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La France commence à s’inquiéter des intentions du président IBK

Alors que les opérations antiterroristes se poursuivent dans le nord, le processus de réconciliation nationale marque sérieusement le pas

IBK ibrahim boubacar keita rpm

 

Le représentant de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel, Pierre Buyoya, insiste sur le processus de réconciliation, appelant à « la tenue de pourparlers inclusifs, un processus devant permettre aux Maliens de tourner définitivement la page de la crise ». De son côté, le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian s’est rendu aux Etats-Unis en fin de semaine dernière pour y présenter la politique de la France au Sahel et notamment la nouvelle organisation de ses forces militaires.

Ce n’est pas encore le désamour, mais l’enthousiasme des premières semaines n’y est plus. Entre la France et le nouveau président malien Ibrahim Boubakar Keïta (IBK), le manque de confiance s’est installé. A peine un an après le début de l’opération Serval, quand l’armée française a volé au secours d’un Etat malien effondré, ce n’est pas bon signe. « C’est un vrai patron, mais il est un peu en lévitation », entend-on désormais du côté français. Celui que l’on appelle au Mali « son Excellence, Monsieur Ibrahim Boubakar Keïta, président de la République, chef suprême des armées » « se prend un peu pour le De Gaulle malien » ajoute une autre source, alors qu’une troisième estime carrément que « la confiance n’y est plus vraiment. On craint qu’il nous refasse la même politique qu’ATT », Amadou Toumani Touré, l’ancien président, déposé en 2012, avec lequel les relations étaient compliquées, notamment dans le domaine de la lutte antiterroriste.

Or, celle-ci continue de battre son plein dans le nord du pays. Ainsi, la semaine dernière, dans la nuit du 22 au 23 janvier, une katiba djihadiste est tombée sur un détachement des forces spéciales françaises à une centaine de kilomètres au nord de Tombouctou. Au cours d’un violent accrochage, dix djihadistes ont été tués et un autre fait prisonnier, alors qu’un militaire français était blessé à la cuisse. « Les djihadistes ne se rendent pas et ils combattent durement jusqu’à la mort », indique une source militaire. La région du nord-ouest du Mali est toujours le théâtre d’une guerre secrète entre l’armée et les services de renseignement français contre les katibas. En décembre, 19 djihadistes avaient été tués. Plusieurs dirigeants sont traqués, en particulier l’algérien Mokhtar Belmokhtar, à la tête d’une nouvelle organisation baptisée les Mourabitounes. « Ils reviennent dans ce secteur, parfois depuis la Libye, parce qu’ils y ont désormais des liens familiaux », explique un spécialiste du dossier.

La France réorganise son dispositif militaire dans le Sahel où elle prévoit de maintenir en permanence 3 000 hommes autour de quatre bases principales : Gao, Niamey, N’Djamena et Ouagadougou. L’installation d’un état-major régional, à N’Djaména (Tchad) devrait être effective en juillet. Pour donner un cadre juridique stable aux opérations antiterroristes de l’armée française, un accord de défense doit encore être signé entre le Mali et la France. Le texte est prêt, mais le président IBK ne l’a toujours pas signé. Il a prétexté, le lundi 20 janvier, de la « Fête de l’Armée » pour en repousser le paraphe, attendant maintenant la formation d’un nouveau gouvernement. A Paris, on s’impatiente un peu. Pour assister à ce défilé de 4 000 hommes sur l’avenue de l’Indépendance, à Bamako, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian effectuait son septième déplacement au Mali depuis un an… Et il a dû attendre de longues heures avant de pouvoir rencontrer IBK, de retour d’Alger.

La crainte exprimée

mezzo voce par les autorités françaises est qu’IBK, un socialiste élu triomphalement (77 % des voix) en août dernier, ne chausse aujourd’hui les bottes d’ATT. Un proche du dossier explique ce que cela signifie : « ATT s’entendait avec les terroristes d’AQMI qui trouvaient refuge dans le nord du pays, dans une sorte de pacte de non-agression. En revanche, les mouvements touaregs, comme le MNLA, restent le véritable ennemi de l’Etat malien ».

Autant dire que la « réconciliation », prônée par la France, entre l’Etat malien et les mouvements séparatistes du nord, est à la peine… Or, Paris s’est beaucoup engagé sur ce terrain, ne serait-ce que parce que, durant les combats du premier semestre 2013, des officiers de liaison étaient dépêchés auprès du MNLA pour lutter contre les djihadistes.

Dans les milieux diplomatiques de Bamako, on explique aujourd’hui que « la réconciliation prendra une génération » et qu’il ne faut pas se focaliser uniquement sur cette question, au détriment du « développement ». Le Mali reste l’un des pays les plus pauvres du monde et le Nord a, depuis l’indépendance, été particulièrement négligé. Immense pays en grande partie désertique, le Mali est profondément divisé entre un Sud (90 % de la population) peuplé de Noirs et un Nord avec des populations touaregs, maures ou arabes.

Une bombe à retardement est programmée au coeur du processus – déjà en panne – de réconciliation : l’enquête de la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye sur le massacre d’Aguelhok, en janvier 2012, l’épisode qui a déclenché l’effondrement de l’Etat, le partage du pays, puis la guerre de 2013. Un charnier d’environ 80 corps de militaires, souvent décapités après s’être rendus, est en cours d’investigation. Des procédures judiciaires pourraient être engagées en juin prochain pour « crimes de guerre ». Contre qui ? C’est toute la question. S’en prendre aux méchants djihadistes arrangent tout le monde, mais ils ne sont sans doute pas les seuls impliqués dans ce massacre. La CPI devra faire la lumière sur la participation du MNLA, le mouvement touareg, voire des éléments de l’armée malienne elle-même.

En attendant, la communauté internationale tende de consolider la situation. Elle s’appuie sur plusieurs outils. L’opération française Serval d’abord. Elle compte encore 2 300 hommes et devrait passer à 1 000 hommes « à la fin du printemps », c’est-à-dire avec six mois de retard sur le calendrier initialement annoncé par François Hollande. L’essentiel des moyens sera concentré à Gao.

L’EUTM-Mali, ensuite. Il s’agit d’une opération de l’Union européenne à laquelle participe 570 militaires issus de 23 nations différentes sous les ordres du général français Bruno Guibert. L’EUTM- Mali constitue la nouvelle armée malienne. Trois bataillons interarmes de 730 hommes ont été formés en un an et un quatrième est entre les mains des instructeurs. Le mandat de l’EUTM-Mali doit être prolongé de deux ans, pour constituer au total 8 bataillons, soit une force de plus de 5 000 hommes.

La Minusma, enfin. Cette opération des Nations Unies agit dans trois domaines : militaire, policier et civil. Si ces résultats en matière de sécurité sont appréciables, le volet civil – celui du développement et de la reconstruction politique – semble très déficient. Les effectifs de la Minusma devait atteindre 12 000 hommes. On sait désormais que cet objectif ne sera pas atteint. Les plus optimistes tablent sur 8 000 hommes. La majorité est fournie par les Etats africains de la région, mais on y trouve aussi des militaires chinois. 400 Hollandais doivent arriver prochainement avec des moyens importants (forces spéciales, renseignement, hélicoptères de combat). Ce qui n’est pas sans inquiéter les militaires français.

Par Jean-Dominique Merchet, Journaliste

Source: L’Opinion

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