INTERVIEW Selon la coréalisatrice du documentaire « Wagner, l’armée secrète de Poutine », la présence des paramilitaires de cette société privée en Ukraine est attestée
Diffusé sur France 5, ce documentaire riche et fourni revient sur la genèse de Wagner, détaille ses liens complexes avec le Kremlin et rapporte les méthodes de déstabilisation utilisées par ce groupe à l’occasion de divers conflits. Dans une interview accordée à 20 Minutes, Alexandra Jousset analyse le rôle trouble joué par cette organisation et les conséquences de son implication dans la guerre qui oppose depuis le 23 février l’Ukraine à la Russie de Vladimir Poutine.
Qu’est-ce que la société Wagner ?
Il s’agit d’une société militaire privée russe. C’est une compagnie de mercenaires. En Russie, ce type d’organisation militaire privée est illégal, Wagner n’a donc aucune existence juridique. Elle a été créée entre 2013 et 2014 et porte le nom de guerre du fondateur du premier groupe de combattants, Dimitri Outkine. C’est un admirateur d’Adolf Hitler qui s’est fait tatouer dans le cou le symbole de la SS. Les profils des membres de Wagner sont toutefois assez hétéroclites, on y trouve des hommes de nationalité russe mais aussi des Ukrainiens. Pendant notre enquête, nous avons rencontré d’anciens de la légion étrangère française, des repris de justice, d’anciens réservistes. Leur point commun est de vendre leurs services en échange de primes.
Que sait-on des liens entretenus entre cette société et le pouvoir Russe ?
On ne peut pas dire qu’il existe de lien direct entre Wagner et le Kremlin. Ils jouent d’ailleurs sur cette « zone grise ». Mais ce que l’on sait, c’est que cette société utilise les moyens du ministère de la Défense russe pour mener ses missions à travers le monde. Le centre d’entraînement et de recrutement de Wagner est aussi situé juste à côté d’une base du GRU, le service de renseignement russe et on sait que des rapports rédigés par le commandement de Wagner ont été envoyés au chef d’État-major de l’armée russe lors de missions réalisées en Libye, par exemple.
Lors de notre enquête, l’un de nos interlocuteurs, qui a travaillé pour le groupe Wagner, nous a clairement dit : « Nous sommes une filiale du gouvernement russe ». C’est un secret de polichinelle qui repose sur le concept de « déni plausible ». Lorsque Wagner commet des exactions, Vladimir Poutine peut tout à fait dire : « Ce n’est pas nous, nous n’avons aucun lien avec eux et si vous avez un problème avec cette société, adressez-vous à elle ». Mais toutes les preuves que nous avons recueillies démontrent que l’organisation ne pourrait agir sans l’encouragement ou l’assentiment du Kremlin.
Selon une information du journal britannique The Times, plus de 400 mercenaires russes affiliés à cette société auraient été dépêchés dans la capitale ukrainienne pour assassiner le président. Comment analysez-vous cette information ?
Personnellement, nous n’avons pas pu corroborer cette information. En revanche, on sait que plusieurs sociétés militaires privées russes, dont Wagner, sont actuellement déployées en Ukraine. Depuis 2014, la présence de ces paramilitaires est quasi continue dans ce pays. D’ailleurs, les premières missions confiées à Wagner se sont déroulées en Ukraine et consistaient à éliminer des chefs séparatistes qui prenaient trop de pouvoir. Ce type de mission fait donc partie de l’ADN de l’organisation. Ensuite, les membres de Wagner ont surtout assuré des missions de police militaire dans le Donbass. Ils assistaient les forces locales pour faire régner l’ordre.
Quel rôle cette organisation privée peut-elle jouer dans le conflit actuel en Ukraine ?
Selon nos sources, malgré la forte présence de paramilitaires affiliés à ces sociétés privées en Ukraine, cela reste une goutte d’eau par rapport aux effectifs déployés par l’armée régulière russe. Wagner ne va pas changer la face du conflit. En revanche, c’est un moyen efficace de terroriser la population. Déployer ces hommes sur le terrain, c’est donner carte blanche à de possibles exactions. C’est ce qui s’est passé en Centrafrique.
L’autre atout de Wagner, c’est sa capacité à polariser le débat et à déployer des campagnes de désinformation. Les activités de cette société ne se limitent pas seulement au terrain militaire. En 2016, cette organisation a en partie orchestré la campagne de désinformation visant l’élection présidentielle américaine à l’aide de « fermes à trolls » sur les réseaux sociaux. Ce modèle a ensuite été répliqué en Afrique. C’est une arme complexe, évoluée et pensée.