Après Gao et Mopti, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, était à Kayes du 11 au 14 août 2017. Comme dans les deux régions précitées, Me Mamadou Ismaïla Konaté a rencontré les responsables de la Justice dans la première région administrative du Mali. Ce fut l’occasion d’un débat franc sur les difficultés que connaît la Justice malienne. Le ministre Konaté a, au cours de cette rencontre, tenu un langage de vérité, sans langue de bois, en mettant les hommes en noir devant leurs responsabilités et en saluant les efforts fournis malgré les difficultés.
D’entrée de jeu, Me Mamadou Ismaïla Konaté a mis l’accent sur ce que doit être le juge dans la communauté, sa responsabilité, sa personnalité compte tenu de sa place dans la société. «Quand on est juge, on sait se tenir, on sait comment parler», a rappelé le Garde des Sceaux, car, a-t-il ajouté, «les mots peuvent blesser».
S’agissant de cette rencontre et du travail spécifique du juge, le ministre affirme : «Quand on réunit les juges, honnêtement on apprend toujours quelque chose». Me Konaté a ensuite mis l’accent sur la nécessité pour les juges de produire «trimestriellement des notices». Car, précise-t-il, «à quoi ça sert de faire du bon boulot à Diéma» si cela n’est pas su.
«Comment voulez-vous que je puisse prendre quelque réglementations en matière de divagation d’animaux si vous ne me transmettez pas vos notices ?» a interrogé le Garde des Sceaux. Pour lui, «l’examen des notices, c’est tenir des statistiques (et) éventuellement de prendre des options en termes de politique au pénal». Il a exprimé son regret de n’avoir pas reçu «une seule notice» depuis un an qu’il est ministre de la Justice. «C’est pas glorieux», a-t-il dit.
Pour Me Konaté, il est «regrettable» de constater que les juges sont loin de tenir leurs rangs : «Vous vous prenez en dessous de ce que vous êtes» alors que «vous êtes les premiers gardiens du bien public et de l’intérêt public», a-t-il rappelé. Sans remettre en cause ce que les juges appellent «l’opportunité de poursuite» qui, selon lui, «est un principe fondamental du droit pénal», le Garde des Sceaux s’est indigné de ce qu’un Procureur de la République «classe sans suite» un dossier initié par le Bureau du Vérificateur général d’un montant de «3 milliards 500 millions de FCFA» destiné à la construction «du CHU de Kayes».
Non seulement l’argent «a été perdu (mais) le CHU n’est pas construit». Et le ministre de se demander s’il «n’est pas lourd pour un seul individu de classer sans suite une somme d’argent aussi importante». Si, comme l’indiquent certains, ce sont «les politiques qui le demandent», le ministre, lui, est convaincu que «c’est le juge qui répond devant la postérité» d’autant plus que les politiques «sont pires contre des gens» de cette sorte. «Ils ont besoin de vous pour faire la pire des choses et juste après ils vous dégagent», a-t-il martelé.
Se plaçant au niveau de l’éthique et de la déontologie, Me Mamadou Ismaïla Konaté affirme : «Vous êtes juges et pour moi le juge ce n’est pas rien (car) si vous êtes juges ce pays va se réguler mais pour que ce pays se régule, il faut que la règle soit applicable à vous-mêmes». Et le ministre de rappeler que sur 26 dossiers introduits par le CENTIF, il n’est «pas un seul qui ait abouti à ce jour». Pire, sur les dossiers de 2012, 2013 et 2014 qui «totalisent 49 milliards de FCFA de poursuite, on (n’) a fait rentrer dans les caisses de l’État (que) 275 millions (et) la moitié des dossiers est classée sans suite».
Dans son parler franc et direct, le Garde des Sceaux est catégorique : «Si vous ne vous réveillez pas, vous allez détruire ce pays et vous y resterez», dit-il en bamanankan, avant d’asséner : «Messieurs les juges, ce pays est fatigué de votre passivité. Il ne peut pas y avoir de Ras Bath dans ce pays si vous êtes juges (car) ce que dénoncent les gens c’est ce que vous refusez de poursuivre. L’argent public est dissipé, le bien public est dissipé, les personnes physiques sont violées, violentées et tuées, pas de poursuite. Il y a peur sur la ville». D’autant plus que «trois fois sur cinq, le juge est intéressé dans le dossier», affirme-t-il. *
Après avoir souligné n’être jamais intervenu dans un dossier pendant en justice, le ministre Konaté a déclaré : «je vous protège jusqu’au bout», avant de rappeler les avantages financiers dont les magistrats ont bénéficié cette année. «Mais quand le juge ne se prend pas pour le juge, ne garde pas ce qui est commun à nous tous, il y a un problème juridique», ajoute-t-il.
