Aux récriminations des premiers qui se plaignent des lenteurs dans la réparation des sinistres, les seconds opposent des explications alambiquées et nient toute mauvaise foi
Au marché de Médine, un groupe de chauffeurs devisent tranquillement sous un hangar. Nous les approchons pour recueillir leurs avis sur l’utilité des assurances automobile. Tout d’un coup, l’ambiance devient terne. Les humeurs commencent à s’assombrir. Les critiques à l’encontre des assureurs pleuvent. Un monsieur nous dirige vers Oumar Diarra, un syndicaliste, visiblement habilité à parler au nom du groupe.
L’homme ne se fait pas prier pour évoquer le sujet. Il fustige : «Je suis dans le secteur du transport depuis plus de 25 ans. Je ne vois aucune utilité à prendre l’assurance auto dans ce pays. Ce genre de système doit être arrêté».
Oumar Diarra estime que les transporteurs continuent d’assurer leurs véhicules parce que c’est obligatoire. En cas d’accident, l’assuré paie lui-même les frais de réparation par peur de passer plusieurs mois au chômage à cause des lenteurs des services d’assurance concernant la réparation des dommages, ajoute le conducteur. Notre interlocuteur dit que les assureurs répètent en boucle lorsque vous demandez réparation : «Tu as tort ou pas, ton assurance ne prend pas en charge de tels dommages. On n’a pas reçu le procès-verbal (PV)». « Ils ne vous donnent pas tous ces détails au moment de vous inscrire à l’assurance. Or 97% des transporteurs sont des illettrés », fait-il remarquer.
Nous embarquons dans un taxi et engageons la conservation avec le taximan sur l’assurance. Ousmane, c’est son nom, est lui aussi très critique vis-à-vis des assureurs. «En cas d’accident, tu passes des jours à faire des va-et-vient. Ils te demandent de chercher telle ou telle pièce. C’est à eux de le faire, de t’assister dans les démarches puisqu’ils vivent de cela. Pour éviter les pertes de temps, tu es obligé de t’occuper toi-même des réparations pour ne pas laisser ta famille mourir de faim», argumente le chauffeur de taxi.
Un passager à bord du taxi qui écoutait religieusement la conversation n’a pu s’empêcher de réagir.
«Personnellement, je prends l’assurance parce que c’est obligatoire et pour éviter d’être importuné par la police en cas d’accident. Sinon l’assurance est nulle au Mali», confirme le quadragénaire. «Ce mois-ci, un monsieur a cogné l’arrière de ma voiture. Nous avons préféré gérer la situation à l’amiable. Si nous avions attendu l’assurance pour la réparation, nous aurions attendu des mois», déplore-t-il.
INCOMPRÉHENSION- Ces plaintes et récriminations sont-elles fondées ? Ce sont de simples accusations, rétorque le directeur général de NSIA Assurances, Issa Mahamadou Maïga. «Je pourrais vous dire que cette appréhension n’est qu’une malencontreuse incompréhension à l’instar de tous les pays de la Cima. L’assurance automobile est, sans doute, la branche d’assurance la plus familière aux assurés, mais la connaissent-ils vraiment ?», s’interroge-t-il.
Pour lui, le rôle de l’assureur en matière de dédommagement est mal compris. En la matière, précise le directeur général, la première difficulté qui pourrait se poser, au moment de la souscription, est de faire comprendre à l’assuré que la garantie responsabilité civile automobile couvre uniquement sa responsabilité vis-à-vis des tiers et non son propre véhicule.
«Malheureusement, certaines victimes d’accident de la circulation prétendent à tort à un dédommagement pour des atteintes au corps du véhicule même en cas d’assurance responsabilité civile. Ces derniers, dans l’ignorance, désavouent l’assureur», argumente-t-il.
Le patron de NSIA Assurances reconnaît qu’à ce niveau certains assureurs ne respectent pas leur obligation à la souscription qui consiste à expliquer aux prospects les garanties qui leur conviennent et les circonstances de leur mise en application en amont.
La deuxième difficulté, selon Issa Mahamadou Maïga, est la gestion des sinistres depuis leur survenance jusqu’au paiement des indemnités ou dommages. à ce niveau, le Code des assurances (Cima) oblige les assurés à déclarer le sinistre dans un délai imparti. L’assuré sinistré doit aussi communiquer le PV de constat pour pouvoir situer les responsabilités, déterminer les circonstances du sinistre par les autorités chargées du constat ou tout autre moyen, l’évaluation du sinistre sur la base d’un devis circonstancié ou avis médical.
Selon lui, ces éléments sont fondamentalement requis pour permettre à l’assureur d’enclencher la procédure d’indemnisation. «Il est important de signaler que l’intervention de ces professionnels peut prendre du temps. La communication du PV, la détermination des préjudices et du coût entraînent un temps de traitement relativement long du dossier qui ne se traduit nullement par une mauvaise foi de l’assureur», se défend Issa M. Maïga.
Le directeur général de NSIA Assurances estime que l’accès à ces dossiers et leur exploitation est un parcours du combattant. «Le véritable problème existe au niveau des brigades de gendarmerie. Elle refusent de donner les copies des PV aux parties, encore moins aux assureurs, surtout le cas des sinistres transfrontaliers.
