Selon le compte rendu de mission de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat français datant du 18 avril 2018, le succès relatif de l’opération Barkhane au Mali est en décalage total avec l’impasse politique dans laquelle semble embourbé l’accord de paix au Mali, à quelques mois des élections présidentielles qui doivent se tenir en juillet-août prochains.
Le message qui ressort de la lecture de ce rapport est assez pessimiste, malgré les succès militaires sur le terrain où 4 500 soldats français sont déployés au Sahel, pour un coût de 600 millions d’euros par an. Et si 21 soldats français ont laissé leur vie sur le sol malien depuis 2013, ce rapport fait aussi mention des succès tactiques de Barkhane qui a tué plusieurs dizaines de grands chefs terroristes.
La mission de Barkhane est impressionnante
Selon le compte-rendu, les missions de Barkhane sont gigantesques. Les forces françaises doivent à la fois lutter contre le terrorisme dans un territoire grand comme l’Europe, faire émerger la force conjointe G5 Sahel, soutenir les forces armées maliennes et la MINUSMA (l’opération de maintien de la paix des Nations unies) composée de 13 000 hommes pour un coût de 1 Md$/an. La France y contribue pour 6% environ.
L’EUTM-Mali, l’opération européenne de formation des forces armées maliennes, compte pour sa part 600 membres venant de 27 nations. Elle coûte 33 millions d’euros sur 2 ans. Quant à la force africaine conjointe G5 Sahel, elle mène des opérations sur 50 km de part et d’autre des frontières avec les armées nationales. Barkhane joue également dans ce dispositif complexe, un rôle central d’organisateur et de fédérateur.
Les moyens de Barkhane déployés sur 14 sites, sont impressionnants : 4 500 hommes, 21 hélicoptères, 370 blindés, 330 véhicules légers, 8 avions de chasse, 8 avions de transport, 5 drones. Barkhane a su s’adapter suivant 5 axes pour accroître son effet : plus d’agilité, plus de liberté de manœuvre, du renseignement utilisé en boucle plus courte, occuper plus longtemps le terrain, promouvoir le développement dans une approche globale, en apportant des services à la population : puits, ponts, kits pour les écoles…
L’insécurité se propage
Le potentiel militaire des groupes terroristes est désormais réduit, grâce à un effort très soutenu du renseignement. Ils n’ont plus de sanctuaire. Mais l’insécurité s’est propagée dans le centre au Mali. Au nord du pays, des attaques ont lieu sur les postes éloignés de la MINUSMA, qui paye un tribut lourd en blessés et tués.
Si l’emprise de Barkhane s’étend sur plusieurs pays, l’épicentre des opérations est au Mali. Les forces spéciales, basées à Ouagadougou, agissent essentiellement dans le Nord du Mali, par des opérations « coup de poing » sur du renseignement, parfois avec l’appui de Barkhane, qui se concentre sur la boucle du Niger élargie de Ménaka à Gao, notamment le long des routes nationales 17 et 20. Les opérations « Koufra », Koufra 1, Koufra 2, Koufra 3, s’enchaînent et inscrivent la présence de Barkhane sur le terrain dans la durée. Une opération Koufra mobilise pendant 4 semaines sur le terrain, 160 véhicules en colonne sur 10 km, 700 hommes, des hélicoptères, une couverture aérienne…
La formation des armées maliennes prend du temps
Les forces armées maliennes sont systématiquement associées à ces opérations. Le but est de leur permettre de s’autonomiser, de monter en puissance, pour mener à bien, progressivement, leurs propres opérations.
La participation européenne s’est améliorée au fil du temps. Les Allemands ont envoyé un contingent de plus de 800 soldats dans la MINUSMA, à Gao, où sont aussi présents les Pays-Bas. Un détachement de l’armée de l’air allemande opère aussi à Niamey avec deux avions Transall et une unité médicale. 23 Etats-membres participent à la mission de formation des forces armées maliennes. L’Italie a implanté une base au Niger. L’Union européenne soutient financièrement la force G5 Sahel. Trois hélicoptères lourds Chinook britanniques sont attendus prochainement à Gao. Le Canada va fournir prochainement un effort important pour la MINUSMA.