«La lutte contre la corruption, les divagations d’animaux, le maintien de la paix, de la quiétude et de la concorde dans cette région» sont au niveau «zéro», déclare le ministre qui s’est dit conscient de la faiblesse des moyens mis à disposition de la justice. Mais, ajoute-t-il, «à défaut de sa mère, on tète sa grand-mère» et «même en l’absence des moyens il faut faire le peu (car) tant qu’on occupe le poste, il faut le justifier». Et le ministre de mettre l’accent sur les efforts consentis par l’État pour améliorer les conditions de travail des juges comme la construction du nouveau Tribunal de Diéma qui sera inauguré le 27 août 2017.
La conviction du ministre Konaté est faite : «ce pays ne sera rien sans vous, mais comme vous-mêmes vous vous prenez pour rien, cela risque de se passer sans vous». Et le Garde des Sceaux d’exhorter les juges à se «tenir debout face aux violations quelles qu’elles soient, face aux déviances d’où qu’elles viennent». Le ministre a ensuite instruit au Procureur général de visiter tous les IPCE et Tribunaux de Première Instance avant la fin de l’année en l’assurant de tout son soutien pour exercer son autorité.
En terminant, Me Mamadou Ismaïla Konaté a invité les juges à avoir «un mental très fort, un sentimental d’une consistance absolue, un comportemental presqu’irresponsable» avant de déclarer : «encore une fois, je suis votre avocat, aujourd’hui et demain. Extirpons les pires parmi nous, maintenons les meilleurs parmi nous, soyons justes jusqu’au bout».
Mopti : des salles d’audiences de moins en moins visitées, des commissariats de police délaissés
Après Gao, le ministre de la Justice, Gardes des Sceaux, Mamadou Ismaïla Konaté, s’est rendu à Mopti du 25 au 27 juillet 2017 où il a rencontré les hommes de Justice et tous les fonctionnaires de l’État présents dans la Venise malienne. Le ministre, qui s’est félicité de la présence de tous alors que tous n’y étaient pas tenus, a remercié l’assistance pour l’intérêt qu’elle porte à sa venue et au discours qu’il allait tenir.
Comme à Gao, le ministre Konaté a tenu à parler de l’état de la Justice à Mopti parce que, dira-t-il, «Mopti est le chef-lieu de la principale circonscription judicaire de cette région qui part du Centre jusqu’au Nord». C’est pourquoi le ministre a précisé qu’il irait dans toutes les grandes localités des régions de Tombouctou, de Gao Taoudéni et Kidal à la première occasion car «c’est le sens de mon engagement», ajoutera-t-il.
C’est sans fioriture aucune que le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, a déclaré : «Ceux-là pour lesquels on est, vous et moi, ceux-là au nom desquels on parle, vous et moi, sont de plus en plus distants de nous». Pour preuve, le ministre a mis l’accent sur la désertion des salles d’audience qui «sont de moins en moins visitées». Il en est de même des commissariats de police «délaissés». Sans faire de fixation sur les détentions, le ministre s’est néanmoins étonné qu’il n’y ait pas «un seul détenu en garde à vue dans le Commissariat» d’une aussi grande ville que Mopti.
C’est pourquoi, estime le ministre Konaté, il est important «de savoir ce que pensent les autres de nous». Pour le ministre, le constat est qu’il «est très rare aujourd’hui de voir des professionnels de la Justice au service non seulement de la Justice mais des justiciables» alors que, pour lui, «l’élément essentiel de la Justice c’est le justiciable». Or les rares justiciables qui daignent se rendre à la Justice, le font en quête du «casier judiciaire, le certificat de nationalité et l’acte de naissance» qu’ils ne peuvent trouver ailleurs.
Certes la région de Mopti souffre du manque d’Huissiers mais, a souligné le ministre, «le service public de la Justice dans cette région, avec ou sans Huissier, doit se faire» car «l’état de la Justice» se fait en premier lieu avec «les gens de la Justice». Cependant, le ministre a mis l’accent sur l’état de délabrement parfois très avancé des maisons de justice au Mali. Comme exemple, il a cité le cas de Toukoto, en première région, où «le bâtiment de la Justice n’a pas de toit». De façon très ironique le ministre Konaté dira que «la prison de Toukoto est un quatre étoiles à côté de la Justice de Paix à compétence étendue» et le domicile du juge moins qu’une porcherie. Et il en est de même des trois-quarts des tribunaux du Mali, précisera-t-il. Même si le ministre s’est félicité que personne n’ait parlé de revendications salariales, il a tenu à préciser que «l’État a mobilisé au titre des réclamations de sommes d’argent, 2 milliards 750 millions» au profit du monde judiciaire.
