Ce natif de Ménaka est un artisan dont la renommée a traversé nos frontières. Ses théières et ses stylos en or et en argent lui ont valu des distinctions de l’Unesco
Dans son atelier, sis à Kalabancoura, Alhassane Ag Agaly, turban blanc enroulé autour de la tête, est assis sur un tapis au milieu de ses nombreux outils de travail, des morceaux de fer, d’argent et de bois. Il fait fondre un morceau d’éteint sur une enclume en marbre, puis y ajoute quelques pincées de poudre blanchâtre. Il allume le chalumeau qui laisse jaillir une flamme bleue sur le mélange. Il obtient par la suite une boule de couleur ocre. Cette boule est d’abord trempée dans un liquide pour le refroidir.
Puis, il la ramène sur une petite enclume en fer pour le frapper à coups de marteau afin de l’épaissir. La matière est ensuite passée dans une machine installée dans l’autre angle de l’atelier, appelé le laminoir, afin de l’étirer. Ce morceau étiré servira de matière à souder pour le bijoutier.
Ce geste, le bijoutier le répète en longueur de journée. Le geste est capital pour confectionner les différentes œuvres des plus anodines aux plus célèbres comme la théière, le stylo, les bagues, les colliers, les boucles d’oreilles, le bracelet, les boucles de ceinture etc…
Le bijoutier travaille l’argent, l’or, le bois d’ébène, des pierres semi-précieuses. Sa maîtrise des différentes techniques de gravure sur métal fait de Alhassane Ag Agaly un orfèvre hors pair. Ses gravures sont la marque du temps et de son univers du désert fait d’étoiles, de lune, de soleil, de dunes de sable, de chameaux et parfois de quelques signes du « Tifinart », l’alphabet touareg.
Théière à 1,5 million de Fcfa- Des pièces qui ont fait de ce natif de Ménaka, un artisan connu à l’international. En 2000, il remporta le prix Unesco de la création artisanale avec une théière originale. Entièrement conçue en argent, environ trois kilogrammes, avec des fils d’or, cette théière en forme de vase est dotée d’un bec rallongé contrairement aux formes habituelles que nous connaissons. Fabriquée uniquement sur commande, cette théière coûte de nos jours 1,5 million de Fcfa. L’artisan révèle avoir vendu une dizaine du modèle.
En réalité, c’est depuis 1997 qu’il a eu l’idée de fabriquer ce modèle de théière. Dans un premier temps, il essaya le modèle de la théière mauritanienne. Puis, le modèle d’origine chinoise. Finalement, il s’est rendu compte qu’il était en train d’imiter des créations récentes ou celles d’autres pays. Dès lors, il a décidé de rechercher une forme originale afin que son produit ne ressemble pas ce qui est connu. Après plusieurs dessins, il a choisi cette dernière forme qui a été unanimement saluée par des modélistes et des historiens de l’art.
Suite au prix de l’Unesco, Alhassane continue de recevoir des commandes pour la théière. De nombreuses commandes viennent de nos compatriotes et des étrangers installés chez nous. Compte tenu de sa qualité esthétique et de sa valeur marchande, cette théière est un produit de luxe. Elle est offerte en cadeau aux personnalités et les amateurs d’art la gardent dans leurs collections ou l’utilisent comme objet de décoration.
Notre orfèvre fabrique aussi des stylos en argent ou en or. Ces écritoires se vendent bien. L’artisan révèle en avoir vendu plus d’une centaine depuis 2007. Il fut un temps où c’était le cadeau préféré des chefs d’État ou de gouvernement en visite dans notre pays. Les autorités maliennes en commandaient régulièrement. Ces stylos sont livrés généralement avec un étui en cuir décoré. Parfois, l’étui est à son tour protégé dans une boîte toujours en cuir. Avec ce stylo, il a obtenu le Label Unesco en 2007. Ce Label d’excellence est une marque d’approbation qui garantit que le produit artisanal, ou la ligne de produits fabriqués respecte les critères de qualité définis et a été élaboré conformément aux exigences d’authenticité culturelle et de protection de l’environnement.
