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Mali – « Azawad », suite… et fin d’une illusion

La Coordination des Mouvements de l’Azawad (la CMA) a ratifié, le 20 juin 2015, l’accord de paix au Mali. Pourtant, le texte n’a pour objet que la relance du processus de décentralisation promise depuis les années 1990, suite aux soulèvements du nord-Mali qui avaient eu lieu à l’époque déjà, et jamais réellement mise en œuvre ; aucune des revendications des groupes armés qui composent la coalition rebelle de l’Azawad n’a été prise en considération.

 

Le 15 mai, dans la capitale, Bamako, les représentants de l’État malien ont signé en grande pompe « l’accord pour la paix et la réconciliation au Mali » en présence des factions armées qui supportent le gouvernement du Mali et d’une délégation des médiateurs internationaux. Le texte a finalement été également approuvé, le 20 juin, par les principaux groupes rebelles du nord. Pourtant, cet accord ne fait état ni « d’indépendance », ni de « fédéralisme », ni « d’autonomie » des régions nord-Mali, autant de promesses que le Mouvement national de Libération de l’Azawad (le MNLA), figure de proue de la CMA, faisait miroiter à ses militants depuis le début de l’insurrection de 2012 qui avait entraîné l’intervention française (l’Opération Serval).

Toute la rhétorique du MNLA, depuis sa création, avait cependant pour leitmotiv « l’indépendance de l’Azawad », « non négociable », un discours maximaliste qui visait à justifier le déclenchement du conflit et l’exil de centaines de milliers de personnes vers les pays limitrophes du Mali.

Ainsi, côté rebelles, les masques tombent aux yeux des jeunes Touaregs désabusés : l’argumentaire indépendantiste, étendard déployé par les différentes factions de la CMA et qui avait séduit une large frange de la jeunesse touarègue « idéaliste », avait ensuite été élargi au concept d’un « Azawad libre, digne et indépendant ». Mais cette jeunesse et ses aînés s’aperçoivent, trois ans plus tard, que ni l’indépendance de l’Azawad, ni un État fédéral, ni même une quelconque forme d’autonomie, dans le fond, n’a jamais été réellement l’objectif de ces groupes qui composent la CMA.

« L’indépendance ou rien ! » Alors que, par ailleurs, les groupes armés du nord avaient signé, en juin 2013 déjà, l’Accord de Ouagadougou, qui reconnaissait l’intégrité territoriale de l’État malien et la constitution malienne… Et pourquoi signèrent-ils ensuite la feuille de route d’Alger, en juillet 2014, qui enterrait définitivement toutes leurs « revendications » ? Et pourquoi, enfin, la CMA accepte-t-elle aujourd’hui de signer le protocole de Bamako, qui bétonne la soumission du nord du Mali, trahissant la jeunesse touarègue abandonnée à ses désillusions, désemparée par le dénouement de ce long, coûteux en vies humaines, mais inutile conflit

Mais, dès le début des combats, dès 2011, il fallait être très optimiste, voire naïf, pour croire que cette nouvelle rébellion, née de la dislocation de la Libye et de la guerre civile dans ce pays voisin, allait apporter « le Graal » aux populations touarègues dans leur ensemble. Elle aura été, bien au contraire, la cause de grandes pertes, humaines et matérielles, pour tous les Touaregs. Les conséquences tragiques de ces trois années de guerre contrastent ainsi avec le discours officiel que les responsables des groupes armés du nord adressent aux populations qui les avaient suivis dans l’aventure : plus de trois ans de conflit qui ont dévasté des régions entières, désormais privées de leurs infrastructures les plus essentielles, dépourvues de centres de santé, de puits où s’approvisionner en eau, d’écoles –dans certaines régions, les cours n’ont plus été assurés depuis près de quatre ans… La guerre a en outre déchiqueté l’environnement social touareg, provoqué des divisions entre les vieilles chefferies, de plus en plus contestées, et leurs anciens vassaux et tributaires, qui se sont investis massivement dans la rébellion au sein des milices pro-gouvernementales, profitant du chaos pour créer un nouveau leadership tribal, s’émancipant du cadre établi depuis plusieurs siècles (« l’Ettebel ») qui constituait un modèle d’organisation politique et sociale viable pour tous.

C’est ainsi que, de facto, la rébellion, trop souvent présentée tant par ses meneurs que par certains « spécialistes » du monde touareg comme un fait « intrinsèquement touareg » et dès lors un facteur rassembleur, précipite au contraire la fin de « l’unité » des Touaregs telle qu’elle était consentie par eux au sein de leur « Ettebel ».

