Du 21 au25 juillet 2017, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, s’est successivement rendu à Gao et à Mopti. Dans les deux cités, le ministre Mamadou Ismaïla Konaté s’est entretenu sans langue de bois avec les autorités traditionnelles et coutumières, les responsables de l’administration d’État, les juges, les magistrats et le personnel pénitentiaire.
La visite à Gao aura permis au ministre Konaté de s’informer à la base des difficultés quotidiennes des populations de la Cité des Askia et celles non moins pénibles des fonctionnaires de l’État dont les conditions de travail ne sont pas toujours à hauteur de souhait, mais qui s’acquittent de leurs devoirs avec beaucoup d’abnégation et de professionnalisme. Le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, a su porter aux uns et aux autres toute la considération des autorités maliennes, particulièrement le président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, le Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga et l’ensemble du gouvernement du Mali.
À Gao, le ministre, après s’être rendu en visite de courtoisie aux notabilités de la ville, a rencontré, pour un échange et une séance de questions-réponses, toutes les autorités coutumières, cultuelles et sociales, la jeunesse, les femmes, en présence des élus et responsables administratifs de Gao, d’Ansongo, de Bourem et de Ménaka et des personnes représentatives de toutes les communautés vivant dans la région de Gao.
D’entrée de jeu, et en premier lieu, le ministre Mamadou Ismaïla Konaté a tenu à évoquer les évènements douloureux qui ont ensanglanté la ville, en juillet 2016, avec la mort de trois jeunes gens tués au cours d’une manifestation locale qu’il a qualifiée de «légitime». À cette occasion, le ministre Konaté a déclaré que «chaque fois qu’il y a perte de vies humaines, c’est la défaite des hommes en vie».
Ensuite, et en second lieu, Mamadou Ismaïla Konaté a fait l’état de la Justice dans la région de Gao. «La Justice qui est à Gao, a déclaré le ministre, n’est pas une justice mise en place simplement par l’État. Elle est aussi demandée par vous». Évoquant le rôle de la Justice, le ministre Garde des Sceaux dira qu’elle est «l’institution la plus neutre, la plus éloignée des parties, la mieux armée pour dire le droit», exactement comme le ferait une mère pour séparer deux de ses enfants qui en sont venus aux mains et les ramener à la raison. Mais, reconnaît le ministre Konaté, «la Justice est un instrument difficile. Elle demande loyauté, elle demande régularité, elle demande transparence ; elle demande souvent courage».
La difficulté de la Justice, particulièrement dans la région de Gao, est due au fait qu’elle «est faible et affaiblie» parce qu’elle est incapable de «commander à dix kilomètres au-delà de Gao» et aussi «du fait de nos comportements à tous», a déclaré le ministre Garde des Sceaux. La responsabilité de l’État dans cet affaiblissement n’a pas été occultée puisque le ministre a déploré qu’il n’y ait «que 02 personnes au Parquet de Gao» alors que «le Tribunal de Première instance en Commune VI du District de Bamako en comporte 09».
Répondant au représentant d’une association de lutte contre la corruption qui se plaignait de n’avoir pas reçu son récépissé depuis un an que la demande en a été faite, le ministre, après avoir souligné que cela ne relevait pas de sa compétence, a plutôt déclaré s’étonner que ladite association n’ait pas dit «un mot» de ce qui est l’objet même de son existence. Le ministre Konaté en a profité pour rappeler l’existence de l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite qui fait obligation à «plus de 8500 fonctionnaires de l’État du Mali de déclarer leur patrimoine» sous peine, après une mise en demeure au-delà du 31 août 2017, d’être «ipso facto radiés de la Fonction publique avec des poursuites immédiates lorsqu’il n’y a pas de déclaration, lorsqu’il y a une fausse déclaration».
Pour le ministre, qui a dénoncé la corruption au Mali, «il est inadmissible aujourd’hui, que les populations puissent continuer à souffrir des faits et gestes d’un certain nombre de fonctionnaires qui se trouvent en position de maniement de fonds publics pour en jouir eux au détriment des populations». Pour répondre à ceux des fonctionnaires qui menacent d’aller en grève si la déclaration de patrimoine leur était imposée, le ministre Konaté a déclaré que la déclaration de patrimoine, loin d’être «une présomption», doit être perçue comme «un élément de régularité» imposée du reste à tous les 08 pays membre de l’UEMOA, dont le Mali, «dans le cadre de la transparence des fonds de l’État».