Le ministre de la Justice a profité de cette rencontre pour annoncer, grâce à l’appui des Pays-Bas, l’arrivée prochaine de dictaphones spécialement conçus et qui, pour une large part, palliera l’insuffisance de Greffiers ou leur indisponibilité à aller partout au Mali, en ce qui concerne les femmes mariées. Cependant, a-t-il précisé, il y aura trois mois de test dans les Tribunaux de proximité à Bamako, Kati et Koulikoro pour en juger la fiabilité et l’efficacité. Le ministre de la Justice a mis l’accent sur l’importance des Greffiers dans le système judiciaire. Cependant, a-t-il souligné, ces derniers ne bénéficient pas toujours de la considération qui leur est due de la part des magistrats.
Pour le ministre, tout le monde peut se tromper sans grande conséquence parfois, mais «personne ne supporte quand le juge se trompe » car «lorsque le juge se trompe, c’est suspect». Cela exige de la part des juges «la rigueur morale». Cette «rigueur morale» est d’autant plus nécessaire que se profile la lutte contre l’enrichissement illicite. Le ministre, comme en regret, a déclaré que depuis un an qu’il est ministre, il a «vu passer 13 milliards de Francs CFA saisis sur des comptes bancaires à Bamako et ailleurs, car, dit-il, les banques aujourd’hui coopèrent». Cependant, «sur les 13 milliards, il n’y en a pas un seul qui fait l’objet de poursuite et de condamnation au bout parce que simplement le juge fiduciaire est puissant et laisse passer». Lorsqu’une structure «dépose, chaque matin, 75 millions de FCFA dans un compte bancaire, quand vous êtes juge, ce n’est pas un élément de suspicion ?» C’est pourquoi le ministre dira aux juges : «l’État et la Nation comptent sur vous» sans préjudice de l’indépendance du corps.
L’état de non crise, soutiendra le ministre, n’est pas de tout repos pour le juge car en l’absence de crise existent «des situations particulières qui impliquent le juge de paix à compétence étendue (dont) le rôle est difficile (et la) mission délicate», d’autant plus que, souligne-t-il, «généralement, il est jeune (et) inexpérimenté». La pression sur ces jeunes juges inexpérimentés est si forte que la seule formation n’est pas suffisante pour leur permettre de se sortir de situations difficiles, expliquera le ministre. Cependant, il est important de mettre l’accent sur la formation des juges et des officiers de justice de la Police plus expérimentés, d’autant plus que la ressource humaine existe à Mopti. Le ministre Konaté a assuré les juges qu’il ne peut envoyer un des leurs dans une zone où son intégrité physique serait menacée. Cependant, déplorera le Garde des Sceaux, quand des juges de la région, à cause de l’insécurité, vont s’installer à Bamako au lieu de Mopti où ils seraient les bienvenus «il y a un souci». C’est pourquoi, dira-t-il, les magistrats sont «les premiers à violer les règles» qui sont les leurs.
Revenant sur les moyens matériels qui seront mis à la disposition des magistrats, le ministre Konaté a annoncé l’ébauche d’une coopération avec l’Algérie pour la modernisation de la Justice malienne. À titre expérimental, d’ici le 31 décembre 2017, expliquera le ministre, le ministère de la Justice voudrait faire en sorte qu’il soit possible «de Mopti, commander son casier judiciaire sur l’ensemble du territoire national mais dont le contenu est à 100% juste et régulier» avec un système d’intranet facile à utiliser.
De même, dira le ministre, sera mis en place «un mécanisme qui permet d’interconnecter les Greffes et les juridictions» pour que «les juridictions puissent se parler entre elles sans se déplacer». C’est une vaste «modernisation par les textes, la modernisation par la prison». Par exemple, il est entrepris l’installation d’une vidéosurveillance à la Maison centrale d’arrêt de Bamako laquelle vidéosurveillance sera plus tard étendue aux autres juridictions.
