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Patriotisme – souverainisme: slogan ou réel sursaut national ?

Sur fond de coup de chaud diplomatique avec la France, et dans un contexte de lassitude provoqué par une crise interminable, certains Maliens n’ont jamais autant eu de désir d’indépendance. Un besoin d’être soi-même, mais surtout la volonté de pouvoir décider librement des solutions aux maux qui assaillent le peuple depuis plusieurs années. Plus qu’une reconquête de la souveraineté, ce « sursaut patriotique » est pour certains l’expression d’une dignité retrouvée, qui doit permettre de lever les obstacles qui minent la voie vers le progrès.

 

Le 25 septembre 2021, alors que le Premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, rappelait l’exaspération des populations maliennes face à la dégradation continue de la situation sécuritaire, et ce malgré la présence de la Mission multidimensionnelle pour la stabilisation du Mali (MINUSMA), il a fustigé « l’annonce unilatérale du retrait de la force Barkhane et sa transformation », qui n’auraient pas tenu compte du lien tripartite Mali – Nations Unies – France dans la lutte engagée sur le terrain.

Ce discours, qui a provoqué la colère des autorités françaises, a plutôt été bien accueilli au Mali. « Un sentiment de fierté retrouvée » qui n’est pas sans rappeler les discours du premier Président de la République du Mali et le contexte d’une souveraineté fraîchement acquise et à construire.

« Les gens attendaient que l’État du Mali s’exprime d’une certaine façon ». Le Premier ministre « n’a fait que dire ce que les Maliens voulaient entendre », analyse M. Demba Adama Keïta, Secrétaire à la Communication de l’Association pour la mémoire de Modibo Keïta (AMEMOK). À son retour à Bamako, il a été porté en triomphe. Même si les autorités de la transition n’ont pas réagi sur le champ à la colère froide de la France, notamment aux mots durs du Président Emmanuel Macron, le Premier ministre ne manque pas l’occasion de réitérer ses propos et même de les appuyer. En Suisse, la semaine dernière, il a repris sa formule « d’abandon en plein vol » à l’égard de la France. Un changement de ton à l’égard de l’ancienne colonie qui semble plaire à beaucoup, qui y voient une « reprise en main » depuis la « rectification » annoncée de la transition. Pour El Hadj Sirabamba Sissoko, ancien collaborateur du Président Modibo Keita, le contexte actuel rappelle « à bien des égards » celui des années d’indépendance.

Retour aux valeurs

L’ancien médecin ingénieur de classe exceptionnelle, à la retraite depuis 33 ans et actuel chef de quartier de Darsalam? rappelle que la lutte pour l’indépendance s’est faite avec conviction.

« Nous nous sommes battus sans armes », mais les « premiers éléments de la jeunesse avaient le patriotisme dans le cœur et les esprits », note Sirabamba Sissoko. Le patriotisme était un sentiment avec lequel « on naissait » et « il était cultivé ». Une certaine jeunesse, qui aujourd’hui avec des méthodes tranchées soutient la nouvelle démarche des autorités, s’affiche comme les « nouveaux patriotes ». Sur les réseaux sociaux notamment, les dérapages sont légions. Peu ou pas de place pour la contradiction. Ceux ayant un avis contraire aux autorités de la transition sont souvent qualifiés de traitres, certains même menacés, tels que ces jeunes ayant répondu favorablement répondu à l’invitation de la France pour participer au sommet Afrique – France le 8 octobre dernier à Montpellier. Afin d’éviter des débordements, M. Sissoko préconise de revenir aux anciennes valeurs. Réapprendre à la génération actuelle les bases du patriotisme, les symboles de l’État et leur respect et surtout le respect du bien public. Mais, pour « faire renaître ce sentiment et être nous-mêmes », il faut absolument « combattre l’injustice qui constitue un véritable cancer pour le Mali », ajoute-t-il. « Certains actes qui sont actuellement posées donnent beaucoup de satisfaction à une jeunesse, mais pas que, trop habituée à voir nos dirigeants courber l’échine devant les puissances étrangères. Lorsque vous voyez qu’un ambassadeur de France a été convoqué pour explications, vous vous dites qu’un changement s’opère peut-être », juge un analyste politique.

Réussir la lutte

Si le désir de changement est réel, c’est parce que « tout le monde savait que le système allait se bloquer », relève le Secrétaire à la communication de l’AMEMOK. Il « y avait des acteurs qui se côtoyaient et que rien n’opposait idéologiquement. En marge de ceux-là, ceux qui voulaient un changement, qui avaient un idéal, n’avaient pas voix au chapitre ».

En cette période particulièrement difficile, où l’État a disparu dans plusieurs endroits du pays et où il faut le reconstruire ainsi que l’armée, il est indispensable que les « contradictions soient en sourdine pour s’unir et  sauver le Mali », suggère M. Keïta. Ceux qui portent les messages doivent savoir qu’ils ne peuvent être les intermédiaires des injonctions de la communauté internationale, en voulant par exemple imposer des élections dans un certain laps de temps, ajoute-t-il.

