aba Dakono, chercheur à l’Institut d’études de sécurité, alerte sur le regain de tensions entre communautés dans le nord-est du pays.
Près d’une cinquantaine de personnes ont été tuées dans la région de Ménaka, dans le nord-est du Mali, entre le 26 avril et le 1er mai. Pour les milices actives dans la zone, les victimes seraient des civils tués par des « assaillants non identifiés », alors que cette région frontalière du Niger est connue pour être une plaque tournante de la contrebande et des activités des groupes terroristes.
Baba Dakono, chercheur à l’antenne de Bamako de l’Institut d’études de sécurité (ISS), s’intéresse au lien entre l’extrémisme violent et la criminalité organisée dans les espaces frontaliers du Liptako-Gourma (zone à cheval sur le Burkina Faso, le Mali et le Niger). Il analyse les récents événements dans cette région où le premier ministre malien, Soumeylou Boubèye Maïga, s’est rendu le 9 mai.
Comment expliquez-vous cette escalade de la violence dans la région de Ménaka ?
Baba Dakono Ce qui se passe à Ménaka est une conséquence d’opérations militaires menées contre les groupes qualifiés de « terroristes », dans un environnement conflictuel mais sans prendre la juste mesure des enjeux locaux. Avec, entre autres, la belligérance entre Touareg et Peuls, récurrente sur la frontière Mali-Niger. Les interventions militaires contribuent à changer les rapports de force entre groupes de population. D’un côté, certaines communautés, afin de disposer de puissance militaire, concourent à des alliances de circonstances et d’intérêt, y compris avec des groupes « terroristes ». De l’autre, des groupes ethniques surfent sur l’appui des forces armées françaises de « Barkhane » pour régler des comptes et asseoir leur suprématie dans la région. Ainsi, les conflits locaux se sont exacerbés.
Qui sont les principaux acteurs de cette crise ?
D’abord, il faut situer Ménaka dans son contexte historique et géographique. La région se trouve dans le triangle Abala-Efrakane-Andéramboukan, qui s’étend au-delà de la frontière malienne. Ce triangle abrite de nombreuses communautés, notamment des Daoussaks, des Imghads, des Tollébés (Peuls) et des Wodaabés. Depuis de nombreuses années, à la faveur des accords de paix, au Mali et au Niger, une bonne partie d’entre elles a été intégrée dans les forces de défense et de sécurité de ces deux pays. Les autres combattants ont été pris dans des activités criminelles et plus tard terroristes.
Aujourd’hui, il existe une floraison d’acteurs armés, certains étatiques et d’autres non. Ainsi, en plus de la Minusma, de « Barkhane » et de l’armée malienne, la Coordination des mouvements de l’Azawad [CMA], le Mouvement pour le salut de l’Azawad [MSA], le Groupe armé touareg Imghads et alliés [Gatia] et de nombreuses milices armées cohabitent. Dans le triangle, vers la frontière avec le Niger, le MSA et le Gatia affrontent régulièrement des groupes dits « terroristes ».
Y a-t-il d’autres causes à l’insécurité dans cette région ?
Il faut d’abord rappeler que la porosité des frontières et l’incapacité des Etats à assurer la sécurité dans les zones concernées font de ces espaces une base arrière propice pour divers groupes criminels et terroristes. Ensuite, les affrontements interviennent dans un environnement sécuritaire précaire, caractérisé par la persistance de la menace terroriste. Enfin, la combinaison de ces points rend souvent la population elle-même actrice de l’insécurité. Sans oublier que le terrorisme et la lutte antiterroriste sont mis en avant par les acteurs, suivant leur position, pour asseoir leur suprématie sur les autres communautés.
Depuis quelques mois, la force « Barkhane » appuie les milices du Gatia et du MSA pour combattre les « groupes armés terroristes » de cette région. Quels sont les risques liés à cette stratégie ?
Le principal risque est l’exacerbation des tensions et une instrumentalisation de l’appui des forces françaises à des fins sociopolitiques locales.
Que devrait faire le gouvernement malien face à cette situation ?
La montée de la violence à Ménaka interpelle, au-delà des autorités maliennes, l’Etat voisin du Niger et l’ensemble des partenaires du pays sur la nécessité de prendre en compte les dimensions sociologiques et historiques des tensions au sein des communautés et entre elles. En plus des réponses focalisées sur les aspects militaires, il est important d’intégrer des offres de services plus adaptées aux besoins des communautés afin de réduire le fossé, qui n’est pas que géographique, entre les capitales et les localités périphériques. Cette solution offrirait une légitimité supplémentaire à l’Etat pour agir dans ces localités.
Le Monde