S’agissant toujours de l’état de la Justice à Mopti, le ministre «en appelle (au) concours des Procureurs et des Juges» car, affirmera-t-il, Mopti concentre «toute la situation de l’enfance en danger». C’est pourquoi le ministre invite «à bâtir une justice régulière» qui demande à se préserver soi-même d’éventuels dangers inhérents à la fonction de juge et à faire avec ce que vous avez». Pour soutenir l’engagement que le ministre demande au monde de la Justice à Mopti, il a annoncé la dotation des bibliothèques de la Cour d’appel et le Tribunal, composées de 1500 ouvrages chacune». Pour équiper le Centre de documentation demandée par le Procureur de Mopti, le ministre s’est engagé à trouver «trois machines reliées à des bases de données à internet haut débit pour permettre d’aller consulter des éléments d’information dans le cadre du travail».
Pour terminer, le ministre a demandé une «plus grande solidarité à Mopti» pour le bien de la Justice et proposé un «pacte qui fera multiplier par deux le rendement de la Justice en 5ème Région du Mali d’ici au 31 décembre 2017».
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Exécution des décisions de justice (difficultés)
La première phrase de notre Constitution et son préambule parlent de : «Le peuple souverain du Mali, fort de ses traditions de lutte héroïque, engagé à rester fidèle aux idéaux des victimes de la répression et des martyrs tombés sur le champ d’honneur pour l’avènement d’un Etat de droit et de la démocratie pluraliste.»
Article 24 de la Constitution : «Tout citoyen, toute personne habitant le territoire malien a le devoir de respecter en toute circonstance la Constitution.» Donc l’Etat de droit est consacré par la constitution et les autres lois et règlements de la République.
Et qu’est-ce que l’Etat de droit ? L’Etat de droit est la primauté du droit, la soumission de tous au droit. Ainsi tout le monde est sujet de droit, y compris l’Etat lui-même, vous et moi. L’Etat de droit est garanti par les cours et tribunaux, qui disent le droit, à travers des jugements, rendus au nom du Peuple malien. D’où la Justice a un caractère public.
Quand parle-t-on d’exécution d’un jugement ?
C’est quand le jugement, après avoir été prononcé, acquiert l’autorité de «chose jugée». Lorsqu’il n’est plus possible de le contester par l’exercice des voies de recours. On dit que le jugement est exécutoire. Exceptionnellement dans des cas d’urgence ou pour des provisions, le juge rend des décisions exécutoires sans avoir l’autorité de chose jugée : ce sont des décisions provisoires ou immédiates.
L’obligation de se conformer à la chose jugée, qui pèse sur tout le monde (personnes publiques et privées) est une obligation générale et absolue. L’Etat même lorsqu’il n’est pas débiteur de la condamnation, doit fournir son concours à l’exécution des décisions de justice. Le droit à l’exécution des décisions de justice exécutoires et la possibilité de faire appel à la force publique reposent sur le principe constitutionnel de Séparation des pouvoirs puisqu’en refusant son concours, la représentation de l’Etat porte atteinte à l’exécution d’une décision émanant du pouvoir judiciaire. (Décision Cons. Constitutionnel Français du 29 juillet 1998, N°98-403 DC).
Les Huissiers sont chargés de l’exécution.
Le parquet veille à l’exécution des jugements et autres titres exécutoires. Il peut enjoindre aux huissiers de justice de son ressort de prêter leur Ministère. D’ailleurs avec la formule exécutoire, tout jugement devrait se suffire à lui-même. «En conséquence, la République du Mali mande et ordonne à tous Huissiers de justice de mettre ledit jugement à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique. Malgré tout, l’exécution du jugement peut être retardée ou entravée de différentes façons : par un sursis à l’exécution (suspend l’exécution d’un jugement) ; par l’octroi d’un délai de grâce ; par un refus d’assistance de la force publique (le refus de l’Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation de préjudice) ; par l’exercice d’une voie de recours suspensive d’exécution.
Mais on n’est pas à l’abri d’entraves subjectives, sociales ou d’autres considérations non légales. En effet, il y a plus de problèmes quand l’inexécution des décisions de justice relève de la mauvaise foi. Pour preuve, je cite le cas du Conseil Economique Social et Culturel (CESC) : Le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) a été irrégulièrement exclu du CESC, lors de la mise en place du bureau actuel, par le Gouvernement, à travers le Ministère chargé du Travail et de la Fonction Publique, en dépit d’une décision de justice définitive, devenue exécutoire depuis 2002, rendue par la section administrative de la Cour Suprême.
Pourtant, le Ministre concerné avait sollicité le SAM, quelques semaines avant la mise en place du bureau. Et le SAM a envoyé le nom de son représentant. Le contentieux de la réparation de préjudice est toujours pendant devant la Cour Suprême. Les articles 81 et 82 de la Constitution évoquent l’indépendance du pouvoir judiciaire des pouvoirs exécutif et législatif, définissent le pouvoir judiciaire comme gardien des libertés définies par la constitution, et clarifient que les Magistrats ne sont soumis dans l’exercice de leur fonction qu’à l’autorité de la loi.