Réagissant à une question d’un assistant sur la demande de relève du Gouverneur de Gao, le ministre de la Justice, Garde des Sceaux, n’a pas souhaité entrer dans la polémique, d’autant que le principal intéressé était absent. Il a cependant déclaré, au regard du droit, que les partisans du départ du chef de l’exécutif régional devraient avoir «la patience, la courtoisie et l’honnêteté intellectuelle de penser que d’autres peuvent penser le contraire de ce que vous dites, faites».
Toute attitude contraire serait «à la limite de la démocratie», a soutenu le ministre. Il a estimé que le rôle de l’État, en la circonstance, consiste à «donner la meilleure réponse à Gao et aux populations de Gao». Le ministre a plutôt dirigé les débats sur l’incapacité du juge de Gao d’étendre son action à seulement 10km de Gao à cause des hommes armés qui y sévissent. Mais, affirme-t-il, «les hommes armés sont de Gao, de Bourem, d’Ansongo pour empêcher l’ordre et la sécurité» alors que les autorités judiciaires de Gao sont démunies.
C’est pourquoi le ministre Konaté a invité les responsables de la jeunesse de Gao, qui se battent au quotidien pour la sécurisation de Gao, d’être aux côtés des autorités de la région pour lutter contre l’insécurité ambiante car, a-t-il ajouté, l’État du Mali et les partenaires techniques et financiers sont prêts à soutenir tous ceux qui se battent pour Gao. Il faudrait donc s’appuyer sur les potentialités locales d’autant plus que pour «ce qui concerne les questions liées aux droits de la famille : le mariage, le divorce, l’héritage, les conflits de voisinage, les régions du Nord répondent de façon traditionnelle nettement mieux que la justice judiciaire classique» grâce au Cadi qui est «une autorité cultuelle, religieuse, traditionnelle mieux à même de parler entre deux personnes que le juge».
D’où l’importance du retour de la tradition qui est «essentielle» là où la justice moderne française et occidentale importée est «un non-sens» qui ne tient pas compte de l’environnement social, a dit le ministre Konaté. Il a tenu à souligner que «la paix est difficile» ; c’est pourquoi la coalition de toutes les communautés, songhoy, tamashaq, arabe, bamanan, dogon, est capitale pour redonner à Gao son unité et son envie du vivre ensemble d’antan.
Revenant sur les morts de juillet 2016, Mamadou Ismaïla Konaté a déclaré que non seulement l’enquête est en cours mais surtout que «ces crimes ne resteront pas impunis, peu importe les raisons pour lesquelles elles ont été commises». Car, a-t-il précisé, l’indemnisation des familles des victimes ne peut empêcher de chercher à savoir ce qui s’est réellement passé. Pour arriver à un résultat satisfaisant, il convient pour les populations de Gao d’aider «à ce que l’autorité de la Justice revienne». C’est seulement dans ces conditions que les hommes de Justice, les hommes en tenue, les autorités administratives pourront travailler en toute sérénité, dira-t-il.
Après avoir rassuré les parents des victimes des événements malheureux et douloureux de Gao que justice leur sera rendue et les indemnités payées, le ministre de la Justice, Garde des Sceau, a tenu à remercier toute l’assistance par sa présence et le sérieux avec lequel elle a participé à cette rencontre. «Cette région, les villes qui l’entourent sont vôtres. Imaginez que l’État est mort, qu’il n’existe plus ; imaginez que l’État est incapable, qu’il ne sera plus capable ; imaginez que l’État a décidé d’être loin de vous, distant.
Qu’est-ce qui vous reste ? D’abord d’être ensemble, toutes communautés confondues, sans aucune espèce de considération ni de la couleur de la peau ni de l’origine, ni de la religion ni de l’état de fortune. C’est en cela qu’on bâtit une communauté. Et quand on est plusieurs, on regarde moins le défaut de l’autre, parce qu’en regardant le défaut de l’autre, on est tenté de le critiquer. En le critiquant, on s’expose à la critique soi-même. Lorsque vous êtes plusieurs, vous défendrez mieux la justice ici parce que vous en avez besoin», a conclu le ministre Mamadou Ismaïla Konaté.