait supprimé la H.C.J., le Parlement demeure l’institution politique chargée de mettre en accusation et de juger le Président de la République pour haute trahison.
La procédure en la matière dans l’avant-projet de nouvelle Constitution est aussi complexe et politique que dans celle en vigueur ; il serait raisonnable de penser qu’une telle procédure de destitution ne pourrait jamais aboutir sous un régime politique dominé par les partis politiques.
Il conviendrait soit d’alléger la procédure de destitution dans l’avant-projet ou de préconiser un autre format où par exemple, une Commission composée de magistrats intègres et indépendants pourrait mettre en accusation le Président de la République pour haute trahison et confier son jugement à l’Assemblée nationale du Parlement.
Des innovations avantageuses
- Dans le préambule, il est introduit le principe de la lutte contre la corruption et l’enrichissement illicite, et celui de l’exemplarité dans la gouvernance de l’Etat ;
- Au Titre I, l’affirmation du droit de l’enfant à sa protection contre l’enrôlement dans les groupes extrémistes violents ;
- La définition du mariage conformément à notre culture, étant donné qu’elle est différente sous d’autres cieux ;
- Le devoir de l’Etat de protéger le mariage et la famille, reconnus comme fondement naturel de la vie en société ;
- Un chapitre à part (II) consacré aux devoirs ;
- Au Titre II, l’affirmation de la forme unitaire de l’Etat ; cela exclut toute possibilité de fédéralisme sous l’empire de cette Constitution une fois votée ;
- La reconnaissance du statut de langue nationale à toutes les langues parlées au Mali ;
- La reconnaissance de la vocation de toutes les langues nationales à devenir des langues officielles ;
- La possibilité pour l’Etat d’adopter par loi, une autre langue étrangère comme langue d’expression officielle que le français ;
- La définition de la laïcité conformément à notre acception endogène ;
- La reconnaissance du rôle de veille citoyenne de la société civile ;
- La réduction des institutions de la République à 7 ;
- Au titre III, l’augmentation du délai de campagne d’une semaine entre les deux tours de l’élection présidentielle ;
- L’augmentation du délai d’organisation d’une nouvelle élection par le Président de la République intérimaire, qui passe de 45 jours à 90 jours au moins et 120 jours au plus ;
- L’introduction dans le serment présidentiel, de la reconnaissance du droit pour le peuple à retirer sa confiance au Président s’il viole son serment ; cela pourrait se faire par l’activation de la désobéissance civile reconnue ou la procédure de destitution, du moins théoriquement ;
- La définition du fait qualifié de haute trahison ;
- La limitation des membres du gouvernement à 29, quelle que soit leur dénomination ;
- La responsabilité pénale des ministres peut être engagée durant leur fonction devant les juridictions pénales de droit commun ;
- Le devoir de l’Etat de veiller à la capacitation des Forces de défense et de sécurité à travers des lois de programmation ;
- Au Titre IV, l’interdiction de la transhumance politique ou d’organisation, en cours de mandat, sous peine de déchéance de son mandat ;
- La possibilité pour les membres du Parlement de destituer les présidents de leurs chambres ;
- Au Titre V, la reconnaissance des modes traditionnels de règlement des différends ; la loi devrait en faire un véritable système parallèle capable d’assouvir la soif de justice des citoyens; il faudrait aller au bout de cette logique ;
- L’obligation d’une sanction administrative pour les juges qui manqueraient les délais impartis par la loi, pour la rédaction de leurs jugements ;
- La possibilité pour les citoyens de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature ;
- La création de la Cour des comptes ;
- Au Titre VIII, la reconnaissance des légitimités traditionnelles et de leur mission de renforcement de la cohésion nationale et dans la gestion des conflits ;
- Au Titre XIII, la reconnaissance de la supériorité de la Constitution sur toute autre législation contraire et entrainant de facto son invalidité : c’est une bouffée d’oxygène qui soulagera des étourdissements subis lors des entrechocs ces derniers temps entre les textes de valeur constitutionnelle au Mali.
Des risques à pallier
- Au Titre III, la limite d’âge du candidat à la présidence de la République à 75 ans : vu la possibilité pour un Président de faire deux mandats, on peut se retrouver facilement à soigner permanemment un Président octogénaire, très affaibli physiquement ; il conviendrait de revoir cette limite d’âge à la baisse, à 65 ans par exemple ;
- Le Président de la République demeure le président du Conseil supérieur de la magistrature (C.S.M.) : les maliens ne cessent de demander son retrait de cette instance qui gère la carrière des magistrats, pour plus d’indépendance ;
- AU Titre IV, la non précision du mode de désignation du ¼ des membres du Haut conseil de la Nation : voir page 2, avant dernier paragraphe ;
- Au Titre V, La constitution de moitié du C.S.M. par des non magistrats dont le mode de désignation n’est pas précisé : il est fort possible que le Président déjà puissant ne s’en attribue la désignation d’au moins 1/3 ;
- La persistance du mode désignation foncièrement politique des juges de la Cour constitutionnelle, juges du référendum et de l’élection présidentielle : sous un régime dirigé par les partis politiques, le Président de la République peut facilement obtenir le choix de 5 des 9 juges ; des leçons doivent être tirées de la crise post-électorale de 2020 qui a enflammé le pays ; tout ce qui peut apparemment soutenir une perception de partialité des juges électoraux doit être supprimé ou corrigé ;
- La publicité des déclarations de biens du Président de la république et des membres du gouvernement par le Président de la Cour des comptes : les modalités de cette publicité ne sont pas précisées ; généralement les présidents des cours désignés se contentent de recevoir publiquement ces déclarations, et souvent de les mettre à la disposition du public sur demande, qui peut parfois trainer longtemps. Il conviendrait par exemple de faire obligation au Président de la Cour des Comptes de publier ces déclarations sur son site web, avant et après leurs fonctions. Mieux, il pourrait aussi les communiquer à la radio selon un programme déterminé et connu de tous, avant et après leurs fonctions de Président et de membre du gouvernement.
Au regard de tout ce qui précède, malgré quelques marges d’amélioration, et compte tenu du contexte actuel, la Commission de rédaction a fait un très bon travail. Elle mériterait une note de 16/20. C’est à l’instance d’adoption du projet de nouvelle Constitution d’améliorer davantage le texte, avec à l’esprit le seul intérêt supérieur de la Nation malienne qui survivra aux hommes et à leurs régimes politiques.
Dr Mahamadou KONATE, juriste publiciste, historien du droit, politologue, chargé de cours, FDPU