Un citoyen, en principe, peut toujours être contraint d’observer l’exécution d’un jugement. À travers le monde, un État qui ne respecte pas ses engagements est traité d’État hors la loi, d’État voyou. On peut dire d’un État qui ne respecte pas sa propre Constitution, sa propre justice, d’un État coupable de déni de l’État de droit, de la démocratie. Et dans un tel déni, l’État cause sa propre perte.
Dramane DIARRA
Procureur tribunal de grandes instances de la commune IV
Notre justice «…restera un bluff, elle est un leurre sans lueur d’espoir»
«En introduction à un des mes livres, je disais ceci : Les Wôbès friands de miel, construisent leur temple avec du miel. Et leur coutume leur interdit de se lécher le bout du doigt car à chaque fois, même si un d’eux, à quelque niveau qu’ils soient, le faisait, le temple s’écroulerait et ils seraient obligés de tout recommencer.
Je commencerai par avouer qu’il m’est arrivé de me lécher les doigts, et d’en être content avant d’émettre quelques réflexions au sujet de la justice dans notre pays. L’individualisme est un des plus gros dangers qui puissent apporter malheur à la collectivité. Et pourtant, comme le dit Alexis de Tocqueville, il (l’individualisme) est d’origine démocratique. Tocqueville est un jeune aristocrate normand qui décide d’aller étudier le fonctionnement de la démocratie aux États-Unis en 1831 pour revenir servir son pays, la France qui était à l’époque une monarchie constitutionnelle, pas une démocratie. Tocqueville poursuit : ’et l’individualisme menace de se développer à mesure que les conditions s’égalisent’.
L’individualisme est un peu à la base du pourrissement de la justice, de notre justice, comme de beaucoup d’autres choses. Ceci dit, je pense que : tant qu’il y aura dans le ventre de notre nation des échanges de faveurs, des relations d’intérêts personnels entre les hommes politiques et les citoyens ; tant qu’il y aura dans le ventre de notre nation des individus cultivateurs du culte de la personnalité avec passion et de façon continue et soutenue ; tant que ceux-là continueront dans le ventre de notre nation à se hisser au-dessus de la loi en se dandinant solennellement dans les labyrinthes de l’appareil d’Etat en toute quiétude ; alors la justice aura mauvaise digestion, elle restera un bluff, elle est un leurre sans lueur d’espoir.»
Habib DEMBELE
Guimba National
Réactions de certains Bamakois
Safiatou Sangaré : «La justice de l’injustice»
«À Bamako c’est la justice de l’injustice. Je ne parle pas des femmes battues, des femmes qui sont les mains vides et qui ne gagnent aucun procès, avec des avocats qui sont en deal avec les magistrats. Je parle des gens lynchés à longueur de journée dans les rues de Bamako, dont le cas le plus flagrant a été les jeunes gens du marché de Medina-Coura. Dans un pays où la justice est bien distribuée, on ne peut pas voir de tels actes ; on ne doit pas voir de tels actes et on ne doit pas encourager de tels actes. Mais nous n’avons aucune condamnation du gouvernement, aucun communiqué, ne ce serait-ce que pour faire un rappel à l’ordre aux gens qui pratiquent ou encouragent de telles atrocités. La justice de l’injustice ne doit pas gagner du terrain. C’est pour cela que les autorités doivent lancer des campagnes de sensibilisation, pour informer et sensibiliser les jeunes afin d’éviter d’autres types d’injustices dans le pays. La justice de l’injustice, surtout dans les commissariats avec des brigades judiciaires, des officiers de police judiciaires, des chefs de brigade des gendarmeries, qui font très souvent des enquêtes tronquées sur la base du faux, sans se déplacer pour même écouter les deux parties. L’injustice de la justice, ce sont des patrouilles nocturnes de nos forces de l’ordre (policiers, gendarmes) sous les lampadaires de Bamako, rackettant les paisibles citoyens. La justice de l’injustice, ce sont les mêmes conducteurs de Sotrama et autres transports en commun qui rackettent à longueur de journée dans les rues de Bamako. La justice de l’injustice, c’est surtout tous ces voleurs et corrompus qui vivent de la nation sans être inquiétés.»
