Nouvel épisode dans l’affaire qui oppose le Ministère public et Mme Aminata Diallo au professeur Broulaye Samaké, médecin au CHU Gabriel Touré. Le Tribunal de Grande Instance de la Commune VI s’est déclaré incompétent, ce jeudi 15 mai 2025, pour juger ce litige foncier devenu, au fil des semaines, une véritable crise institutionnelle et sociale aux allures de bras de fer entre la justice et le monde médical.
Bamada.net-C’est devant une salle d’audience tendue, remplie de soutiens du Pr Samaké, que le juge a tranché : l’affaire ne relève pas de la juridiction territoriale du tribunal de la Commune VI. En effet, les avocats du médecin avaient soulevé une exception d’incompétence, argumentant que la parcelle litigieuse se situe dans le ressort d’Ouéléssébougou et que leur client réside à Kalaban-Coro, deux localités extérieures à la compétence territoriale du tribunal concerné. Le juge a suivi cette argumentation en droit, et a renvoyé le parquet à mieux se pourvoir.
Une affaire foncière devenue symbole d’un dysfonctionnement judiciaire
Le Professeur Broulaye Samaké n’est pas un justiciable ordinaire. Médecin de renom, chef de service au CHU Gabriel Touré, enseignant-chercheur engagé, il jouit d’un respect unanime dans les milieux médicaux et universitaires. Pourtant, ce 24 mars 2025, il est placé sous mandat de dépôt à la demande du procureur de la Commune VI, suite à une plainte déposée par un colonel de la gendarmerie, se prévalant d’un permis d’occuper délivré en 2023 pour la même parcelle sur laquelle le Pr Samaké avait lancé une construction… en se basant sur un titre foncier daté de 2005.
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Ce dernier assure que la parcelle en question fait partie d’un lotissement de 210 lots collectivement acquis par le personnel du CHU Gabriel Touré, à travers leur comité syndical. Un notaire aurait supervisé la répartition des terrains, chacun des bénéficiaires recevant un titre foncier individuel. Pourtant, en 2023, la préfecture de Kati aurait revendu une partie des mêmes terrains à des tiers, dont le plaignant militaire, créant ainsi un chevauchement administratif aux conséquences graves.
Un refus de démolir… et la prison
Lorsque le médecin est sommé de démolir son chantier sans jugement, il refuse. “Comment puis-je détruire un bâtiment construit sur une parcelle que j’ai légalement acquise sans décision de justice ?”, s’est-il défendu publiquement. Ce refus lui vaut une incarcération immédiate. Aucune médiation, aucune tentative de conciliation n’a été engagée avant l’arrestation, selon ses collègues syndicalistes.
Ce geste perçu comme brutal et injuste a suscité un véritable tollé dans le monde médical malien. Plusieurs structures hospitalières, dont le CHU Point G, l’Hôpital du Mali, et les centres de santé des communes I et II ont décrété des arrêts de travail illimités, exigeant la libération sans condition du professeur. Le syndicat national de la santé, le CEN-SUNEP, le syndicat des médecins du Mali et bien d’autres se sont joints au mouvement.
Colère, solidarité et pression sociale
La libération provisoire du Pr Samaké le 3 avril 2025 n’a pas suffi à apaiser la tension. Son procès, initialement prévu pour le 4 avril, a été reporté au 24 avril, avant que l’exception d’incompétence ne soit tranchée ce 15 mai. Dans l’intervalle, le syndicat a multiplié conférences de presse, déclarations publiques et actions de sensibilisation.
“Ce n’est pas un conflit entre deux individus, mais un problème de gestion foncière chaotique où des fonctionnaires honnêtes sont injustement punis”, a martelé Losseni Bengaly, secrétaire général du comité syndical de Gabriel Touré. Ce dernier rappelle que la préfecture de Kati a elle-même reconnu avoir revendu des parcelles déjà attribuées à travers un lotissement légal.
Une affaire symptomatique d’un malaise national
Le cas Samaké met en lumière le désordre foncier endémique au Mali, entre titres fonciers et permis d’occuper contradictoires, chevauchements d’autorité et absence de traçabilité dans les archives domaniales. Mais plus encore, il souligne la fragilité de l’État de droit : l’incarcération rapide d’un citoyen bénéficiant d’un document officiel pour un acte administratif contesté interroge sur les priorités de la justice malienne.
L’émotion suscitée par cette affaire ne s’éteint pas. Le monde médical reste mobilisé. “Ce combat dépasse la personne du Pr Samaké. C’est un combat pour la dignité, la reconnaissance du droit, et le respect du citoyen”, estime un médecin du CHU Point G. À mesure que l’affaire progresse, l’opinion publique suit de près chaque rebondissement, dans un climat tendu entre autorités judiciaires et corps soignant.
Et maintenant ?
Le parquet doit désormais saisir une juridiction compétente, très probablement celle de Kati ou de Ouéléssébougou. Mais le temps judiciaire contraste avec l’urgence sociale : le secteur de la santé reste fragilisé, les grèves se multiplient, les patients sont pris en otage d’un bras de fer institutionnel.
“L’élan de solidarité ne faiblira pas tant que justice ne sera pas rendue”, ont conclu les syndicats lors de leur dernière déclaration. L’affaire Samaké pourrait bien être le révélateur d’une profonde crise de gouvernance foncière et judiciaire au Mali, que les autorités devront désormais prendre à bras-le-corps.
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Moussa Keita
Source: Bamada.net