Lutte contre la corruption et la délinquance financière ou chasse aux sorcières, besoin de justice ou soif de vengeance, 2014 recèle bien d’interrogations. En tout cas, cette année pourrait être l’occasion d’un vrai départ pour la démocratie si certains se décidaient enfin d’exorciser les vieux démons.
Comme cadeau de meilleurs vœux au peuple malien, le président de la République a décrété 2014, année de la lutte contre la corruption. Déjà, la chasse aux délinquants financiers et criminels à col blanc est ouverte. Cette bonne résolution à peine prise, la patronne du FMI débarque à Bamako, le 08 janvier, et promet monts et merveilles aux nouvelles autorités. Qui croient donc avoir à vivre une année tranquille. Pourtant, Ibrahim Boubacar Kéita a bien de soucis à se faire. Il doit, en effet, même s’il se défend de devenir l’otage de quelqu’un, faire face à deux menaces latentes que son opportunisme politique a entretenues et confortées.
La première provient des mouvements islamistes
Nés dans un contexte favorisant de prolifération de mosquées et de medersas, lieux privilégiés de prêches d’endoctrinement, ceux-ci veulent prendre encore plus d’importance en jouant un rôle majeur sur la scène politique. Ils sont sûrs qu’IBK leur doit son élection à la magistrature suprême, et en veulent pour preuve leur soutien «massif» au président du RPM lors de la campagne électorale. A cet effet, des mouvements ont été officiellement créés. Parmi les plus connus, l’un, une association proche du guide d’une secte musulmane, a lancé son mot d’ordre de ralliement à IBK depuis Nioro, l’autre, un parti politique islamique, réputé proche d’un célèbre et populaire prêcheur et chef d’une association islamique, a battu campagne pour IBK. Du reste, il a été donné aux nombreux Maliens de voir IBK à leurs côtés lors de meetings ou autres manifestations de foule. Ils sont assurés qu’IBK est un des leurs parce que ce dernier ne manque jamais de commencer, de ponctuer et de terminer ses diatribes par des versets coraniques. A une certaine époque, plusieurs fins observateurs de la scène nationale et quelques acteurs politiques avaient jugé que ce flirt entre acteur politique, qui se dit républicain et démocrate, et responsables de mouvements islamiques était dangereux.
Flirt dangereux
De fait, ces responsables de mouvements islamiques étaient tellement sûrs d’un retour de l’ascenseur de la part du nouveau chef de l’Etat que certains d’entre eux se sont présentés aux élections législatives sur des listes communes à eux et au RPM. Le succès attendu n’a pas été au rendez-vous, même si le parti islamique a obtenu un siège parlementaire dans la région de Kayes. Ce succès relatif mais prometteur peut s’expliquer par l’éloignement et l’isolement de cette région par rapport au reste du pays. Partout ailleurs, en effet, les Maliens n’avaient pas encore oublié le traumatisme créé par l’occupation de deux tiers du pays par des islamistes qui y ont installé la charia, la loi islamique. Pire, le reste du pays aurait pu connaître le même sort si les jihadistes n’avaient pas été stoppés à Konna par les forces françaises. Si la majorité a voté pour IBK, c’est parce que l’homme est connu pour son mode de vie aux antipodes des convictions islamistes. Il n’a rien d’un jihadiste même s’il s’est rapproché de certains milieux. Le Malien lambda pouvait donc voter pour lui sans éprouver la crainte de le voir, un jour, se métamorphoser en mollah ou ayatollah.
En revanche, certains de ses partenaires ont fait peur même au plus croyant. Le souvenir de la menace jihadiste a fait hésiter plus d’un dans l’isoloir. Mais cela pourrait n’être que partie remise. Les municipales, véritables élections de proximité, se pointent déjà à l’horizon dans un Mali dont on aime à dire qu’il est musulman à plus de 95%, où les prêches se feront désormais (cela a déjà commencé) sur fond politicien, dans un Mali où la ruée vers les mouvements islamiques s’est heurtée au rempart décourageant de l’occupation du nord et des atrocités qui y ont été commises.