Ibrahima Boubacar Yoro Maïga : «Le pouvoir est complice de l’injustice»
«Je pense que la justice malienne reste toujours corrompue malgré les avantages accordés aux magistrats après leur grève illimitée. Pour que le citoyen ait confiance en la justice, la manière de nommer et les mutations de magistrats ne doivent pas relever de l’exécutif. Il faut une séparation considérable du pouvoir judiciaire et exécutif. Sans quoi, les juges restent toujours à la merci de ceux qui détiennent le pouvoir. La corruption en milieu judiciaire est favorisée par la complicité du pouvoir.»
Bougouri Mamadou Diarra : «Le peuple veut se faire justice»
«L’institution judiciaire est toujours une excellente chose pour une société modèle et la nôtre ne fait pas exception. Mais, malheureusement, elle est butée à un problème d’indépendance dû à plusieurs facteurs (politique, financier et de ressources humaines) ; elle n’est pas comprise par le citoyen lambda qui ne s’y retrouve pas là-dans. Elle reste un domaine privé pour certaines classes sociales où la seule raison qui vaille est l’argent et non le droit. Le peuple se ferait justice quand l’autorité compétente outrepasse ses prérogatives. La stabilité et l’essor de notre pays ne se feraient qu’avec une bonne justice et le politique est interpellé.»
Djimé Kanté : «la justice doit être encore plus près des Maliens»
«Si la Justice se résume simplement à dire le droit, au Mali, les différentes réformes engagées dans le secteur, dont le PRODEJ, on peut sans risque de se tromper affirmer qu’elle n’est hélas toujours pas sainement distribuée dans nos villes et campagnes. Une justice efficace et crédible est celle qui contribue à renforcer la cohésion sociale et à largement contribuer au développement de la cité. Une bonne justice peut stimuler la croissance économique en sécurisant les investissements, donc booster le développement de façon générale. Ce n’est un secret pour personne, les Maliens de plus en plus se rendent eux-mêmes justice allant jusqu’à brûler vif. Ceci démontre à suffisance que notre système judiciaire est affecté par des problèmes dont la solution requiert une très forte volonté politique, et surtout une participation responsable de tous les acteurs.»
Mariam Konté : «Des réformes salutaires pour une justice pour tous»
«La justice rime avec injustice au Mali du fait que c’est toujours le pouvoir des riches contre les pauvres. Une vraie décision de justice saluée par tous les Maliens est rare. D’après ce que j’entends sur la famille judiciaire, ils sont injustes puisqu’on peut les corrompre facilement comme tout Malien .Un pauvre n’aura jamais raison avec la justice malienne. La volonté affichée dans le cadre des réformes pourra aller de loin avec un engagement populaire. Les nouvelles mesures et actions en faveur de la justice, des magistrats, comme ils avaient eux- mêmes réclamées et obtenues lors de leur mouvement de grève illimitée. Le tout est soutenu par une décision prise en conseil des ministres. Cela doit augurer de nouvelles réformes ; celles-ci doivent donner une occasion pour les magistrats de rendre la justice pour tous. Je ne suis pas contente de la justice, mais elle ne doit pas donner l’occasion au peuple d’avoir raison sur elle, et de ne plus sanctionner ceux qui ont raison.»
Miriam Dembélé : «Les concours à la justice, une affaire de bras longs»
«La justice est un principe moral fondamental, en vertu duquel des actions humaines doivent être sanctionnées ou récompensées en fonction de leur mérite au regard du droit et de la morale. Mais cela n’est pas du tout le cas au Mali, un pays d’Etat droit. Ici les justiciables font abus de leur droit. Avec l’argent, on peut avoir tout au niveau de la justice malienne. Les concours à la magistrature, c’est d’abord les fils des magistrats à la retraite en priorité, sans oublier que c’est un circuit fermé. Tout comme au niveau des avocats, les avocats ne veulent pas que leur nombre se gonfle. Du coup, ce n’est pas du tout facile avec eux. Ils prennent le plus souvent leurs anciens stagiaires. Les autres sont obligés de payer ou avoir une connaissance qui a un bras long dans la justice afin d’être recruté. Ce qui donne une justice d’affaires, elle ne joue pas son rôle pour les pauvres. La justice n’existe pas. Dans le domaine foncier, il y a toujours des vieux en litige pour leurs titres fonciers. Ils se voient dépossédés de leurs terrains. Quant aux grandes dames, elles arrivent à renverser des situations en leur faveur par l’argent et par des relations. Les pauvres sont toujours ceux qui reçoivent les coups bas de la justice. Ils se voient dérobés de leur droit au profit des gens qui ont plus de pouvoir et plus d’argent».
