«En 2019, il a été porté à la connaissance de la Cellule de renseignement financier (CRF) du Mali, que des expatriés d’origine asiatique ont clandestinement transféré hors du pays la somme totale de 11.138.566.776 Fcfa. Cette note d’information a été traitée comme une Déclaration d’opération suspectée (DOS) et le rapport d’enquête qui en a résulté, a été transmis au parquet. Cette affaire porte à 124.031.986.496 Fcfa, le montant suspect pisté par la Centif en 2019… ». C’est ce qui ressort du rapport d’activité de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) remis à la presse, le mercredi dernier, à la faveur d’un déjeuner de presse qu’elle a organisé dans un hôtel de la place.
D’entrée de jeu, le président de la Cellule, Marimpa Samoura, a rappelé la place et les missions de l’institution qu’il dirige. Selon lui, la loi n°2016-008 du 17 mars 2016 portant loi uniforme relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, dispose en son article 60, que la Centif est chargée de recevoir les Déclarations d’opérations suspectes de leur traitement et leur transmission devant les Procureurs dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
À cet égard, au plan opérationnel, la Cellule est chargée de recueillir, analyser, enrichir et exploiter tout renseignement propre à établir l’origine ou la destination des sommes ou la nature des opérations ayant fait l’objet d’une déclaration ou d’une information reçue. Elle reçoit aussi toutes autres informations utiles nécessaires à l’accompagnement de sa mission notamment celles communiquées par les autorités de contrôle ainsi que les officiers de police judiciaire qu’elle traite, le cas échéant comme en matière de déclaration d’opération suspecte (DOS). Elle peut demander la communication d’informations détenues par elles et susceptibles d’enrichir les DOS.
Au plan stratégique, elle peut effectuer ou faire réaliser des études périodiques sur l’évolution des techniques utilisées aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme au niveau du territoire national. Elle anime et coordonne, en tant que de besoin, au niveau national et international, les moyens d’investigations dont disposent les administrations ou services relevant du ministère chargé de la Sécurité ainsi que les organismes qui y sont rattachés pour la recherche des infractions induisant des obligations de déclaration.
Elle participe également à l’étude des mesures à mettre en œuvre pour faire échec aux circuits financiers clandestins, au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. Elle développe, en relation avec les directions concernées du ministère en charge des Finances, de ceux en charge de la Justice et en charge de la Sécurité, l’action internationale de lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Fort du pouvoir que lui confère la loi, la Centif a reçu des assujettis, 62 déclarations d’opérations suspectes (DOS), dont 56 en provenance de 11 établissements bancaires, 5 émanant du Système financier décentralisé (SFD) et une d’une entreprise et profession non financière désigné (EPNFD). Ces déclarations ont porté sur la somme de 12.643.419.720 Fcfa.
Également dans le cadre des échanges de renseignements et conformément à l’article 78 de la loi uniforme, la Centif a été saisie d’une Cellule partenaire d’une information relative à des opérations de transferts d’argents clandestines effectuées par des expatriés asiatiques installés dans notre pays. Pour des besoins d’enquête, nous tairons le nom du pays en question. Mais, le montant en jeu est très important pour le passer sous silence. Il s’élève exactement à environ 887.867.440 Fcfa.
Le rapport indique que l’opération s’est déroulée entre le 1 septembre et le 9 décembre 2019. Les ressortissants de pays tiers ont été aidés dans leurs opérations clandestines par des collaborateurs maliens. Grâce au service d’une firme internationale de transfert d’argent, dont nous tairons le nom pour ne pas gêner l’enquête, ces expatriés et leurs complices maliens, au nombre de 108 personnes, ont réussi à rapatrier vers leur pays d’origine ce montant faramineux au moyen de transferts. Qui a nécessité au total 298 opérations de transferts en l’espace de 3 mois.
Selon notre interlocuteur, les montants fractionnés envoyés par opérations individuelles variaient entre 2.900.000 et 3.000.000 de Fcfa afin de contourner les règles de transfèrement appliqué par la société. Celle-ci consiste à présenter un justif pour tout dépôt supérieur à 3.000.000 de fcfa. Mais, bien malin, celui qui prend les autres pour des sots. Ces opérations clandestines ont été observées dans un pays voisin qui a immédiatement alerté la Cellule malienne. Aussitôt informée, celle-ci a ouvert une enquête qui lui permit de mettre le grappin sur les délinquants.
L’affaire a été transférée à la justice. Aux dires des responsables de la Cellule, beaucoup d’autres affaires ont été portées devant les tribunaux. Mais, la complexité des dossiers fait que le dénouement prend parfois du temps. N’empêche, les enquêteurs de la Cellule ne s’encombrent pas de cette lourdeur de la Justice, a assuré le patron de la Centif.
Auparavant, le magistrat maison, Modibo Sacko et le secrétaire général de l’Institution, Coulibaly Fatoumata Hako, ont entretenu les journalistes sur les enjeux de l’information dans le travail de la Centif. Tous les deux ont insisté sur les effets contraires qu’une communication non maîtrisée peut avoir sur le travail des enquêteurs de la Centif. Pour ce faire, tous les deux ont plaidé pour une communication intelligente des actions de ce dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme du fait de la complexité de la matière à combattre.
Dans certains pays notamment en Europe ou aux États-Unis, les structures similaires sont totalement barricadées pour maintenir la discrétion absolue autour de leur activité. Cela pour non seulement marquer d’un sceau particulier la confidentialité de leurs opérations, mais aussi éviter toute possibilité de fuite d’informations. Pour cela, les agents qui y travaillent, vivent dans l’anonymat absolu, d’abord pour plus d’efficacité ensuite pour leur sécurité. Car, les présumés coupables de ces genres d’opérations clandestines n’hésitent pas sur les moyens pour parvenir à leur fin. Ne dit-on pas sous certains cieux que «la fin justifie les moyens» ?
Amadou O. Diallo