“Je me suis interdit de regretter par solidarité envers les pays musulmans qui subissent les bombardements”, a-t-il inlassablement répété. Ce jeudi, la cour d’assises spéciale a condamné Moussa Coulibaly à 30 ans de réclusion criminelle pour avoir attaqué au couteau trois militaires de l’opération Sentinelle, à Nice, en février 2015. Son absence de regrets lui a valu la peine maximale.
Mutique
Durant quatre jours, la cour a pourtant tenté de comprendre le “basculement” qui s’est opéré chez cet homme de 35 ans, originaire de Mantes-la-Jolie. Né de deux parents sénégalais, Moussa Coulibaly est l’aîné d’une fratrie de six enfants et vit avec neuf autres enfants de son père, polygame. Ce dernier les éduque selon les préceptes d’un islam modéré, où “les filles ne sont pas obligées de porter le voile car la religion est dans le cœur, pas dans l’apparence”, rapporte l’une de ses soeurs lors de l’instruction. “Une enfance heureuse”, confirme l’accusé.
Alors que le président revient sur ses difficultés à l’école, l’échec à son CAP métallurgie, puis ses petits boulots en intérim en région parisienne et à Mulhouse, Moussa Coulibaly a le visage impassible et le regard vide. Que s’est-il passé pendant ces dix années “charnières” pour que cet “enfant calme” devienne ce jeune homme “solitaire”, “méchant” envers ses cadets, les insultant de “mécréant” lorsqu’ils regardent la télévision? Les deux voyages au Sénégal, dont l’un pour les funérailles de son père où il rencontre sa future épouse religieuse, ont-ils joué un rôle? Le corps frêle adossé à la vitre du box des accusés, Moussa Coulibaly se mure dans le silence.
Il ne s’épanche pas davantage sur son glissement dans la délinquance, illustré par les sept inscriptions à son casier judiciaire pour des faits de droit commun. “Son éloignement du domicile familial” est le seul événement notable, note l’enquêtrice de personnalité. Les juges, et les parties civiles, n’obtiendront pas de plus amples réponses.
“Viser le visage parce que ça laisse une trace”
Progressivement, l’accusé s’isole dans les lectures d’ouvrages religieux et les visionnages de vidéos de propagande jihadiste. Il fait la connaissance de plusieurs individus évoluant dans la mouvance radicale. Sans en parler à ses proches, il rejoint Nice le 24 janvier 2015 pour “changer d’atmosphère”, puis gagne la Corse en ferry. Il y achète un billet pour Istanbul, avant d’être refoulé par la police turque. Devant les juges, l’accusé persiste à nier une quelconque velléité de départ en Syrie:
– “C’était pour faire du tourisme, essaye-t-il.
– Nice, ça ne vous a pas plu? Ajaccio non plus?, l’interroge le président.
– Les plages étaient vides. Je me suis hâté d’aller en Turquie, où il y a plus de vie sur les plages”, esquive l’accusé.
Moussa Coulibaly se fait en revanche plus loquace sur cette journée du 3 février 2015, où il attaque des militaires en faction devant un centre communautaire juif niçois. Mais alors qu’il a reconnu “l’intégralité des faits” lundi, il fait volte-face deux jours plus tard, en niant une intention d’homicide:
“En passant devant les militaires, je me suis souvenu du hadith qui dit qu’il faut repousser ceux qui combattent les territoires musulmans, qui les interdisent de vivre selon leur loi. J’ai alors pris le couteau et je l’ai agressé au visage. C’était juste pour le repousser, comme le hadith le dit. J’ai pris soin de viser le visage parce que cela laisse une trace sur la personne agressée. Mais à aucun moment j’ai voulu toucher les parties vitales”, expose-t-il calmement.
“Donc le visage, et le cou à proximité, ne sont pas des parties vitales?”, s’irrite le président.
“La rage” et “les yeux rouges”
La volonté de tuer, Hervé K., l’un des trois militaires attaqués, l’a vue de près. Uniforme kaki et fourragères aux épaules, le brigadier de 24 ans se remémore “la rage” de son agresseur:
“J’ai cru qu’il était fou. Il avait les larmes aux yeux, les yeux tout rouges, mais il ne disait rien. S’il avait pu tuer, il aurait tué”, assure-t-il.
Comme ses deux collègues du 54ème régiment d’artillerie d’Hyères – “retenus par leurs fonctions dans le cadre de missions impérieuses de défense nationale” – il garde des séquelles psychologiques de l’attaque. Blessés au bras et au visage par l’assaillant, les militaires évoquent surtout de mêmes troubles psychiques. Hervé fait toujours des “cauchemars” et n’est plus envoyé en mission extérieures depuis deux ans.
À maintes reprises, Me Serge Money, avocat de la défense, a tenté de sortir son client de ses blocages: “L’administration pénitentiaire dit que vous êtes dans un monde parallèle. Parlez devant la cour est difficile?”, “Vous avez exprimé des regrets auprès de vos proches, pourquoi pas ne pas le faire dans le box?” Sans succès. Son client a rabâché le même argument, affirmant avoir agi “en solidarité avec les pays musulmans touchés par les bombardements”.
Allant plus loin que les réquisitions de l’avocat général qui a toutefois estimé qu’il représentait “un vrai danger”, la cour d’assises spéciale de Paris a reconnu l’accusé coupable “d’association de malfaiteurs terroriste” et “tentatives d’assassinats terroristes” et l’a condamné à 30 ans de réclusion, assortis d’une période de sûreté des deux tiers. Interrogé la veille par Me Alexandre de Jorna, l’un des avocats des parties civiles, sur le fait que l’un des militaires qu’il a attaqué est musulman, Moussa Coulibaly s’était contenté de répondre: “J’ai vu quelqu’un qui portait l’uniforme militaire. Ce n’était pas écrit sur son front qu’il était musulman.”