Ibrahima Kébé Tamaguidé : «Développer et renforcer l’infrastructure judiciaire»
«Pour nous militants et responsables de l’Association Faso Kanu, il y a une nécessité urgente au Mali de mettre en œuvre une politique de justice basée sur l’État de droit et garantissant l’indépendance de la justice vis-à-vis de l’Exécutif et du Législatif. À cet effet, l’Association Faso Kanu pense qu’il faut impérativement, conformément à l’esprit des pères fondateurs de la République du Mali, assainir la justice ; assurer une indépendance réelle de cette justice assainie et réaliser l’association du Conseil de la Magistrature aux décisions concernant les magistrats ; rapprocher la justice des justiciables ; assurer une plus grande diffusion des lois afin que nul n’ignore ses droits et devoirs. À cet effet, utiliser les langues nationales. L’Association Faso Kanu estime que pour satisfaire les besoins du peuple du Mali, dans le domaine de la justice, qu’il faut aussi nécessairement : développer et renforcer l’infrastructure judiciaire ; procéder à la relecture des codes avec prise en compte des us et des coutumes des populations afin d’assurer une meilleure intégration de la justice dans la société. Il en résultera une meilleure adhésion du peuple à sa justice et une plus grande stabilité sociale. Garantir l’impartialité de la justice ; développer une éthique compatible avec l’Etat de droit ; restaurer l’autorité judiciaire ; humaniser la politique pénitentiaire et entreprendre sa réforme devant aboutir à l’insertion des délinquants dans la société (formation professionnelle, recherche d’emploi, peines de remplacement pour les détenus non récidivistes et non grands criminels de sang); permettre au droit pénal de lutter énergiquement contre le trafic de drogue, les crimes économiques graves, le banditisme et les crimes de sang.»
Abdoulaye Sogodogo, gardien de prison : «Le ministre n’a pas oublié les prisons et les prisonniers»
«La première fois que j’ai vu le ministre de la Justice, c’était ici à la prison centrale de Bamako, et c’était sa toute première sortie. Certains membres de son cabinet sont venus le trouver en visite parce qu’il avait surpris tout le monde. C’est pour cela que je dis que c’est le ministre qui n’a pas publié les prisons et les prisonniers. Parce que la visite de la grande prison était sa toute première sortie. Il était venu sans voiture ministérielle. Face à la situation au niveau de la grande prison, le ministre de la Justice, Me. Mamadou Ismaïla Konaté, a été compréhensible vis-à-vis de nous, et tous les surveillants de prison. Les conditions carcérales, selon le ministre Konaté, elles sont exécrables. Il nous a dit ce jour que la prison n’est pas descriptible, c’est un mouroir. Il a déploré notre situation mais aussi celle des détenus. Avant de préciser qu’un plan de désengorgement des prisons est en cours. Lors de sa visite ici, 111 détenus ont été transférés à l’intérieur du pays et 500 autres la semaine suivante, avec pour objectif de limiter la population carcérale de la Prison centrale de Bamako à 800 détenus.»
Koundjou Nantoumé, policier : «Des promesses non tenues et le laisser-aller»
«J’étais au procès d’Amadou Haya Sanogo pour la sécurité de la ville de Sikasso. Mais, pour avoir nos sous, ça n’a pas été facile. Avant notre départ, nous avions mis des jours avant d’avoir de l’argent. Sur place aussi, c’était la même chose. La justice dans nos commissariats, tous les Maliens connaissent cette réalité. Vous voyez l’état de notre brigade judiciaire, cela illustre le travail qu’on fait ici. Et tous les commissariats sont comme ça à travers le pays. La justice au Mali, c’est toujours comme ça, parce que tous les ministres qui viennent, c’est la même chose. Le ministre Mamadou Ismaïla Konaté avait bandé ses muscles au début. Il disait qu’il était l’avocat des juges mais pas complaisant avec les juges. Mais aujourd’hui, c’est comment ? Le même ministre avait dit à la télé qu’il n’était plus question de trouver un juge pourri dans la magistrature. Qu’il n’avait pas de pitié en rapport avec les syndicats de magistrats, mais aucun magistrat fautif n’est passé en conseil disciplinaire ou radié. Les mauvaises graines sont toujours à la justice. Il n’a rien pu faire contre eux. Les mauvaises pratiques minent la justice malienne. C’est toujours la corruption. Je ne vois plus le ministre actif, on dirait qu’on lui a cassé les ailes. Ce n’est plus le même et le gouvernement est comme ça dans notre pays.»
