Les uns après les autres, rapports et témoignages dressent depuis 2015 un bilan étourdissant de la répression contre l’opposition et du système de terreur qui s’enracine au Burundi. En vain. Pendant ce temps, le président Pierre Nkurunziza assoit son pouvoir. Trois événements quasi simultanés confirment ce constat : une Constitution à sa main, le principal mouvement rebelle armé décapité et la porte claquée au nez de la Cour pénale internationale (CPI), dont le pays est, vendredi 27 octobre, le premier à se retirer.
Sur le plan institutionnel, le président – âgé de 53 ans et à la tête de l’Etat depuis douze ans – se donne les moyens de s’éterniser au pouvoir. Mardi 24 octobre, le gouvernement a adopté un projet de réforme constitutionnelle qui lui ouvre la voie pour se représenter en 2020, voire en 2027 (les mandats passant de cinq à sept ans). Le nouveau texte, travaillé en amont depuis près de deux ans dans les collines burundaises où le pouvoir est ancré, pourrait être soumis à référendum au début de 2018.
Dans la lettre, cette Constitution – dont l’AFP a pu donner les grandes lignes – ne toucherait pas à l’un des piliers de l’accord d’Arusha d’août 2000 qui avait mis fin à la guerre : les quotas entre Hutu et Tutsi dans la fonction publique, dont les services de sécurité. « Mais l’esprit n’y est plus », tranche Christian Thibon, historien et spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs. Fini le temps des discussions et des longues négociations. Le dialogue avec l’opposition, présenté comme imminent par Bujumbura, est mort faute d’interlocuteurs crédibles et de rapport de forces équilibré.
L’issue du référendum constitutionnel ne semble d’ailleurs comporter guère d’incertitude. « Au vu de l’état d’une opposition terrorisée et de la faiblesse de la rébellion armée, la seule contestation pourrait, à la rigueur, venir de l’intérieur du système. Notamment de ceux qui, au sein du CNDD-FDD [le Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie, au pouvoir], s’opposent à la dérive monarchique du régime », ajoute Christian Thibon.
Les mouvements de rébellion armés, déjà désunis, viennent de subir un sérieux revers. Samedi 21 octobre, quatre cadres des Forces populaires du Burundi (ex-Forebu) ont été arrêtés dans l’est de la Tanzanie. Parmi eux figurent le général Jérémie Ntiranyibagira, un ancien compagnon d’armes du président Pierre Nkurunziza, devenu depuis le chef des Forces populaires depuis leur changement de nom, fin août, et son adjoint, le colonel Edouard Nshimirimana.
Dérive autoritaire
Selon deux bonnes sources burundaises, les deux plus hauts responsables de la rébellion n’auraient pas été extradés au Burundi, synonyme d’arrêt de mort. Ils seraient détenus dans un endroit tenu secret en Tanzanie, sur le territoire de laquelle « ils sont entrés avec de faux passeports congolais ». « Ces arrestations sont un coup très dur pour ce mouvement créé récemment, sans véritable structure ni hommes de troupes », ajoute l’une de ces sources. « D’ailleurs, c’est probablement pour recruter dans les camps de réfugiés où figurent d’anciens policiers ou militaires déserteurs qu’ils étaient venus en Tanzanie », complète notre second interlocuteur.
L’opposition extraparlementaire est tout aussi démunie. En 2015, l’amendement constitutionnel passé en force pour que Pierre Nkurunziza puisse se porter candidat une troisième fois avait jeté une partie de la population dans les rues et créé des divisions dans l’armée. Ce soulèvement avait été violemment réprimé : entre 500 et 2 000 morts, selon les estimations, et plus de 400 000 réfugiés dans les pays voisins. Et il a provoqué une très franche dérive autoritaire du régime. « Les gens vivent dans la terreur, personne n’ose bouger pour le moment », rapporte le sociologue André Guichaoua, spécialiste de la région.
Dans un rapport rendu public le 4 septembre, une commission d’enquête de l’ONU sur le Burundi estimait avoir « des motifs raisonnables de croire que des crimes contre l’humanité ont été commis, depuis avril 2015, et continuent d’être commis » dans le pays. Elle appelait une enquête de la CPI et à la mobilisation de l’Union africaine (UA).
Une population terrorisée
Sur ce point aussi, Pierre Nkurunziza n’est pas resté les bras croisés. Vendredi 27 octobre, le Burundi quitte le traité de Rome et n’est donc plus membre de la CPI. Son adhésion, théoriquement, obligeait les autorités burundaises à coopérer avec les enquêteurs internationaux. Certes, la CPI a ouvert le 25 avril 2016 un « examen préliminaire [qui] porte essentiellement sur des actes de meurtre, d’emprisonnement, de torture, de viol et d’autres formes de violences sexuelles ainsi que sur des cas de disparitions forcées survenus depuis avril 2015 ». Mais aucune enquête n’a été officiellement ouverte. Avec le retrait du Burundi, la tâche sera beaucoup plus compliquée pour la justice internationale. Sans oublier que la commission d’enquête de l’ONU n’a jamais été autorisée à se rendre dans le pays.
La décision de Bujumbura de quitter la CPI avait été applaudie par l’UA, qui juge la Cour coupable d’acharnement sur l’Afrique. Preuve, entre autres, que le Burundi n’est plus aussi isolé diplomatiquement sur la scène africaine qu’il le fut au plus fort de la répression. Fin septembre, Bujumbura a d’ailleurs pu compter sur la quasi-totalité des représentants africains – sauf le Rwandais – siégeant au Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme pour adopter une résolution limitant drastiquement la marge de manœuvre des enquêteurs internationaux au Burundi.
« Le pays n’est pas isolé sur la scène africaine. Ses voisins, notamment, ne tiennent pas à faire appliquer au Burundi des règles de gouvernance ou de longévité du pouvoir qui les desserviraient. Il joue aussi sur un sentiment anti-occidental partagé par beaucoup de pays africains », analyse Christian Thibon. « Et puis, ajoute André Guichaoua, travailler à la résolution de la crise au Burundi, petit pays sans grands enjeux stratégiques, ne représente aucune valeur ajoutée pour les pays de la région. » Ni pour la France, ni pour la Belgique, ancienne puissance coloniale, ni pour les Etats-Unis.
Résultat : le pouvoir renforce, dans une grande indifférence, son emprise sur un pays dont la population, terrorisée, plonge chaque jour davantage dans la misère. La croissance du PIB est passée de 4,5 % en 2014 à – 4 % en 2015. « Le gouvernement arrive jusqu’ici à résister aux sanctions économiques internationales même si les dépenses de l’Etat diminuent. Mais une économie parallèle s’est créée et, finalement, l’isolement les arrange », estime Charles Ndayiziga, du Centre d’alerte et de prévention des conflits, à Bujumbura.