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Le Sahel en 2021 : pour empêcher la détérioration de se poursuivre

CONTRIBUTION. Il convient de se replonger dans l’histoire récente du Sahel pour comprendre combien le chantier de la lutte antidjihadiste est immense et complexe.

La situation au Sahel n’a cessé de se dégrader depuis 2015, alors que la crise sécuritaire entre dans sa dixième année en 2021 et que l’enlisement militaire français se confirme après huit ans. Selon le Centre d’études stratégiques de l’Afrique, l’année 2020 s’est avérée la plus meurtrière en matière de violences commises par les militants extrémistes au Sahel, avec environ 4 250 décès, soit une augmentation de 60 % par rapport à 2019. Selon ACLED (Armed Conflict Locations Events Database), il y a eu 4776 morts de violence extrémiste au Sahel (les 6 pays francophones plus le Soudan), entre novembre 2018 et mars 2019. Le Global Terrorism Index donne des chiffres plus bas, mais aussi en augmentation (le Mali passerait de 444 tués en 2018 à 592 en 2019, et le Burkina Faso de 0 à 593). Enfin, le secrétaire général de l’ONU relève aussi une dégradation de la situation sécuritaire dans son rapport du 20 décembre 2020.

Les États dysfonctionnent

Le Sahel, qui avait connu un âge d’or, du VIIe au XVIe siècle, avec d’ultimes États organisés jusqu’au XIXe siècle, ne s’est guère remis du contournement économique par le commerce maritime, puis du traumatisme colonial. Les États postcoloniaux, pauvres et enclavés, ne parviennent pas à administrer de vastes territoires, à percevoir des recettes suffisantes pour leur fonctionnement et à inventer un modèle politique inclusif. La gouvernance demeure médiocre, les services publics, armée comprise, dysfonctionnent, et une partie notable de la population se sent étrangère, voire hostile, aux représentants de l’État dont le comportement est souvent répréhensible. Dans une certaine mesure, l’échec d’un système politique néopatrimonial et clientéliste est à la racine d’une insurrection sociale qui rejette les élites « occidentalisées » et est sensible à la montée du fondamentalisme religieux, alors que l’analphabétisme est majoritaire (75 % au Mali et au Niger), avec des écoles coraniques financées par les États du Golfe, dominantes en zone rurale, et un système scolaire public en perdition. L’absence de police et de justice dans de vastes zones suscite l’accaparement par des entrepreneurs de violence.

L’évolution démographique et climatique est défavorable

Des contraintes géographiques ont beaucoup aggravé cette situation. Le Sahara s’est étendu : les isohyètes de 200 mm de pluie sont descendues au Sud de 250 km en 50 ans, tandis que la population triplait, de 30 millions d’habitants à près de 90 dans les 6 pays francophones du Sahel : Sénégal, Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad. Cela se poursuit : la population devrait passer de 90 millions en 2015 à 240 en 2050, sans perspective d’emplois, voire 540 en 2100, sauf émigration massive vers les États côtiers. Le réchauffement climatique devrait aussi accentuer les tensions entre pasteurs nomades du nord et agriculteurs sédentaires plus au sud.

Les crises algérienne et libyenne ont débordé

Depuis les années 2000, spécialement depuis 2012, l’irruption du terrorisme s’est ajoutée à une instabilité politique chronique (Sénégal excepté). Le débordement de la guerre civile algérienne a provoqué l’arrivée en 2000 au nord du Mali de djihadistes du GSPC (« Groupe salafiste pour la prédication et le combat ») devenu Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) en 2007. Enrichis par les prises d’otages et le narcotrafic, ces islamistes armés se sont enracinés.

Les rivalités inter-touarègues se sont relancées

Puis le débordement de la guerre civile libyenne a aussi ramené au nord Mali, en 2011, des touaregs armés qui ont relancé une rébellion des touaregs de la région de Kidal (la 4e depuis l’indépendance, dirigée par le MNLA, Mouvement national pour la libération de l’Azawad). Les séparatistes, minoritaires même chez les touaregs, eux-mêmes minoritaires au nord, étaient avant tout motivés par le souci de conserver les privilèges de l’aristocratie Ifoghas par rapport à la caste tributaire des Imghads. En réaction, ces derniers, majoritaires dans leur tribu, et bénéficiant du système démocratique électoral malien, ont formé d’autres groupes armés pro-Bamako. Le chef de la rébellion touarègue précédente, Iyad Ag Ghali, n’a pas pu diriger le mouvement séparatiste à cause de la rivalité des officiers venus de Libye. Converti à l’islamisme Tabligh, une secte concurrente des salafistes, Iyad Ag Ghali a alors créé la milice Ansar Dine, tandis que le Mujao (Mouvement pour l’Unité du Djihad en Afrique de l’Ouest) se scindait d’Aqmi, avec Abu Walid al-Saharaoui, réunissant des Arabes sahéliens et des Peuls.

Trois foyers de crise : séparatisme, djihadisme et affrontements intercommunautaires

La crise actuelle du Sahel central a éclaté en 2012, au nord du Mali et, à partir de 2015, a débordé vers le Burkina Faso et le Niger. L’insécurité causée par des groupes islamistes avait déjà touché les marges du Sahel, avec Boko Haram au nord du Nigeria, débordant sur le Niger, le Tchad et le Cameroun, à partir de 2009 (23 000 morts de terrorisme depuis) et les chebabs en Somalie depuis fin 2006 (causant 8 000 morts depuis, selon le GTI).

En 2012, pendant neuf mois, le Mali a été coupé en deux, le nord occupé par les djihadistes jusqu’à l’intervention de l’armée française, en janvier 2013 (opération Serval), pour refouler une colonne djihadiste formée par Ansar Dine, Aqmi et le Mujao. Depuis, la situation sécuritaire s’est complexifiée :

– le paysage djihadiste s’est diversifié, reflétant différentes communautés locales. Les trois groupes initiaux ont donné naissance à diverses katibas qui se sont séparées ou ont fusionné à nouveau. En 2015, une scission d’al-Morabitoun (une fusion du Mujao et des « signataires par le sang »), provoquée par l’allégeance à l’État islamique d’un de ses commandants, Abou Walid al Sahraoui, a fait naître une organisation rivale, l’EIGS, État islamique dans le Grand Sahara. En 2017, tout en prêtant allégeance à l’émir d’Al-Qaïda et à celui d’Aqmi, Iyad Ag Ghali a été désigné chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui est désormais une coalition de quatre groupes : Ansar Dine, le Front de libération du Macina, FLM (dirigé par l’imam peul Amadou Koufa, également de la secte Tabligh), Al Morabitoun et Aqmi. L’EIGS s’affronte épisodiquement avec le GSIM (53 combats au Mali en 2020 et 40 au Burkina Faso, selon ACLED), particulièrement pour le contrôle des zones d’orpaillage de trafics. Sous le couvert de la religion, chacun dans une zone géographique définie, ces extrémistes armés mènent une violente campagne militaire au nord du Mali, puis (2015) au centre, grâce au FLM, et enfin au Burkina Faso (en connexion avec le groupe local Ansarul Islam) et au Niger.

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