Dissolution de tous les partis politiques, élévation du Général d’Armée Assimi Goïta au rang de président de la République pour un mandat renouvelable de cinq ans…
Telles ont été, entre autres, les recommandations phares de la consultation des «Forces téléguidées», pardon des forces vives de la nation organisée par les autorités de la transition, pour légitimer le refus du retour à l’ordre constitutionnel dans un délai raisonnable. Ceux qui ont déclaré être venus parachever «la lutte du peuple», en promettant de sauvegarder les acquis démocratiques, ont pris goût au pouvoir et ne veulent rien lâcher.
Les participants aux consultations des 28 et 29 avril 2025 ont sans doute fait croire aux Maliens qu’ils veulent harmoniser la gouvernance de la transition au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES) où la démocratie est en train d’être remise aux calendes grecques. Sauf que, au Burkina et au Niger, la Constitution a été suspendue après le putsch ! Ce qui n’est pas le cas du Mali qui a même adopté une nouvelle Constitution promulguée le 22 juillet 2023 !
Ici, au Mali, toutes les décisions engageant ou impactant la vie de la nation doivent donc être prises à l’aune de la légalité constitutionnelle. Les participants aux consultations de deux jours n’ont aucune légalité ni une quelconque légitimité pour remettre en cause des dispositions constitutionnelles ! «La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus au suffrage universel direct ou indirect ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice», stipule l’article 37 de la Constitution du 22 juillet 2023. Et ce peuple, ce ne sont pas les quelques centaines de participants désignés pour les besoins de la cause. Ils n’ont aucune légitimité à se substituer aux 20 à 22 millions de Maliens parce qu’ils ont été choisis, juste parce qu’il est facile de leur faire avaler n’importe quoi pour se donner bonne conscience. Et la modification de la Charte de la transition ne lui donnera pas cette légitimité de primer sur la Constitution, la loi fondamentale !
Geler les acquis démocratiques pour conserver les rennes du pouvoir quelques années de plus ! Une tournure pourtant prévisible ! En effet, il fallait être vraiment naïf pour n’avoir pas vu l’anéantissement de la démocratie venir. Cela a commencé par la dissolution de l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) le 13 mars 2024. Une décision applaudie par beaucoup d’entre nous parce que cette organisation n’était plus défendable à cause de la culture de la violence et des mauvaises pratiques (corruption, trafic d’influence…) instituées dans l’espace scolaire et universitaire.
Mais, quand on laisse les gens abattre son chien, aussi méchant soit-il, on s’expose aussi à toutes sortes d’attaques et de violation de domicile. Dans une discussion avec un leader politique (dans la foulée de cette dissolution), nous lui avions annoncé que cette décision de dissoudre l’AEEM n’était pas anodine et que nous avions l’impression que c’est un ballon d’essai avant de s’attaquer à plus consistant, notamment la classe politique. Par le jeu de la manipulation de ses leaders, l’AEEM était devenue une arme de guerre entre les mains des politiciens. En la neutralisant (dissolution), les militaires ont voulu priver la classe politique de sa base de mobilisation pour défendre sa cause, voire ses sinistres desseins.
Le second ballon d’essai a été l’interdiction des activités des partis politiques et de celles (activités) à caractère politique des associations du 10 avril au 10 juillet 2024. Une décision que la Haute autorité de la communication (HAC) avait voulu imposer à la presse par l’interdiction de donner un écho aux activités des partis et des associations. Heureusement que les faîtières n’ont pas cédé à cette pression. Ce qui n’a pas été le cas de la classe politique résignée. La dissolution des partis politiques n’est donc pas une surprise dans ce contexte.
A qui la faute ?
Comme a si bien réagi un jeune frère aujourd’hui très engagé dans l’humanitaire après avoir été un militant défenseur de la démocratie, ce qui se passe ces derniers mois dans notre pays «prouve à suffisance l’incohérence, l’incompétence et la trahison de la classe politique vis-à-vis du peuple». En effet, pour lui et beaucoup d’entre nous, «si nous assistons à ce bras de fer aujourd’hui, c’est parce que le peuple ne croit plus à la démocratie» qui a été «plus destructive chez nous que constructive» en cultivant la gabegie, le népotisme, la corruption, la délinquance financière… En conséquence, conclut le jeune frère, «le Malien regarde aujourd’hui la démocratie avec un œil désespéré et de mépris. Chez nous, la démocratie a été synonyme de partage de gâteaux au sommet, de mensonge et de transhumance politique…» !