Le conflit a en effet exacerbé les principes communautaristes et tribalistes : depuis 2012, chaque groupe armé a sollicité des tribus ou des fractions touarègues, qui se sont structurées autour de chefs militaires qui ont intégré les groupes armés « au nom de la tribu », emmenant avec eux des guerriers de leur tribu. Chaque chef de guerre est ainsi généralement épaulé par un groupe d’hommes issus de la même tribu et est impliqué dans la direction politique du mouvement qu’il a rejoint. C’est ainsi que la Coordination des Mouvements de l’Azawad (la CMA) n’est pas traversée par des courants idéologiques et politiques fédérateurs, mais plutôt par des positionnements claniques ou tribaux disparates, d’où les nombreuses défections, scissions, rivalités, mobilités individuelles d’un groupe à un autre ; et les indécisions internes à chaque mouvement.

Or, « l’Ettebel »(que l’on peut définir en termes de souveraineté politique, sociale, économique et géographique, d’autonomie) structurait naguère encore chaque tribu dans les limites d’un territoire qui lui était reconnu par les autres. Les règles sociétales internes de ces entités étaient en outre basées sur un consensus qui respectait la position et la fonction sociales de chaque groupe, dont le rôle demeurait irremplaçable, indispensable, dans l’exercice de la souveraineté.

L’une des conséquences les plus désastreuses des rebellions, particulièrement celle de 2012, aura été de provoquer la décomposition de ces souverainetés unitaires, bien que leur affaiblissement, l’amenuisement de leur pouvoir, n’a cessé de croître depuis la pénétration coloniale en milieu touareg, depuis la fin du XIXème siècle jusqu’à l’indépendance du Mali, pour atteindre les proportions actuelles, rendant les tribus sujettes à des clivages internes responsables de troubles conflictuels.

Une perte de pouvoir qui s’est traduite par un rétrécissement de l’espace touareg, progressivement réduit, d’une vaste aire géographique dépassant le cadre établi par les frontières actuelles du nord-ouest de l’Afrique, à des entités locales incorporées aux seins des divers États africains (les entités touarègues intégrèrent alors, administrativement, chaque État nouvellement né ; principalement au Mali, au Niger, en Algérie et en Lybie, et, dans une moindre mesure, au Burkina Faso).

Du VIIIème au XVIème siècle, les Sinhâja dominèrent l’espace qui s’étend de l’Atlantique au sud libyen, peuple d’origine ancienne yéménite -d’après les historiens arabes les plus réputés, parmi lesquels le vénérable Ibn Khaldoun-, qui dominait le Sahara ; et notamment les Almoravides (XI-XIIème siècles), dont la majeure partie des Touaregs sont issus.

La fin de l’hégémonie des Sinhâja sur le Sahara correspond à la montée de l’empire du Mali, au XIIIème siècle, puis à la prise de Tombouctou par les Saadiens marocains, en 1590. C’est ainsi que, à partir de la fin du XVIème siècle, l’espace touareg s’est fractionné en plusieurs pôles régionaux : l’Ataram (nord du Mali), l’Aïr (nord du Niger), le Hoggar (sud de l’Algérie) et l’Ajjer (sud de la Libye), autonomes politiquement les uns des autres, bien qu’ils entretenaient d’intenses relations commerciales, humaines et diplomatiques.

Les différentes rébellions qui ont eu lieu dans le cadre de la décolonisation, dès 1963, participent d’une certaine façon à ce rétrécissement de l’espace touareg. En effet, on ne parle plus, alors, de l’Ettebel (unité suprême rassembleuse sous-tendant une société humaine, territoriale, politique et économique, autonome), mais de factions tribales, ou de fractions, voire de clans ou de groupes d’intérêts divers qui se positionnent au sein des différents groupes armés. C’est dès lors le déclin de l’Ettebel, fondement des souverainetés politiques « unificatrices ».

Au Mali, la rébellion de 2012, se solde par « un retour à la case départ », s’agissant des principaux « acquis » inscrits dans le nouvel accord de paix : le processus de décentralisation, qui prévoit une « régionalisation », avait déjà été vendu aux Touaregs dans les années 1990’ ; le nouveau découpage administratif du nord, avec la création des régions de Taoudenni et Ménaka, était également en projet depuis plusieurs années, notamment sous la présidence d’Amadou Toumani Touré.