Il s’y ajoute l’incohérence entre les renseignements fournis dans le PV sur les caractéristiques des véhicules impliqués et les données contenues dans les documents des assureurs. Il existe souvent des confusions entre la description des circonstances et le croquis schématique. Toutes choses qui expliquent souvent la lenteur dans le traitement des sinistres responsabilité civile automobile et même les sinistres matériels», ajoute-t-il.
SANCTIONS-Pour sa part, le secrétaire général du Comité des compagnies d’assurances du Mali rappelle que les compagnies sont réglementées par une structure supranationale. «Elles n’ont pas intérêt à faire ce qu’elles veulent et à ne pas payer les sinistres. Elles sont obligées de le faire sous peine de recevoir des sanctions», renchérit Mahamadou Fofana. Pour lui, le public interprète mal les clauses du contrat relatif l’assurance automobile.
Fofana explique qu’en la matière, lorsque vous endommagez un véhicule en le cognant et un phare de votre voiture est aussi cassé, l’assurance prend en charge intégralement les frais de réparation des dommages que vous avez causés à l’autre voiture. « Mais, vous-même ne serez pas indemnisé », précise l’expert. Car, dit-il, vous n’avez pas acheté cette garantie-là. «Dans le contrat, il est bien mentionné des dommages causés à un tiers.
Mais quand vous avez raison et que quelqu’un d’autre vous cogne, vous voyez votre assureur pour ouvrir un dossier. Elle vous demande si vous avez un PV de constat et vous faites un devis de réparation qu’il transmet à l’autre assurance qui doit réparer les dommages», explique l’administrateur du Comité des compagnies. « Si le devis est surévalué par le garagiste, l’assureur peut le corriger sur des bases techniques qui sont méconnus du grand public », prévient-il.
En cas d’accidents graves, les dégâts sont souvent évalués à un ou deux millions de Fcfa. Dans ce cas, l’assureur commet un expert évaluateur qui va déposer un rapport chiffré. En cas de contestation, l’autre partie a le droit de faire une contre-expertise. «Si ce rapport est également contesté, les experts s’entendent pour faire appel à une tierce expertise», rassure le spécialiste, ajoutant que le dossier est injecté dans le circuit pour paiement lorsque toutes les parties sont d’accord.
La procédure prend une autre tournure lorsqu’il s’agit d’un accident corporel, selon Mahamadou Fofana. «Quand la personne a un pied cassé, cela peut prendre six mois, voir un an. Il faut donner le temps pour que le malade soit guéri. Quand il sera guéri, si la victime a des séquelles suite à l’accident, on fait une expertise pour savoir à quel taux ces séquelles sont évaluées. Souvent l’assureur peut payer une provision à la victime à la demande de son avocat», précise le secrétaire général.
Aussi, des projets sont en cours pour améliorer la prise en charge des assurés et des victimes. La Carte brune de la Cedeao et le Fonds de garantie automobile, non encore opérationnels, entrent dans ce cadre, révèle Mahamadou Fofana qui explique que la Carte brune assure à l’automobiliste la garantie complète d’une indemnisation prompte, équitable et immédiate pour tout accident qu’il pourrait causer en dehors de son territoire de résidence habituelle.
Le Fonds, lui, assure la prise en charge des indemnités dues aux victimes d’accidents de la circulation routière ou à leurs ayants droit au titre des dommages corporels subis, lorsque le responsable de ces dommages demeure inconnu ou non assuré.
Aminata Dindi SISSOKO
QUE DISENT LES TEXTES ?
L’assurance automobile occupe la première place des produits d’assurance. Elle représente précisément 30% du chiffre d’affaires global généré en 2018 avec un ratio sinistre à primes de 22%.
Au Mali, deux textes encadrent l’assurance automobile. Il s’agit de la loi n°68-11/AN-RM du 17 février 1968 et son décret d’application n°82 PG-RM du 18 mai 1968 et au niveau supra national l’article 20 du code Cima. Toute personne physique ou morale est assujettie à l’obligation d’assurance, à l’exception notable de l’état qui est son propre assureur.
Cependant, toutes les assurances ne sont pas obligatoires. C’est la responsabilité civile que la loi rend obligatoire. Au Mali, la quasi-totalité des propriétaires de véhicules se contente de l’assurance obligatoire. Dans ce cas précis, l’assurance ne prend en charge que le préjudice subi par le tiers. Il s’agit des dommages corporels et matériels à la suite d’un accident ou d’un incendie ou d’une explosion.
Que dit le contrat d’assurance responsabilité civile automobile ? C’est la véritable garantie obligatoire du véhicule mis en circulation. Au moyen de laquelle l’assureur couvre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que peut encourir l’assuré du fait des dommages corporels ou matériels causés à des tiers au cours et à l’occasion de la mise en circulation du véhicule assuré et ayant pour origines : un accident, un incendie ou une explosion prenant naissance dans le véhicule, les accessoires ou produits servant à son utilisation ou dans les objets ou substances qu’il transporte, la chute des accessoires, produits, objets ou substances.
Le contrat obéit à certaines obligations relevant de l’assuré : la déclaration de toutes les circonstances connues de lui du risque. C’est-à-dire le véhicule à la souscription et au moment d’un sinistre, le paiement de la prime. L’obligation principale de l’assureur est le paiement de l’indemnité.
A. D. S.
Source : L’ESSOR