La justice malienne, à travers une lettre (N°285/PG-Cs) que le Parquet général de la Cour Suprême vient d’adresser à l‘Assemblée Nationale (siège de la Haute Cour de justice), laisse envisager la possibilité de l’ouverture de poursuites judiciaires contre le président déchu, Amadou Toumani Touré, en exil au Sénégal.
Dans cette correspondance, le Parquet Général énonce un certain nombre de griefs sur la base desquels celui qui a dirigé le pays, de 2002 à 2012, pourra comparaître un jour devant la justice de son pays.
Au terme de cette correspondance du Parquet général, ATT pourra être entendu, en sa qualité de président de la République et chef suprême des Armées au moment des faits, d’avoir «facilité la pénétration et l’installation de forces étrangères sur le territoire national », « d’avoir détruit ou détérioré volontairement un outil de défense nationale, la démoralisation de l’armée et l’opposition à la circulation du matériel de guerre»…
Ces dernières années, notre pays a souffert d’un manque de responsabilités qui peut se situer à plusieurs niveaux et jusque dans la haute sphère de l’administration. Il est évident que «Pour l’honneur du Mali et Pour le bonheur des Maliens », il faut laisser la justice se saisir de tous les cas où le pays a subi des torts.
Dans ce cadre, ATT, président démocratique élu et renversé par un coup d’Etat militaire, peut parfaitement être entendu par la justice de son pays, comme c’est le cas de bien d’autres personnes aujourd’hui.
Mais, comme aime souvent le dire un homme politique bien connu de la place : «il faut savoir raison garder».
En effet, comment comprendre que dans un pays où la justice ne manque ni de ressors ni de canaux de communication appropriés, que ce soit le gouvernement qui se substitue à celle-ci, aux cours et aux tribunaux, pour informer l’opinion publique sur une question relevant de la compétence de la justice?
Comment justifier cette énième intrusion de l’Exécutif dans le domaine du judiciaire et dans un pays où les magistrats tiennent à leur indépendance comme à la prunelle de leurs yeux.
La question que beaucoup se posent dès lors est celle-ci : Pourquoi le gouvernement de Oumar Tatam Ly ne laisse t-il pas le soin à la justice (souveraine ?) de choisir l’opportunité de communiquer sur une telle question ? Dès lors, la vérité n’est-elle pas à chercher ailleurs ?
A travers cette sortie médiatique, l’Etat ne cherche t-il pas à détourner l’attention de l’opinion qui, ces derniers temps, est particulièrement tournée vers la question de la libération toujours attendue de Kidal ? Est-ce une simple coïncidence que cette lettre du Parquet général datant du 18 décembre dernier, ne soit rendue publique que le vendredi 27 décembre dernier, c’est-à-dire le même jour où des organisations de la société civile ont investi les rues de Bamako pour exprimer leur frustration et exiger de l’Etat que toute la lumière soit faite sur le cas de Kidal où la France est soupçonnée d’entretenir une certaine complicité (complaisance) avec le Mnla.
Face à un problème aussi urgent comme l’intégrité du territoire, ils sont assez nombreux nos compatriotes à s’interroger sur l’opportunité de ce communiqué du gouvernement qui tombe dans un contexte qui lui enlève toute pertinence. Tel un cheveu dans la soupe.
Certains vont jusqu’à se demander comment la justice peut prendre une telle décision à un moment où le pays existe à peine, et où une procédure aussi grave, comme celle visant le général Amadou Haya Sanogo, attend d’être conduite à son terme.
Quand on est en face de questions aussi urgentes, la logique veut qu’on évite de disperser inutilement ses efforts.
La fragilité du climat social est-il favorable à ce que ATT soit tout de suite jugé ? L’ancien président de la République a, peut-être, commis tous ceux dont la justice veut aujourd’hui le poursuivre ; mais il s’agit de faits qui ont, à la limite, été cautionnés par certains hommes politiques aujourd’hui aux affaires. Au nom du consensus, un «plat» autour duquel ATT avait, en son temps, convié la classe politique. La plupart des hommes politiques ont préféré faire le choix de leurs propres intérêts, en regardant le pays…sombrer dans la déliquescence.
Aujourd’hui, vouloir entendre ATT est, certainement, normal pour la justice malienne. Elle est, en effet, parfaitement dans son rôle. Mais le véritable défi est, aujourd’hui, de savoir jusqu’où la justice est-elle prête à aller pour situer toutes les responsabilités, directes et indirectes, affichées ou non, dans les faits qui ont concouru à l’effondrement de notre pays.