Si l’on compare le discours -les raisons de la rébellion-, et les acquis concrets, pour faire un bilan et pour situer les responsabilités, on s’aperçoit très vite que ce discours, depuis trois ans, a été développé pour confisquer davantage l’imaginaire nomade, qui est en perte de repère au sein d’un État malien qui ne parvient pas, depuis son indépendance, à asseoir une politique équilibrée à l’égard de tous ses administrés. C’est ainsi que l’argument « nous luttons pour les droits des Touaregs »brandi par la rébellion, a été susceptible de trouver un certain écho chez les nomades, qui s’aperçoivent cependant un peu plus tard de ce qu’est la réalité des insurrections provoquées en leur nom…

Plus largement, cela dit, qu’elles soient du sud ou du nord, les populations maliennes réclament de l’attention et de l’engagement de la part de l’État, par d’incessantes marches sociales et soulèvements populaires. La rébellion armée au nord et les putschs militaires du sud constituent les expressions les plus radicales révélatrices d’un malaise socio-économique et identitaire profond, que la classe politique dirigeante, les décideurs maliens, doit maintenant rapidement et sérieusement prendre en compte, dans un esprit réellement objectif d’ouverture et de compréhension pour y apporter des réponses pertinentes, adaptées et durables.

Au Mali, la carence politique qui touche l’ensemble du pays est encore plus particulièrement douloureuse pour le septentrion, qui reste la partie du pays la plus défavorisée, conséquence d’une géographie désertique abandonnée à son aridité.

De l’abandon des institutions de l’État et des réformes postcoloniales : décret d’abolition du pouvoir des souverainetés traditionnelles et tribales capables de s’autogérer, réformes agraires les dépossédant de leurs terres et espaces, particulièrement au tour du lac Faguibine qui était jadis le grand grenier de l’Afrique de l’Ouest, à partir de la région de Tombouctou. Ces réformes imposées mettent à mal le fragile équilibre dans lequel évoluent des populations diverses (et mixtes), qui vivaient prospères et auparavant en harmonie, parmi lesquelles les Touaregs, stigmatisés à chaque résurgence du conflit.

C’est en fin de compte la fragile et lente évolution d’un peuple malmené par les péripéties d’une histoire longue, jalonnée par des exploits héroïques, tantôt, par des aventures moins glorieuses, depuis plusieurs siècles, qui se trouve perturbée, asphyxiée, parfois prise en otage, dans des enjeux sur lesquels ce peuple n’a pas -ou très peu- d’emprise.

L’approbation, le 20 juin 2015, de l’accord de Bamako par la CMA, est une bonne chose pour le retour de la paix au Mali. Cette adhésion de la CMA s’inscrit tout à fait dans la logique du processus commencé avec la signature de l’Accord de Ouagadougou, en juin 2013 ; qui s’est poursuivi par l’adoption de la feuille de route qui balisait le protocole d’Alger depuis juillet 2014, dont un premier aboutissement avait été le paraphe d’un préaccord, en date du 14 mai 2015, à Alger.

Ces engagements internationaux n’avaient pas empêché la CMA, parallèlement, de continuer à jeter de la poudre aux yeux de ses militants, auxquels les chefs des différents groupes affirmèrent, sans cesse, que « rien ne nous ferait sortir de la ligne de l’Azawad », ou encore : « Au minimum une autonomie pour l’Azawad », etc. ; le catalogue des déclarations est aussi large que les va-et-vient et les rencontres organisées pour gagner du temps et maintenir en halène ces nomades qui croyaient tout ce qu’on leur racontait. Un double-jeu qui a entretenu la confusion et dupé ceux à qui la parole avait été donnée.

En quoi est-ce que le texte de l’accord proposé le 1er mars 2015 et rejeté alors par la CMA était-il différent de celui qui fut signé le 20 juin ? Pas une virgule n’a changé de place ! Le document signé à Alger le 5 juin, en préalable à la signature définitive du 20 juin, fait certes des observations sur les modalités de la mise en application de l’accord ; mais il ne tient pas compte des amendements remis à la médiation le 17 mars 2015, à Kidal, par la CMA qui, le 1er mars, avait demandé « un temps pour restituer le contenu de l’accord à ses bases »lors du paraphe de l’accord par les différentes parties gouvernementales, certains groupes loyalistes et le médiation internationale.

Les responsables de la CMA se défendent en prétextant avoir suivi le courant des négociations et fait « un pas après l’autre », justifiant ainsi la signature du 20 juin et se déresponsabilisant, en quelque sorte, des conséquences de trois années de conflit.

Et puis, il y a l’après accord… Au lendemain de la signature, les leaders rebelles se disputent entre eux, désormais, pour s’emparer des sièges qui leurs ont été attribués dans la commission de suivi de l’accord et dans les différents groupes de travail qui correspondent aux thématiques que le traité prend en compte. Avec, en finalité, des visées sur des portefeuilles ministériels ; des postes de haut niveau dans l’administration ; et des responsabilités dans la gestion des différents projets de développement du nord-Mali… Une attitude qui dévoile les objectifs de ces chefs rebelles qui ont trouvé un pis-aller dans les effets qui découleront de l’accord.