L’opération EUTM Mali dispense formation et conseil afin de contribuer à la restauration des Forces Armées Maliennes (FAMA). La mission est dans son 3e mandat, élargissant sa zone de travail jusqu’à Gao et Tombouctou avec un nouveau mode d’action décentralisé au niveau des régions militaires. Un 4e mandat sera défini en mai 2018.
Le pôle « Formation » de Koulikoro a entraîné 8 bataillons maliens, soit 12 000 hommes, afin de permettre leur engagement opérationnel. Différents cours sont assurés sur l’autorité et l’exemplarité, le respect du droit humanitaire, et surtout la formation de formateurs, pour aider à l’autonomisation des militaires maliens. Mais la mission européenne souffre de plusieurs handicaps. L’insuffisance en nombre de francophones impose le recours à des traducteurs, ce qui ne facilite pas la meilleure compréhension entre tous les acteurs. L’EUTM n’a pas de partenariat avec les écoles de sous-officiers, qui sont le maillon faible de l’armée malienne et un élément tout à fait central de la reconstruction de l’armée. Elle a formé 70 % des effectifs de l’armée de terre malienne. Mais les Maliens n’assurent aucun suivi des éléments formés. Les stagiaires sont éparpillés au lieu de les projeter en unités constituées, alors que les stages de 5 semaines de formation ont créé le minimum de cohésion qui fait si cruellement défaut aux unités. Selon le rapport, l’EUTM a besoin de soutien dans la reconstruction de l’armée malienne, même si on a parfois «l’impression d’arroser le sable».
La Minusma à la peine malgré ses énormes moyens
Les contingents de la MINUSMA comprennent des éléments venus du Niger, du Burkina Faso, du Sénégal et du Bangladesh, les éléments logistiques étant assurés essentiellement par le Togo, la Chine et le Nigéria.
La MINUSMA manque de ressources. Son plafond de 13 000 hommes n’est pas atteint. Chaque contingent apporte son matériel. Ainsi, il manque 200 véhicules, des drones, des hélicoptères… La MINUSMA est insuffisamment protégée, en particulier contre les engins explosifs. Assurer sa propre protection, consomme beaucoup de ses ressources. Elle déplore plus de 150 morts depuis son lancement.
La MINUSMA a aussi des défauts. Elle ne protège pas assez les populations civiles et reste confinée dans ses bases. Ses contingents sont inégaux. Les contingents africains, qui sortent le plus, sont insuffisamment préparés, formés et équipés. Ses contingents européens, les mieux équipés, ont parfois des restrictions nationales d’emploi qui les limitent.
La Mauritanie réticente
La force conjointe G5 Sahel, créée en février 2014, est une force transfrontalière. Elle rassemble le Niger, le Tchad, la Mauritanie, le Mali et le Burkina Faso. Elle prévoit d’abord une force frontalière et à terme, un bataillon par État. Le principe est de pouvoir entrer sur 50 km à l’intérieur du pays voisin, le long de trois fuseaux : fuseau centre, fuseau est, fuseau ouest. C’est le fuseau centre qui est le plus actif. Il s’agit d’une zone de deux fois 50 km le long des 1 800 km de frontière entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, soit 180 000 km2. 650 soldats nigériens constitueront la force conjointe qui devrait atteindre prochainement sa pleine capacité. Deux opérations ont déjà été conduites : HAW BI en octobre, PAGNALI en janvier, toutes deux avec le soutien de Barkhane.
Selon le rapport de la commission, le G5 s’appuie aujourd’hui sur des armées nationales parmi les plus faibles au monde. On ne saurait en attendre des miracles dans l’immédiat. La force conjointe est survalorisée sur le plan politique. Elle mettra des années pour atteindre une véritable efficacité opérationnelle. Si le Niger et le Tchad sont partants, la Mauritanie constitue, selon le rapport, un frein réel. Elle participe au G5 Sahel, mais il s’agit du pays le plus réticent pour la montée en puissance de cette force. Tout au long de sa mission, la commission dit avoir ressenti cette fragilité et ce manque d’investissement politique de la Mauritanie dans sa contribution au G5 Sahel. Des attaques dans la région centre du Mali, qui semblent venir du territoire mauritanien, y trouvent souvent refuge. La Mauritanie traîne les pieds à mobiliser ses troupes pour des raisons budgétaires, semble-t-il. Elle reste réticente à l’intégration du Sénégal dans le G5 dont les troupes sont présentes au Mali.
