ÉDITORIAL. L’armée française continue de nier toute erreur dans ses frappes aériennes déclenchées, le 3 janvier, contre le village de Bounti, dans le centre du Mali. Mais au vu du rapport accablant publié mardi par les Nations unies sur les victimes civiles, le pire serait de ne pas faire complètement la lumière sur cette attaque antiterroriste survenue lors d’un mariage
La guerre menée depuis janvier 2013 au Mali par les forces françaises contre les djihadistes n’est pas comparable, par sa durée, son ampleur et le nombre de victimes, à l’interminable conflit en Afghanistan, dont les Etats-Unis et leurs alliés européens peinent tant à s’extirper.
Un parallèle, pourtant, peut être établi entre ces deux opérations militaires menées, au nom de la lutte contre le terrorisme, avec l’appui de bombardiers et de drones armés sur des théâtres lointains et périlleux. Chaque frappe aérienne, décidée sur la base de renseignements incomplets ou sans les garanties humanitaires indispensables, peut s’y transformer en massacre et en désastre pour les soldats qui interviennent, eux, sur le terrain. Avec pour conséquence de catalyser la colère de la population contre «l’occupant». Et d’alimenter la propagande meurtrière de ceux que l’on combat: les talibans afghans ou, au Sahel, les katibas (brigades) djihadistes affiliées à l’Etat islamique ou à Al-Qaida.
Rien ne sert, donc, de se voiler la face. Ce qui s’est passé dans le village de Bounti le 3 janvier, lorsqu’un mariage s’est retrouvé la cible de trois bombes larguées par des Mirage 2000, mérite bien plus d’explications et de détails que la moyenne des interventions de la force française Barkhane. Les 19 civils identifiés (sur au moins 22 tués) qui y ont trouvé la mort, «très majoritairement protégés contre les attaques au regard du droit international humanitaire» selon un rapport de la Mission des Nations unies au Mali publié mardi, engagent la responsabilité de la France et de ses alliés du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Tchad, Mauritanie, Niger). Discréditer la méthode d’enquête onusienne, répéter que les centaines de témoignages recueillis ne sont pas des… «preuves», et ne pas entrer en matière sur de possibles réparations aux familles des victimes, n’est pas une réponse acceptable de la part d’une armée qui affirme être là pour protéger les populations de l’étreinte islamiste.
La conduite d’une guerre moderne contre des insurgés souvent invisibles parce que noyés dans la population et maîtres ès attentats est un très lourd fardeau. Elle implique d’écrasantes responsabilités, et l’exemple de l’Afghanistan a montré combien les forces étrangères, lorsqu’elles ne font pas preuve de transparence sur leurs possibles bavures, mettent dans une position intenable les autorités locales et ceux qu’elles sont venues défendre. L’armée française a maintenant, avec ce rapport de l’ONU, une occasion impérieuse de répondre de nouveau aux accusations portées contre elle. Elle se doit de la saisir.