Instrumentalisation de l’armée
La deuxième menace pourrait venir de l’instrumentalisation des forces armées et de sécurité par certains. En 1990, le pays a connu une rébellion arabo-touarègue armée qui a abouti, la même année, aux accords de Tamanrasset (Algérie) entre le gouvernement du Général Moussa Traoré et les rebelles. Ces accords n’ayant pas été respectés à la lettre, la rébellion a continué et abouti au Pacte national signé en avril 1992 entre les mêmes rebelles et les autorités de la transition, notamment le Ctsp qui comptait plusieurs responsables du Mouvement démocratique, les nouveaux maitres du pays. Quatorze ans après un statu quo, une nouvelle rébellion touarègue éclate. Pour y mettre fin, le gouvernement accepte une fois de plus de signer une entente, l’Accord d’Alger de 2006, avec les rebelles.
De ces trois accords (1990, 1992 et 2006), les parties conviennent que «dans le cadre des mesures de restauration de la confiance, d’élimination des facteurs d’insécurité et d’instauration d’une sécurité définitive, il sera procédé à un allègement substantiel, graduel et approprié des forces armées dans le nord, conformément au changement des missions dévolues à l’armée nationale chargée à l’avenir de missions de défense nationale.» Aussi qu’«à travers son président, l’Assemblée régionale veillera à dégager auprès de l’Etat les effectifs régionaux suffisants des corps de sécurité intérieure. Elle exercera un pouvoir de contrôle des forces de police et de maintien de l’ordre civil au niveau régional ». Ces accords ne trouveront véritablement un début d’exécution qu’à partir de 2006. L’Accord d’Alger a été examiné en séance à huis clos dans la salle Aoua Kéita, sur l’insistance d’Ibrahim Boubacar Kéita, alors président de l’Assemblée nationale. Et contrairement à ce qui se dit, excepté le Parena, tous les partis représentés à l’hémicycle l’ont approuvé.
Cet Accord d’Alger, comme les précédents, visaient deux objectifs : la démilitarisation des régions du nord (797 000 Km2, soit plus des deux tiers du territoire national), avec la disparition totale de certains postes militaires comme Tinzawatène, Boureïssa, Anoumalène, Fanfing, qui correspondent à des zones de passage et de dépôt de la drogue, des armes et munitions, des otages, tout au long des frontières du Mali avec l’Algérie et le Niger ; l’affaiblissement des forces armées et de sécurité. Si le premier objectif était surtout une exigence des rebelles, de la France et, surtout, de l’Algérie qui trouvait là un dépotoir pour ses terroristes, le second répondait à un tout autre calcul : affaiblir l’armée c’est réduire les risques d’un coup d’Etat militaire, la hantise des nouveaux maîtres du pays, Alpha Oumar Konaré puis ATT.
Aujourd’hui, cette armée, rudement malmenée depuis début 2012, entend jouer un rôle. D’autant plus que la troupe croit également avoir joué un grand rôle dans l’élection d’IBK, et escompte des dividendes autres que l’inculpation de quelques gradés, d’autant plus que les généraux tenus à l’écart par la junte militaire sont désireux de prendre leur revanche sur la troupe. Le moyen trouvé par la France, le reste de la communauté internationale et les autorités de la transition, c’est de construire une armée républicaine, c’est-à-dire une armée qui obéit au politique et est respectueuse de l’Etat de droit et des droits de l’homme. A cet effet, des contingents entiers ont été formés et déployés sur le territoire national.
Besoin de justice ou soif de vengeance ?
Feront-ils ce que l’on attend d’eux dans un pays qui est loin d’avoir retrouvé toutes ses marques ? IBK parviendra-t-il à canaliser les mouvements islamiques vers les lois d’un Etat laïc et républicain ?
Pour l’heure, ces interrogations ne semblent pas préoccuper d’abord le nouveau locataire de Koulouba. En effet, IBK semble avoir choisi la voie d’un spectaculaire qui ne manquera pas de le conduire vers l’enlisement. Il s’agit pour lui de pousser sa majorité parlementaire à faire un procès à l’ancien chef d’Etat, ATT, victime d’un putsch en mars 2012. Poussé par un entourage revanchard et des conseillers acariâtres, IBK veut, coûte que coûte, aller au troisième tour de l’élection présidentielle de 2002 à l’issue de laquelle il est arrivé troisième alors que lui et son entourage soutenaient (et continuent de soutenir) qu’il l’avait largement emportée. Rancunier et hargneux, le prince du jour, qui a déjà dans son antichambre de nombreux courtisans, compte faire payer à beaucoup sa cuisante défaite de 2002. Alors qu’il y a plus urgent et beaucoup plus important.
Cheick TANDINA