L’Algérie ne souhaite pas que les troupes françaises s’éternisent
Quant à l’Algérie, il suffit de regarder sur une carte pour comprendre que rien ne se règlera au Sahel sans elle. Il est impossible de concevoir la paix et la stabilité de cette immense région sans l’Algérie dont l’armée compte 3 000 000 d’hommes. Dans les années 90, elle a fait face à la terreur islamiste et a payé un lourd tribut avec 100 000 morts. Sa frontière avec le Mali est longue de 1 200 km.
L’Algérie a joué un rôle positif au cours de l’opération Serval. Elle a autorisé le survol de son territoire par des avions de guerre français. Elle a livré de l’essence à l’armée française. Elle a aussi parrainé les accords d’Alger en 2015. Mais aujourd’hui, elle est en arrière-plan. Les chefs terroristes neutralisés le 14 février dernier étaient à 900 m de la frontière algérienne. Mais au fond, l’Algérie ne souhaite pas que les troupes françaises s’éternisent dans la bande sahélo-saharienne. Elle joue un rôle ambigu pour la mise en œuvre de l’accord de paix dont elle est pourtant garante. Au-delà de sa collaboration de façade sur le dossier malien, certains se demandent quel est son engagement réel pour le retour de la stabilité politique et la lutte contre le terrorisme.
Les mouvements armé du nord ne jouent pas le jeu
De leur côté, selon toujours le rapport de la commission française, les mouvements armés signataires ne donnent pas non plus l’impression de vouloir jouer pleinement le jeu de l’accord de paix. Leurs représentants à Bamako donnent le change à la communauté internationale, tandis que dans le nord du Mali, les « affaires » continuent comme avant. On y connaît leur implication dans les trafics, de drogue en particulier.
Le rapport de la commission conclut sur une analyse plutôt pessimiste.
Le journal français « Le Canard enchaîné » affirme, dans son édition du 14 mars 2018 que selon l’Etat-Major de l’armée française, la guerre au Mali serait perdue d’avance. La hiérarchie n’aurait plus le moral. Les chefs militaires seraient de plus en plus pessimistes, désabusés voire irritables dès qu’il est question du Sahel ou de la chasse aux terroristes.
Selon le même journal, les chiffres rendus publics par le ministère des armées, l’armée française n’a réussi à éliminer que 450 djihadistes et à en capturer 150, d’août 2014 à février 2018. Quant à la durée d’une telle mission, l’Etat-Major se serait montré peu rassurant. En ce qui concerne la reconstruction des armées africaines, son estimation est d’au moins 10 à 15 ans pour celle du Mali. C’est dire que les militaires français devront rester encore fort longtemps au Sahel, du fait du manque de formation, de moyens et de combativité de cette « fausse armée » appelée G5.
3000 djihadistes tiennent tête à une armée de plus de 30 000 hommes et leurs équipements
Cependant comment expliquer, selon le journal, que 3000 djihadistes selon l’estimation du renseignement militaire français, puissent tenir tête aux 4500 hommes de la force Barkhane équipée de blindés et protégée par des avions, des hélicoptères et des drones espions et bientôt tueurs. Il faut rappeler que les français ne sont pas seuls. En plus des 11700 casques bleus et 1740 policiers de la MINUSMA, des 13000 hommes de l’armée malienne, un contingent de 800 militaires américains est basé au Niger voisin. Avec des drones espions, il fournit aux français, une somme importante de renseignements sur les déplacements des terroristes. Les rapports militaires font état des « difficultés opérationnelles » face à une guérilla composite. Selon un rapport de l’ONU daté du 2 mars, c’est la situation sécuritaire et humanitaire déplorable des Etats membres du G5 qui favorise la montée en puissance des groupes djihadistes. C’est dans ce guêpier que l’armée canadienne annoncée, risque de s’enliser, pour protéger les installations des industries minières.
Malgré les promesses faites, les contributions financières et matérielles au G5 tardent à se concrétiser. Dernièrement, le conseil de sécurité de l’ONU a refusé, sous injonction des USA, de le financer. En outre, il a refusé un renforcement du mandat de la MINUSMA afin de le rendre plus robuste et plus offensif. Dans ces conditions, que faut-il attendre du G5 ?
Mondafrique