Au moment où le débat sur l’octroi d’un mandat de cinq ans renouvelable au Général d’Armée Assimi Goïta suscite de vives réactions au sein de la classe politique et de la société civile, la voix d’un des pères fondateurs de la démocratie malienne s’élève avec gravité et lucidité. Me Mountaga Tall, avocat chevronné et acteur de premier plan du mouvement démocratique de 1991, est sorti de son silence pour appeler à « renoncer purement et simplement » à ce projet, qu’il considère contraire à l’intérêt supérieur du Mali.
Bamada.net-Dans un message audio de dix minutes, diffusé sur ses réseaux sociaux le samedi 14 juin 2025, l’éminent juriste a livré un diagnostic alarmant de la situation nationale. Avec son style métaphorique, Me Tall a ouvert son propos par un proverbe bambara plein de sens : « La parole d’un sage est comme la crotte d’hyène, elle blanchit avec le temps. » Autrement dit, il veut que son message, même ignoré aujourd’hui, finira par faire sens demain. Et de prévenir : « Je ne serai pas entendu aujourd’hui, mais on dira qu’il avait dit. »
Un appel à la responsabilité historique
Fidèle à ses principes démocratiques, Me Mountaga Tall ne mâche pas ses mots. Il exhorte le président de la transition, Assimi Goïta, à « renoncer au mandat de cinq ans » que prévoit le projet de loi en cours d’adoption. Selon lui, une telle démarche serait non seulement une erreur politique, mais aussi une violation de la Constitution en vigueur. Il insiste : « Le Mali n’est ni le Burkina Faso ni le Niger. Chez nous, la Constitution s’applique et elle ne peut être contournée. »
En véritable patriote, il ne s’arrête pas à la critique, mais propose douze recommandations concrètes pour « sauver le Mali » d’un basculement irréversible vers l’incertitude. Ces propositions, à la fois juridiques, politiques et sociales, s’inscrivent dans une logique de retour à l’ordre constitutionnel, à la justice, à la paix et à l’unité nationale.
Douze recommandations pour un Mali debout
Au cœur de ses propositions figure l’impératif du respect de la parole donnée au peuple. Pour Me Tall, la durée de la transition ne doit pas être rallongée unilatéralement, mais faire l’objet d’un large consensus national. Il appelle également à la libération « immédiate » de tous les détenus d’opinion et à la fin des arrestations extrajudiciaires, qui rappellent, selon lui, les sombres heures du passé.
Autre point sensible : la confusion entretenue entre les organes de la transition et l’armée nationale. Il plaide pour une séparation nette entre le rôle politique assumé par les autorités de transition et la mission régalienne de l’armée, qui est de défendre la nation, pas de gouverner.
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Me Mountaga Tall invite également à renouer le dialogue avec les groupes armés pouvant encore l’être, car « ce sera moins de sang malien versé », souligne-t-il. Il propose la relance du débat sur la réduction du nombre pléthorique de partis politiques, conformément aux recommandations des Assises nationales de la refondation. Il demande la réouverture des organisations de la société civile dissoutes et la fin des atteintes aux libertés publiques.
L’avocat démocrate n’oublie pas les exilés politiques, qu’il souhaite voir revenir dans un climat apaisé. Il appelle aussi à honorer la mémoire des victimes du M5-RFP, mouvement populaire ayant conduit à la chute de l’ancien régime en 2020. Enfin, il insiste sur l’importance de bâtir un bon voisinage avec les pays limitrophes, sur la base des trois principes posés par le président de la transition lui-même : respect mutuel, non-ingérence et coopération.
Une posture de sagesse, non de faiblesse
Pour Me Tall, ces recommandations ne sont nullement des signes de recul ou de faiblesse du pouvoir, mais des preuves de grandeur. Il estime qu’« il s’agit de se mettre au-dessus des intérêts partisans pour privilégier l’intérêt du Mali et des Maliens. » C’est cette posture qu’il appelle « la voie du salut. »
Un héritage démocratique à ne pas trahir
Il est important de rappeler que Me Mountaga Tall n’est pas un citoyen ordinaire. Il fut l’un des acteurs centraux de la lutte ayant conduit à la chute du régime dictatorial du Général Moussa Traoré en mars 1991. Ancien ministre, ancien président du CNID-FYT et avocat de formation, il a toujours défendu les valeurs démocratiques et constitutionnelles, même au prix de son confort personnel. Sa parole pèse, car elle s’inscrit dans la continuité d’un engagement de longue date pour un Mali libre, juste et démocratique.
À travers cette sortie, Me Mountaga Tall invite les autorités à faire preuve de lucidité et d’humilité face aux enjeux de l’heure. Le Mali, aujourd’hui plus que jamais, a besoin de sagesse, de dialogue et de cohésion. L’octroi d’un mandat de cinq ans au président de la transition pourrait bien ouvrir une nouvelle crise, là où le pays aspire à la stabilité.
Reste à savoir si cette parole d’un ancien, d’un sage, sera entendue à temps. Comme l’a dit Me Tall lui-même : « On dira qu’il avait dit. »
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Ladji Djiga Sidibé
Source: Bamada.net