C’est notre compatriote Amadou Maïga, président de la section Mali du Réseau des journalistes pour la paix, la sécurité et le développement en Afrique de l’Ouest, qui préside également le RASALAO (Réseau d’Action sur les Armes Légères en Afrique de l’Ouest). Acteur engagé de la société civile, Amadou Maïga dispose d’une expertise avérée dans le domaine de la lutte contre la circulation des armes. Dans cet entretien qu’il a bien voulu nous accorder, il évoque la situation sécuritaire en lien avec la prolifération des armes légères.
En votre qualité de Président du RASALAO, quelle lecture faites-vous de la situation sécuritaire du Mali, essentiellement la prolifération des armes légères, un domaine dans lequel vous évoluez depuis plusieurs années ?
La situation sécuritaire du Mali n’est pas dramatique, elle est plutôt inquiétante. Elle l’est, compte tenu du comportement même de nous, Maliens, et nécessite l’implication de tous les citoyens maliens. Le Mali est au centre de toutes les problématiques sécuritaires dans le Sahel.
Le besoin de sécurisation des citoyens s’est accru avec les trafiquants de drogue et coupeurs de routes. Ce qui a fait en sorte que les armes sont partout au Mali et tout le monde en possède. Vous avez vu ce qui s’est passé à Bankass où le Président de la République s’est rendu, il y a quelques semaines. Vous avez observé des populations désemparées. Ces communautés vivent ensemble depuis des années.
L’état sécuritaire est aggravé par la circulation illicite des armes légères et beaucoup de choses engendrent l’état sécuritaire. Regardez la tenue militaire. Elle est portée aujourd’hui par n’importe qui. On voit dans la rue tout ce qui est normalement réservé aux éléments des forces de défense et de sécurité. Actuellement beaucoup de gens portent les tenues militaires et détiennent des armes pour effrayer les gens, braquer ou voler.
La situation sécuritaire qui prévaut au Mali aujourd’hui nécessite que chacun de nous s’engage à son niveau et dénoncer tous ceux qui détiennent les armes sans autorisation. Ce n’est pas le cas. Vous voyez, les armes circulent n’importe comment. Il faut mettre fin à cela. Je vous rappelle que le port d’arme n’est pas interdit au Mali. Il faut une autorisation de port d’armes qui est délivrée après plusieurs années d’enquête. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Seules, les forces de défense et de sécurité ne peuvent pas gagner le combat de la lutte contre la prolifération des armes légères sans l’aide de la population. Il faut que la société civile, à tous les niveaux (village, commune, cercle, région et district de Bamako), s’engage en donnant simplement l’information, en sensibilisant, en organisant les ateliers, des rencontres pour informer les gens. C’est comme ça qu’on peut venir à bout. La lutte contre la circulation des armes légères illicites doit être l’affaire de tout le monde.
- le Président, vous aviez dénoncé la transformation de la Commission nationale de lutte contre les armes légères en Secrétariat permanent. Quelle est votre perception sur cette réforme ?
La Commission nationale de la prolifération des armes légères consacrée par la convention de la CEDEAO a été ratifiée et signée par tous les pays membres de la CEDEAO à Abuja le 14 juin 2006. Selon cette convention, la commission doit être logée au plus haut niveau de l’Etat, ou à la présidence de la République ou au secrétariat général.
La Commission nationale doit informer le Président de la République sur la situation sécuritaire conformément à la circulation des armes légères. Elle suit la mise en œuvre des conventions et traités ratifiés par le Mali dans ce domaine. Elle doit aussi sensibiliser et aider les structures comme le RASALAO et d’autres dédiées à la lutte contre la prolifération des armes légères. Elle doit organiser les activités de sensibilisation de la société civile.
La Commission nationale du Mali est l’une des premières à voir le jour dans l’espace CEDEAO. A l’époque, elle était logée à la Présidence de la République alors que d’autres étaient rattachées au ministère de l’Intérieur. Beaucoup de pays de la CEDEAO sont venus s’inspirer de l’exemple du Mali. A chaque rencontre sur les armes légères, on citait le Mali comme pays modèle, l’un des premiers gouvernements champions dans la lutte contre la prolifération des armes légères dans l’espace CEDEAO.