Pendentifs en bois d’ébène- Autre objet et non des moindres revisités par Alhassane, ce sont les pendentifs en bois d’ébène. Il s’agit en fait de l’une de ses premières créations en 1995. Des objets qui ont remporté un véritable succès auprès de la gent féminine. L’artisan ne cache pas sa fierté de voir que son pendentif a fait le tour du monde et lui a valu sa première distinction par l’Unesco lors du Salon international de l’artisanat de Ouagadougou (SIAO) au Burkina en 1996.
L’Unesco entend par produits artisanaux les produits fabriqués par des artisans, soit entièrement à la main, soit à l’aide d’outils à main ou même de moyens mécaniques, pourvu que la contribution manuelle directe de l’artisan demeure la composante la plus importante du produit fini.
Ces produits sont fabriqués sans restriction en termes de quantité et en utilisant des matières premières prélevées sur des ressources durables. La nature spéciale des produits artisanaux se fonde sur leurs caractères distinctifs, lesquels peuvent être utilitaires, esthétiques, artistiques, créatifs, culturels, décoratifs, fonctionnels, traditionnels, symboliques et importants d’un point de vue religieux ou social.
Quand on l’interroge sur le coût élevé de ses productions, il invoque le prix fluctuant des matières premières comme l’argent et l’or. L’artisan est donc obligé de réajuster chaque fois le prix de son œuvre en fonction du prix du marché de ces intrants. Ces derniers flambent parfois à tel point qu’il remet à plus tard la livraison de certaines commandes.
Avant 2012, il exposait régulièrement au Mali, au Burkina Faso, en France, en Allemagne, en Belgique, en Norvège en Suisse, au Pays, en Espagne, au Portugal, en Grande Bretagne et même États-Unis d’Amérique. Il déplore l’arrêt des Foires artisanales du Mali, en France et d’autres pays d’Europe. « Cette belle initiative du ministre Ndiaye Ba a fait beaucoup de bien à l’artisanat malien », insiste-t-il. Après chaque édition de la Foire de la Bourse du travail de Paris (France), Alhassane pouvait prendre quelques jours, voire quelques semaines de vacances. Ce qui lui donnait la possibilité de réfléchir à d’autres projets de créations.
À la crise sécuritaire qui avait déjà donné un coup d’arrêt au voyage des touristes dans notre pays, est venue se greffer la pandémie de la Covid-19. Pour lui, « les artisans sont les premières victimes de ces différentes crises car les touristes constituent la plus grande partie de notre clientèle. Actuellement on se débrouille, on essaie de faire avec la population et les quelques Occidentaux qui sont là. J’ai perdu 70% du chiffre d’affaires ».
AUTODIDACTE
C’est en 1991 que le jeune touareg de Ménaka a fait ses premiers pas dans la bijouterie et depuis lors, il a évolué pour être reconnu sur le plan international. Seul dans la famille à se spécialiser en bijouterie, ce quadragénaire dit avoir choisi ce métier parce qu’il estime que c’est un secteur moderne où il peut évoluer plus que la forge qui selon lui, est plus locale.
C’est dès l’âge de 7 à 8 ans qu’il commença à apprendre le métier de la forge avec son père. Il dit avoir refusé de continuer à fréquenter l’école, car il aimait travailler le bois et le fer.
Arrivé à Bamako à l’âge de 20 ans en 1991, il décide de se tourner vers la bijouterie. Alhassane estime qu’il n’avait plus d’apprentissage dans ce dernier métier car pour eux il n’y a pas de différence : dans la forge on apprend à travailler tous les métaux, le bois et même le cuir.
Comme difficultés, cet autodidacte affirme être confronté au changement des prix des matières premières qui fluctuent beaucoup. « Souvent l’argent coûte cher ce qui nous oblige à revoir les prix des produits ce qui a pour conséquence, la diminution de la clientèle », confie-til.
Sur la crise sécuritaire, notre interlocuteur a son idée. « Notre problème c’est la pauvreté, si on oublie cela, il y aura difficilement la solution au problème du Nord de notre pays », estime Alhassane Ag Agaly qui rappelle que le Mali est un pays où les peuples et les ethnies ont vécu ensemble pendant des siècles dans la paix et dans l’harmonie.
« S’il n’y a pas de paix, on perd toute notre identité car notre identité pour nous les Maliens c’est la paix, la cohésion sociale. Il faut que tous les Maliens se ressaisissent pour aller vers la paix », exhorte l’artisan.
Y. D.
Source : L’ESSOR