Ainsi l’histoire s’est-elle répétée pour les Touaregs du Mali ; les notables et chefs traditionnels, garants moraux des sociétés touarègues, devraient veiller plus scrupuleusement à ce que « l’esprit de rébellion », qui est parfois trop susceptible au sein de leurs populations, ne soit pas instrumentalisé, par des forces extérieures en collaboration avec des factions intérieures, ranimant d’interminables cycles de violences qui fragilisent toujours davantage ces peuples, peut-être aujourd’hui au bord de l’implosion, voire au crépuscule de leur déclin, alors que les résurgences armées n’apportent pas de solutions novatrices et que leurs conséquences sont toujours plus nuisibles, « d’accord en accord ».

De son côté, l’État malien doit se (re)construire sur des bases institutionnelles nouvelles qui rétablisse la confiance avec sa partie nordique, particulièrement avec les bases traditionnelles de l’espace touareg : ce qui provoque le sentiment d’injustice, au sein de ces populations, doit être anticipé, rapidement traité et résolu, pour éviter « une possible justification » de toute nouvelle velléité conflictuelle entre l’administration et des fragments issus de ces bases. Cela passe notamment par un partage de pouvoir et un rééquilibrage des ressources du pays.

L’application du dernier accord de paix ne doit se résumer à un « instrument » à l’usage des seuls belligérants armés (l’État et les groupes armés loyalistes et rebelles) ; elle devrait au contraire impliquer toutes les dynamiques pertinentes ainsi que les voix reconnues des représentations traditionnelles et institutionnelles des différentes régions maliennes. Afin que l’accord soit réellement une possibilité de réforme pour le pays, et non un mesquin tremplin pour des individus avides de postes et de fonctions rémunératrices.

Il est important que la Justice aussi fasse son travail, de manière impartiale et indépendante, sans pressions du politique, pour enquêter sur les crimes, les exactions et les violations des droits humains commis durant tous les cycles de conflit, depuis 1962 ; et que, au terme de cette enquête, les responsables des crimes les plus graves -toutes parties confondues- ne restent pas libres et impunis.

Dans le nord, la souveraineté des chefferies traditionnelles pourraient garantir la stabilité locale, si elle était rétablie. Elles ont longtemps constitué la charpente du pouvoir local, sur lequel le pouvoir central pourrait s’appuyer s’il acceptait un compromis honnête et sain de rapports politiques (excluant donc toute forme de clientélisme).

C’est avec une telle approche, qui n’est certainement pas facile, envisageable dans le cadre de la nouvelle architecture institutionnelle inscrite dans l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali, que le pays devrait parvenir à l’intégration de ses différentes composantes ethniques.

À Bamako, la cérémonie de la signature de l’accord s’est achevée par un discours qui a évoqué tous les empires fondateurs du Mali contemporain : les empires du Ghana, du Mali et le Songhoï… Mais il a oublié -comme c’est souvent le cas- de mentionner le royaume Sinhâja et l’empire almoravide dont les Touaregs descendent.

Pourquoi oublie-t-on les Touaregs alors que la souveraineté hégémonique de leurs ancêtres Sinhâja sur le Sahara (de l’Atlantique au sud libyen) est attestée depuis le VIIIème siècle par ces mêmes historiens (Al-Yaqoubî, Ibn Hauqal, Al-Bakrî, Ibn Batuta, Ibn Khaldun…) qui ont permit de faire connaître les empires du Ghana et du Mali ? Les ancêtres touaregs étaient désignés par ces historiens par les noms des tribus mères (Massoufa, Lemtouna, Joddala, etc.). Ils furznt ensuite dénommés les « hommes voilés », à partir du XIIIème siècle.

Peut-être ce discours de Bamako est-il de mauvais augure ( ?) Car la réconciliation, profonde et sincère, l’acceptation mutuelle, source d’un vivre ensemble durable, commence par la connaissance et le respect de l’histoire, de celle de toutes les composantes qui font la diversité d’un peuple.

« Le premier qui régna au désert fut Tloutan ben Tikran, le Sinhâja, le Lemtouna. Il gouvernait tout le Sahara et était Suzerain de plus de vingt rois du Soudan qui lui payaient tous tribut. Ses États s’étendaient sur un espace de trois mois de marche en long et en large ; et ils étaient peuplés partout. Il pouvait mettre sur pied cent milles cavaliers. Il mourut en l’an 836, âgé de quatre-vingts ans… » (Al-Qayrawânî, Raudh Al-Katas)

Intagrist el Ansari

Source: Autre presse

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