La société civile, qui s’affirme de plus en plus pour impulser cette lutte, a compris « que le Mali est pour nous tous ». Si elle « laisse la classe politique traditionnelle faire », elle n’aura pas la chance d’obtenir le changement. Elle doit donc s’investir, mais en synergie. C’est pourquoi l’AMEMOK associe les acteurs porteurs de ces idéaux à ses interventions. L’organisation invite la classe politique à « avoir l’humilité d’analyser et de comprendre cette situation » et la nécessité d’une « union sacrée » pour aboutir à une fédération et une superstructure et un renouveau politique.

Dans sa stratégie pour prendre part au débat public et apporter sa contribution aux questions d’intérêt national, l’association veut prendre part aux prochaines Assises nationales de la refondation pour présenter les changements qu’elle souhaite voir. Si elle « porte les valeurs de la Première République », c’est que « ces idéaux sont encore d’actualité ». Elle s’est même inspirée lors de sa conférence-débat sur l’évolution de notre Loi fondamentale d’une intervention du Président Modibo Keïta lors du meeting anniversaire de l’indépendance du Mali en 1961. « Il nous faut réussir et nous réussirons inchallah, parce que le Mali ne périra pas, parce que nous voulons être les dignes héritiers de nos ancêtres, les artisans d’un Mali resplendissant de prospérité intérieure et de rayonnement international ».

Une volonté de s’affirmer qui reste la même pour Mohamed Kimbiri, le Président du Collectif des associations musulmanes du Mali. Même s’il a renoncé à son rassemblement de protestation, prévu le 12 octobre 2021, devant l’Ambassade de France au Mali, il estime que « des vérités doivent être dites ».

« Nous sommes en train de nous familiariser presque avec la mort de nos soldats et chaque jour c’est une partie de notre territoire qui nous échappe ». Une situation qui ne peut plus continuer, proteste M. Kimbiri. Pour lui, la priorité est de s’entendre sur l’essentiel. Il rappelle « qu’aimer son pays est un acte patriotique », un « hadith du Prophète Mohamed ». Même si le combat va au-delà d’une religion ou d’une ethnie. « Le jeu politique aura le temps de reprendre, mais l’urgence est de sauver notre pays », ajoute-t-il. Et par nous-mêmes, précise-t-il. Pour lui, le salut ne viendra ni de la Russie, ni de la France. La réussite de notre combat pour la souveraineté passera par notre propre engagement. « La France n’a pas à décider que nous fassions les élections ou à intervenir dans l’administration de la justice », poursuit-il.

Les obstacles

Ce sentiment et cette envie de souveraineté se justifient aisément dans le contexte actuel, selon le Professeur Moussa Coulibaly, historien géographe à la retraite. Cette crise, exacerbée par une persistance de l’insécurité, oblige à un éveil de conscience. Mais la corruption qui caractérise notre système rendra difficile la concrétisation de ce désir de souveraineté, prévient M. Coulibaly. Parce que rendre réelle cette souveraineté suppose en avoir les moyens. Il cite l’exemple de la tension entre l’Algérie et la France. Dans ce cas, « la France a cherché à apaiser la tension. Mais au Mali ce n’est pas le cas, parce que nous n’avons pas les moyens de pression de l’Algérie ».

Mais, au-delà des questions de  moyens, il nous faut aussi avoir «  un comportement exemplaire afin de nous faire respecter », ajoute-t-il. Le cas du Rwanda doit servir à cet effet. Si nous commençons à bien répartir les richesses, à combattre l’injustice et à lutter contre la corruption,  nous allons nous imposer, selon M. Coulibaly.

Les autorités mais aussi la population. S’il est vrai que le rôle des autorités demeure essentiel dans l’adoption « de comportements sérieux », ceci peut  aider les populations à changer. En effet, elles doivent trouver « des références » afin d’accompagner le changement.

Même si, « pour le peuple, les coupables de cette situation, où nous ne comptons plus nos morts, sont les dirigeants, à y regarder de près, il s’est rendu compte que tant qu’ils sont englués dans un système de déprédation internationale, malgré la volonté du peuple, ceux qui sont censés pouvoir exécuter ne peuvent pas le faire », estime le Dr Fodé Moussa Sidibé, sociologue. C’est vrai qu’à la faveur du coup d’État on a compris que lorsque le peuple se lève les dirigeants peuvent s’y adosser et agir, poursuit-il.

Si la volonté de reconquérir cette souveraineté est encore dans le discours, M. Sidibé est convaincu qu’il « paraît difficile de reculer ». « On a toujours dit que la mauvaise gouvernance produisait les coups d’État ». Mais, pour le moment, « quelles que soient les intentions cachées des dirigeants », le peuple n’a qu’une aspiration. Retrouver sa souveraineté, afin que personne ne lui dicte plus rien à partir de ce moment. « Un acquis » comme la démocratie, estime M. Sidibé. Il faut que tout le monde l’intègre, d’autant que, selon lui, « cette nouvelle démocratie risque de faire tache d’huile, parce que le Mali n’est plus seul dans ce combat ». « L’Afrique progressiste est avec nous » et, afin que cette chance qui viendra de nous soit saisie, « il faut oublier nos querelles de clochers ».

Fatoumata Maguiraga

Source : Journal du Mali

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