Une réforme aurait, semble-t-il, remplacé cette commission nationale par le Secrétariat permanent de lutte contre les armes légères. Lequel est rattaché au ministère de la Sécurité intérieure et de la Protection civile alors que la Commission nationale relevait de la Présidence de la République. Personnellement, je ne sais pas pourquoi cette réforme. Nous n’avons pas été informés, c’est la convention de la CEDEAO qui consacre cette commission.
C’est un recul pour le Mali, conformément à la convention de la CEDEAO. C’est un recul dans la lutte contre la prolifération des armes légères, c’est un recul même politiquement. En tant que membre de la société civile, nous demandons ce qui se passe.
Le RASALAO est l’une des structures principales. On a fait le tour de la CEDEAO pour sensibiliser sur la convention de la CEDEAO et le Traité sur le commerce des armes TCA, le dernier ratifié par le Mali. Ces actions ont été menées avec la Commission nationale et la Direction nationale des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères.
J’ai dirigé moi-même plusieurs missions dans les pays de la CEDEAO où nous avons rencontré des présidents et des premiers ministres. Tous nos interlocuteurs ont reconnu la pertinence de la question et estimaient qu’en réalité chacun de nous doit s’impliquer dans la lutte contre la prolifération des armes légères.
La mission de la Commission nationale, c’est de sensibiliser afin que les gens ne fassent pas recours aux armes et comprennent que l’arme est réservée aux porteurs d’armes autorisés par la loi. La mission même de la Commission nationale, c’est le faire-faire. Elle doit travailler avec les organisations de la société civile qui évoluent dans le domaine. Malheureusement, il y a une sorte d’amalgame. On prend toutes les organisations de la société civile, or nous sommes dans cette affaire depuis longtemps.
La Commission nationale est essentiellement politique, pas militaire. C’est pour que la population puisse comprendre qu’elle doit être impliquée dans la lutte contre la prolifération des armes légères.
Le Mali est cité en exemple mais dès qu’il y a eu cette réforme qui a transformé la commission nationale en secrétariat permanent, on ne parle plus du Mali. Des pays de la sous-région qui se sont inspirés de l’exemple malien n’arrivent pas à comprendre la situation au Mali. Récemment, quelqu’un m’a dit : « Président, c’est chez vous qu’on est parti s’inspirer mais maintenant, c’est vous qui venez vous inspirer chez nous. On était rattaché au ministère de l’Intérieur mais maintenant on est à la Présidence de la République ».
Selon vous, à l’état actuel des choses, quel peut être le rôle des acteurs de la société civile dans la lutte contre la prolifération des armes légères ?
Notre rôle, c’est la sensibilisation, le plaidoyer. C’est aussi soutenir les forces de défense et de sécurité en leur donnant l’information. Il s’agit également de soutenir toute initiative de l’Etat qui conforte la sécurité, qui va contre le port illégal d’arme.
Au niveau du RESALAO, nous prônons la criminalisation du port illégal d’armes. Dans le temps, on voyait la police militaire traquer dans les rues, tous ceux ou toutes celles qui portaient des tenues militaires. On ne voit plus cette police militaire. Il faut qu’elle soit rétablie pour mettre de l’ordre.
Il faut que les gens s’organisent aujourd’hui pour aider les forces de défense et de sécurité. On doit les soutenir. On doit les aider pour qu’elles aient la bonne information, pour qu’elles puissent tracer les armes volées. On doit sensibiliser et informer les autres concitoyens.
La société civile doit vulgariser les conventions, les traités sur les armes. Ces missions doivent être menées avec le Secrétariat permanent. Nous pensons au niveau du RASALAO qu’il faut donner à ce secrétariat toute la plénitude des prérogatives de l’ancienne commission nationale.
Propos recueillis par Chiaka Doumbia et Bintou Diarra
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