Jour J. À quelques longueurs du début de la Coupe du monde, le mercato vient d’ouvrir ses portes et apporte avec lui son lot de tracas et de rumeurs quotidiennes. Dans le même temps, joueurs, sélectionneurs et agents vont devoir jongler entre Mondial et transferts à tout va.
C’est l’épisode un d’une nouvelle saison, avec nouveau scenario et nouveaux acteurs au casting. Le mercato ouvre ses portes ce samedi et devient, comme chaque année, la mise en bouche économique de la saison à venir. Pourtant, comme tous les quatre ans, c’est une autre compétition qui s’entremêle avec les transferts : la Coupe du monde. Evidemment, «le marché n’est pas en stand-by», comme le confesse Alain Giresse, qui a connu les épopées de 1982 et 1986 avec l’équipe de France ainsi que la victoire à l’Euro 1984. Et même si l’on assiste à peu de transactions et que les finalisations se font rares et épineuses, directeurs sportifs, présidents, agents mais aussi joueurs restent en éveil. C’est le cas de Jean-Pierre Bernès, qui gère entre autres les intérêts de Nabil Fekir, Florian Thauvin et Didier Deschamps. «Vous avez deux solutions. Soit le transfert se fait avant, soit après. Certains dirigeants vont très vite. Mais là, cette année, on a pu voir qu’il y a eu peu de transferts pour la période pré-Coupe du monde, du moins pour les top joueurs. Il n’y pas de règle exacte et c’est souvent un mercato qui dure assez longtemps», détaille l’ancien dirigeant marseillais reconverti. En somme, une période où tout se passe, mais où rien ne se fait, alors que beaucoup de talents sont amenés à se révéler.
«Il y a tout un protocole qui fait oublier aux joueurs les à-côtés»
Pour les joueurs, évidemment, il s’agit d’être prudents et de faire la part des choses. «On a pu suivre le cas Umtiti, qui était en pourparlers avec Barcelone pour prolonger, décrit Alain Giresse. Ce n’est évidemment pas lui qui le fait en direct, mais il est concerné. Ça s’insère dans sa préparation. Et surtout, chacun gère et traite son problème à sa façon.» Loin des clubs mais mis au courant via leur(s) agent(s), leur famille ou les médias, les joueurs sont parfois susceptibles de s’éloigner des pensées footballistiques et de la priorité du terrain. Philippe Troussier, ancien sélectionneur de l’Afrique du Sud et du Japon, a pu vivre cela, même si, pour lui, le joueur doit pouvoir le surmonter. «Dans sa préparation mentale, ça peut le perturber. Mais dès qu’il enfile un short, des chaussettes et part sur le terrain, tout est oublié. Ça peut le perturber, oui, mais uniquement après la douche ou à l’hôtel, quand il lit ses mails ou ses messages. Mais pendant le match, ça ne change rien. Puis il y a tout un protocole qui fait oublier aux joueurs les à-côtés. La marche du matin, la causerie, le vestiaire, qui n’est pas qu’un endroit pour se changer, l’échauffement, le couloir qui mène au terrain… Dans ces moments-là, il y a des messages transmis par l’entraîneur et les leaders. Il n’y a qu’à voir les visages. Donc ils oublient, au moins momentanément, tout ce qu’il se passe dehors. Le mercato est vite oublié, ou en tout cas, il ne pèse pas lourd.»
«L’idée, ce n’est pas d’aller perturber un joueur en lui disant : “tu as reçu un contact“ ou “tu es supervisé“. C’est trop important pour qu’on puisse galvauder cette compétition.»