Dr. Lamine Sandy Haïdara, directeur général du Centre d’études et de recherche sociale (Crso) : «Je suis déçu de la justice malienne…»
«Je suis déçu de la justice malienne car elle ne reflète pas la réalité d’un pays démocratique. Quand vous avez un problème judiciaire au Mali, vous aurez tous les soucis du monde parce que rien n’est clair dans nos tribunaux de premières instances. Nos juges sont malhonnêtes. Je dis cela, sans ambages, et tout le monde sait que nous n’avons pas de juges intègres de nos jours. Nous vivons comme des «Troglodytes», c’est-à-dire la loi du plus fort. La justice malienne est pourrie, il y a trop d’anarchie. Avec leur statut particulier, ils profitent pour racketter les pauvres, exproprier abusivement les pauvres sans hésiter et renverser le verdict au vu et au su des justiciables. En réalité, la justice du Mali n’honore pas du tout la démocratie».
Dado Coulibaly, étudiante : «La justice, c’est de la merde»
«Parler de la justice au Mali, c’est parler de la merde. Tout d’abord, elle n’a aucune indépendance. Le président de la République interfère dans toutes les décisions judiciaires au Mali. La démocratie condamne cette pratique. Au Mali, il faut prier pour n’avoir pas un contentieux avec quelqu’un. Sinon, s’il est riche, le juge va rendre le verdict en sa faveur devant tout le monde pour te mettre en prison. Les tribunaux du Mali sont des lieux d’affaires. À mon avis, leur département de tutelle doit encore travailler pour assainir ce secteur».
Bou Diallo : «La justice malienne mène bien son travail»
«Je pense que la justice malienne est bonne car elle mène bien son travail sur les plans national et international. Elle fait un travail remarquable. Je leur fait entièrement confiance malgré les rumeurs. Quoi qu’on fasse dans ce pays, on trouvera certainement quelque chose à dire».
Awa Doumbia : «On a une justice qui vit dans la magouille»
«Je pense qu’il n’y a même pas de justice au Mali parce qu’on a une justice qui vit dans la magouille, l’injustice et la corruption. Au lieu d’être là pour défendre l’intérêt de la population, ils ne pensent qu’à remplir leurs poches».
Mory Nouhoum Samaké : «Il y a encore beaucoup à faire»
«Je pense que la justice malienne a encore beaucoup de choses à faire parce que quand on essaye de faire l’état des lieux de la justice, ça laisse à désirer, dans le sens où le citoyen lambda ne se sent pas du tout en sécurité. Pour quelqu’un qui sait que le Mali a pu surmonter une dictature de 23 ans et se retrouve encore dans un Etat où le faible se sent oppressé par le riche, ça laisse vraiment à désirer».
Batènè Traoré : «La corruption a gâté nos juges»
«Bon, je ne dis pas que c’est tout le système judiciaire qui est pourri, mais je dirais que, quand on voit certains aspects de la justice, c’est vraiment déplorable. En commençant par les relations entre les citoyens sur le plan civil et les rapports Etat-citoyens, tout est corrompu. Surtout ce que tout le monde sait, et il est compliqué d’en parler, c’est la corruption. La corruption a gâté nos juges. Ils prennent de l’argent de gauche à droite sans s’inquiéter des conséquences.»
Madou Sangaré : «Il est plus que temps que la corruption prenne fin dans notre Etat»
«Je pense qu’il est plus que temps que la corruption prenne fin dans notre Etat. Il ne s’agit pas uniquement de ce qui se passe dans les tribunaux, mais d’autres aspects de la vie de tous les jours. Lorsque l’Etat se fait respecter en faisant de son mieux pour garantir et sécuriser ses citoyens, alors là, les citoyens se diraient qu’ils sont dans un Etat de droit. Mais parfois les gens ont même peur d’aller à la justice avec leurs affaires, parce qu’on se dit automatiquement que tant qu’on n’a pas des sous dans la poche, mieux vaut ne pas y aller, parce que depuis au commissariat de police, les rackets commencent. Il est plus que temps d’oser dire certaines choses à nos juges»
Fatoumata Traoré : «C’est vraiment dommage»
«Quand on voit la tournure que certains procès prennent au Mali, franchement j’ai des regrets envers ma justice. Par rapport à des affaires que j’ai personnellement vécues et de certaines affaires dont je suis témoin oculaire. Dans un commissariat, quand les policiers en uniforme prennent de l’argent avec celui qu’ils sont censés protéger, c’est vraiment dommage. Je suis désolé de la justice de notre pays».
Propos recueillis par la Rédaction