Grâce à Point-Afrique, une agence de voyages française soutenue par N’Djamena, cette ville de la bande sahélo-saharienne pourrait devenir une oasis touristique dans un désert d’insécurité.
Qui mieux que Maurice Freund sait que survivre dans le désert est un combat permanent ? Grand connaisseur du Sahara, ce Français, qui dirigea la compagnie Air Mali il y a vingt ans, est un précurseur du système des charters. Mais depuis six ans, Point-Afrique, l’agence de voyages qu’il a fondée en 1995, vit sur le fil du rasoir. “En 2007, explique-t-il, nous avons fait voyager 48 000 personnes dans la région. En 2008, année où quatre Français ont été assassinés en Mauritanie, 12 000. Et en 2011, moins de 1 000…”
Ces quatre dernières années, les pertes de sa coopérative à but non lucratif, connue pour ses actions en faveur du tourisme durable dans le Sahel, se chiffrent à près de 7 millions d’euros. “Notre trésorerie est à plat”, admet Maurice Freund. Depuis que les groupes jihadistes ont installé leurs bases dans le Sahara, les destinations phares de Point-Afrique ont été progressivement abandonnées pour des raisons sécuritaires : Gao au Mali, Agadez au Niger, Tamanrasset en Algérie, Sebha en Libye, Atar en Mauritanie (un pays dans lequel l’agence fera son grand retour en 2014)…
Dans cette traversée du désert, l’espoir renaît là où personne ne l’attendait : à Faya-Largeau, dans le nord du Tchad, carrefour des guerres de ces trente dernières années. Les canyons de l’Ennedi, le volcan de l’Emi Koussi, les lacs d’Ounianga : ces paysages merveilleux, Maurice Freund en rêvait depuis longtemps. Mais “il était impossible d’y aller en raison des multiples rébellions”. En 2011, quand les armes se taisent dans la région, le vieux baroudeur (71 ans) tente le coup et se rend à N’Djamena où, à sa grande surprise, il reçoit un accueil enthousiaste. “L’État nous a apporté une grande aide et le président Idriss Déby Itno a été très impliqué dès le début”, se souvient le Français.
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En février 2012, premier vol entre Marseille et Faya-Largeau. Problème : l’armée française, qui utilise la piste, refuse de fournir le carburant aux avions affrétés par Point-Afrique. L’agence est donc contrainte de procéder à des escales qui coûtent cher. Sur les trois premiers vols, les pertes se chiffrent à 220 000 euros. N’Djamena réagit, prend en charge 50 % des pertes et s’engage à fournir du carburant. Il faut dire que, depuis quelques années, les autorités ont entrepris d’attirer des visiteurs. L’Office tchadien du tourisme, créé en 2007, a pour objectif d’en accueillir 500 000 en 2020.
Si le pays est ravi, la France, elle, s’inquiète de voir des centaines de ses ressortissants fréquenter une zone que le ministère des Affaires étrangères déconseille fortement aux voyageurs, “sauf raisons impératives”. Le Quai d’Orsay a envoyé plusieurs courriers à Point-Afrique pour la dissuader de maintenir cette liaison, et l’armée française, véritable maîtresse des lieux, s’est montrée de moins en moins coopérative. Sur place, un sous-officier affirme pourtant que “la zone est sous contrôle”.
À peine plus de 500 clients cette année pour Point-Afrique
Pour la saison touristique 2013-2014, qui a débuté en décembre et se terminera en mars, une agence de voyages spécialisée dans les destinations extrêmes s’était engagée à prendre 40 places dans chacun des onze vols. “Mais après des pressions du Quai d’Orsay, elle a annulé”, regrette Maurice Freund. En novembre, le taux de remplissage étant trop faible, Point-Afrique a envisagé d’abandonner. Mais Idriss Déby Itno, de passage à Paris, s’est entre-temps engagé à financer une partie des vols, à hauteur de 180 000 euros. “Ça nous a sauvés”, assure le fondateur de l’agence.
Les comptes n’en restent pas moins fragiles, et les clients sont rares (à peine plus de 500 cette année). Maurice Freund reconnaît qu’aller à Gao ou Agadez aujourd’hui relèverait du suicide, mais il soutient que le nord du Tchad est sécurisé. “L’armée tchadienne connaît nos itinéraires et nous suit de près. Et nous avons établi des liens très forts avec les Toubous [les habitants de la zone, réputés méfiants], qui ont vite compris l’intérêt qu’ils avaient à nous aider. Sans leur collaboration, je n’enverrais personne là-bas”, affirme le Français. Pour lui, développer un tourisme équitable au Tchad est fondamental : “Abandonner cette région serait une grave erreur. Si les jihadistes s’y implantent, on ne les en délogera jamais.”