Pour Alain Giresse, un transfert vers un grand club peut même avoir l’effet inverse, en termes de confiance et de positivité. «Un joueur d’Amiens, s’il signe à Barcelone, ce ne peut avoir que du positif, détaille l’ancien joueur de Marseille et de Bordeaux. Et pour la Coupe du monde, ce sont des internationaux. Les joueurs français, tout le monde les courtise. Ce n’est pas la situation de ceux qui sont absolument en recherche d’un club.» Pour les sélectionnés, il s’agit néanmoins de se tenir informer. Et si certains font abstraction, leur futur les importe et il ne faudrait pas faire de mauvais choix. «Pour garder le contact, ça dépend des sélections, il y a de tout, narre Laurent Gutsmuth, agent licencié à la FFF et représentant d’intermédiaires sud-américains en France, notamment pour Javier Pastore, Thiago Silva et Daniel Alves. Maintenant, pour le peu de sélections que je connais, on demande aux joueurs de régler leurs problèmes avant ou après, mais certainement pas pendant, pour ne pas que ça les perturbe. Nous, les agents, on leur dit surtout de se concentrer sur leur Coupe du monde. L’idée, ce n’est pas d’aller perturber un joueur en lui disant : “tu as reçu un contact“ ou “tu es supervisé“. C’est trop important pour qu’on puisse galvauder cette compétition.» Et pour le joueur, c’est aussi à double-tranchant. «S’il est totalement perturbé, c’est simple, il va se retrouver sur le banc de touche, conclut Alain Giresse. C’est tant pis pour lui !»
«Comme entraîneur, on ne peut pas le gérer»
Pour le sélectionneur, le mercato peut aussi se transformer en un casse-tête chinois insoluble. Démarre alors la mission de trouver le subtil dosage entre restriction et dialogue. «
L’entraîneur lit la presse, vit le truc en direct, raconte Philippe Troussier, qui avait affronté la France avec l’Afrique du Sud en ouverture du Mondial 98.
Il est le père de la maison et il est sensible à ce qu’il peut se passer. Et effectivement, il peut en parler. Pas forcément de façon formelle, dans un bureau, mais il y a beaucoup de moyens pour pouvoir en discuter avec son joueur. Que ce soit au petit déjeuner, en buvant un café ou autre. Ça fait partie du vivre-ensemble, et ça, pour Didier Deschamps par exemple, c’est très important. Si on prend le cas Griezmann, je pense qu’il doit lui en parler. Non pas comme une menace en lui disant : “règle tes problèmes“. Mais en le conseillant, en lui partageant sa propre expérience.»
En tant que sélectionneur, c’est aussi le moment de se métamorphoser en patriarche attentif. À l’image de Didier Deschamps, qui a dernièrement accordé à Samuel Umtiti l’autorisation d’aller signer son nouveau contrat à Barcelone, certains sélectionneurs n’hésitent pas à se montrer courtois. Ancien du Gabon, du Mali et du Sénégal, Alain Giresse glisse une anecdote à propos d’un rassemblement : «Ça m’est arrivé d’en discuter avec mes joueurs et même d’organiser un déplacement pour un cas exceptionnel. Le joueur était dans un tel état de soulagement quand il a signé… Mais c’était bien tombé. Le club avait affrété un avion privé, lui était suspendu. Il a fait l’aller-retour et on a fait en sorte de le faire.» Une situation bien évidemment impossible à imaginer en période de Coupe du monde, alors qu’Alain Giresse, conscient des difficultés d’un coach, nuance à raison. «Après, comment voulez-vous gérer le mercato en étant sélectionneur? Je prends un autre exemple. Comment voulez-vous gérer un joueur qui a son fils malade? L’aspect professionnel, ce n’est pas le plus dramatique évidemment, mais cela peut préoccuper le joueur. Et l’entraîneur, la seule chose qu’il peut interdire au joueur, c’est d’aller signer son nouveau contrat en Angleterre, en Italie ou en Espagne. Quant à l’agent, s’il n’est pas là physiquement, on ne peut bien sûr pas confisquer les téléphones. Cela fait partie de la vie privée. Cet élément-là, ce n’est pas gérable pour un sélectionneur.»