Est-il aussi raisonnable de blâmer le vent pour le désordre qu’il a causé alors que c’est vous qui avez sciemment ouvert la fenêtre ? Non ! Ces jeunes officiers ne se sont pas retrouvés au-devant de l’histoire de notre pays par hasard. Certains se sont chargés de leur ouvrir une brèche dans le mur de la démocratie. Les politiciens ne doivent s’en prendre qu’à eux-mêmes parce que (conscients de leur mégalomanie), les militaires les ont utilisés les uns contre les autres afin de les affaiblir, de les désarmer avant de les museler.
«Au lieu d’en vouloir au point où on est tombé, il faut t’en prendre à là où on a trébuché», disent littéralement les mandings. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est à cause de cette même mégalomanie à la base du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) dont la seule motivation était de chasser IBK (pourtant acteur du Mouvement démocratique) du pouvoir, l’empêcher de finir son mandat à tout prix. Même mal élu pour son second mandat, était-il judicieux pour la démocratie de l’écarter de cette manière en prenant le risque d’un précédant très dangereux pour l’enracinement de la démocratie ?
Et pourtant, nous n’avons jamais cessé d’attirer l’attention des Maliens sur le fait que cette alliance contre-nature ne pouvait offrir à ce pays aucune alternative crédible parce que le seul projet qui réunissait les protagonistes était d’évincer IBK de Koulouba ! Il est clair que ce que des proches d’IBK préparaient contre lui et contre la République n’avait rien de réjouissant ! Mais, on pouvait s’y opposer sans exposer les acquis de la démocratie à ce péril. Personne n’a intérêt à créer, à soutenir le désordre juste parce qu’on veut empêcher un adversaire de régner. C’est dans la légalité qu’un pays peut se retrouver, se développer et s’épanouir. Malgré les défaillances du régime IBK, celui-ci vaut mieux mille fois que la situation que notre pays se prépare à traverser.
À l’issue du second tour du 11 août 2013, Ibrahim Boubacar Kéita dit IBK (paix à son âme) a été plébiscité (77,66 % des voix) par les Maliens pour diriger le pays. Le choix était tout sauf hasardeux, même s’il a été très décevant par la suite parce que le président a été progressivement éjecté de son fauteuil par ses proches nourrissant d’autres desseins pour le pays. En effet, Premier ministre (1994-2000), IBK a laissé les souvenirs d’un homme de poigne, surtout d’un leader qui tient ses promesses, le «Kankelentigui». Le «Kankelentiguiya» a été déterminant dans la victoire du «Tisserand en chef». Et cela parce que le Mali repose sur des valeurs que chacun souhaite voir modeler sa gouvernance.
Remettre en cause toutes les promesses faites dans la foulée des événements du 18 août 2020 pour se maintenir au pouvoir, est le pire signal que les «Cinq Généraux» peuvent aujourd’hui envoyer à la jeunesse (au nom de laquelle ils se sont engagés à remettre le pays sur les rails et de remettre le pouvoir aux civils dans les meilleurs délais) et aux générations futures en désacralisant la parole donnée et des valeurs comme la probité, l’intégrité…
Le respect de la parole donnée, tenir ses promesses et ses engagements… ont longtemps constitué le socle de notre société. Ces valeurs étaient non seulement des fondations solides du vivre ensemble, mais aussi des balises très efficaces pour guider les nouvelles générations pour qu’elles soient conscientes qu’elles ont une identité à défendre. C’est pourquoi nous sommes intimement convaincu que la mégalomanie qui se manifeste aujourd’hui, de part et d’autre, ne peut qu’avoir qu’un impact catastrophique sur le vivre ensemble, sur l’issue même de cette transition. Et cela d’autant plus qu’on peut intimider une partie du peuple juste un moment, mais on ne peut pas maintenir tout le peuple tout le temps sous la menace des représailles, des enlèvements et des emprisonnements sans jugement. La sagesse dit aussi, «on peut être un excellent cavalier et se garder de s’asseoir sur les naseaux du cheval» !
Après les partis politiques, à qui le tour ? On n’a pas besoin de trop se creuser la tête pour le comprendre, puisque le lendemain (30 avril 2025) de l’annonce des recommandations des forces téléguidées sur la charte des partis et le calendrier de la transition, l’Union syndicale des travailleurs du Mali (USTM) a essuyé le coup d’assommoir. En effet, une décision de justice (selon une correspondance du procureur de la République) a annoncé que cette centrale n’est plus reconnue par le gouvernement du Mali et «n’a plus le droit d’exercer des activités en tant qu’organisation syndicale en République du Mali». Les syndicats sont donc dans la ligne de mire des Princes du moment. Que la presse se prépare aussi, car elle ne sera pas épargnée !
Par la faute du M5-RFP, la démocratie s’est faite visiblement hara-kiri sur le Boulevard de l’Indépendance. Maintenant, il faudra une autre lutte pour arracher le pouvoir désormais suspendu au bout des baïonnettes !
Moussa Bolly
Source: Le Matin