La conduite de la Transition à bon port est une équation qui tenait déjà de la quadrature du cercle, au regard des graves empiétements sur les délais par rapport à la lourdeur de ses missions et tâches. Mais aux inquiétudes en a paradoxalement rajouté l’annonce du chronogramme électoral par le gouvernement, qui a révélé du coup toute la teneur et la dimension réelle des enjeux qui entourent la gestion du processus électoral et le cours de la Transition.
En attestent pour le moins les réactions diverses suscitées par la publication du document, correspondant à autant de positions, calculs et intérêts divergents. Tandis que les uns s’en réjouissent et y voient une volonté manifeste de démarcation de toute velléité ou malice d’éternisation, d’autres y pressentent une trahison des attentes ayant sous-tendu le soulèvement populaire et la chute du régime défunt : chasse aux soi-disant fossoyeurs de la République et leur mise à l’écart, etc., bref, un nettoyage de l’écurie d’Augeas apparemment motivé par une intention évidente de déblayer le terrain avant l’ouverture de tout compétition électorale. Toutes choses qui ressortent dans les coups de gueule que le chronogramme des élections a inspiré à son contempteur principal, le quatrième vice-président du CNT. Issa Kaou Djim, il s’agit de lui, n’est vraisemblablement pas le seul à ne pas se hâter pour régulariser l’après IBK. Et pour cause, il fait figure de référence pour tout ce qui touche aux intérêts du chef de file de la junte putschiste, Hachimi Goïta, dont il porte vaillamment le projet politique ainsi que l’ambition présidentielle non encore démentie.
Or qu’il soit attitré ou autoproclamé, le porte-voix du colonel vice-président s’oppose sans fioriture – et avec autant d’assurance que de véhémence – au schéma de sortie de transition proposé et envisagé par le gouvernement. Il prévient, par conséquent, d’une hostilité ouverte et sans concession contre l’application du chronogramme officielle des élections.
À l’horizon se profile dès lors une bataille rangée entre partisans d’une transition ponctuelle et d’une transition extensible, une dichotomie qui préfigure une paralysie très plausible du processus de régularisation institutionnelle tel que gagé auprès de la communauté internationale. En effet, ces dissensions affichées et quasi-insolubles confortent pour le moins un certain pessimisme que légitiment tous les indices d’une joute électorale au rabais quant à leur faisabilité et aux critères d’acceptabilité de leur crédibilité par les principaux acteurs du jeu électoral : un territoire hors de contrôle administratif aux deux-tiers, une fiabilité nuancée tant par les obstacles à l’expression des suffrages que par les interrogations sur le fichier électoral. Autant d’ingrédients de la contestation que risque de grever un travail de sape déjà annoncé par les adversaires du chronogramme et en passe de se manifester sous forme de blocage de toute la législation afférente aux différentes joutes. Comme qui dirait une déstabilisation de la Transition par empêchement jusqu’à son désarmement légal par épuisement de son échéance.
Une conjuration du mal pourrait éventuellement passer par un contournement des obstacles par une réduction du processus électoral à sa plus minime dimension possible (l’élection du seul président de la République), mais avec le péril de faire face aux réactions imprévisibles des protagonistes dont le compte réside dans les joutes différentes.
En définitive, la Transition est plutôt bien parti pour consommer le temps qui lui est imparti sans l’accomplissement des missions qui lui sont assignées, scénario qui le prédestine logiquement au même sort que le régime d’ATT voué à l’agonie aux ultimes instants d’une retraite paisible. A moins d’une union sacrée peu plausible de la classe politique au nom d’une préservation de l’essentiel contre les bourrasques d’une crise déjà si aigüe, les pouvoirs actuels courent le risque de devenir une proie plus facile à cueillir que ceux qui les ont précédés.
A KEÏTA
Source : Le Témoin