Alors que les Ambassades sont censées refléter la rigueur, l’excellence et l’intégrité de l’État malien à l’extérieur, celle du Mali à Accra (Ghana) renvoie aujourd’hui, à travers un rapport accablant du Bureau du Vérificateur Général, l’image inverse. Ce contrôle financier, mené sur les exercices 2021, 2022, 2023 et le premier semestre 2024, met à nu une série de graves irrégularités administratives et financières qui interpellent les plus hautes sphères de la diplomatie malienne.
Une mission diplomatique en roue libre
Bamada.net-Loin d’être un cas isolé, l’ambassade du Mali à Accra est devenue, à bien des égards, un condensé de dysfonctionnements structurels. Le rapport révèle d’abord un laisser-aller inadmissible dans la gestion du personnel diplomatique. Des diplomates relevés de leurs fonctions sont restés en poste plusieurs mois, voire plus d’un an, tout en continuant de percevoir salaires et avantages. Ainsi, le conseiller consulaire sortant, malgré l’abrogation de son arrêté en septembre 2021, continuait de toucher sa rémunération jusqu’en décembre 2023. Un autre cas similaire concerne un Premier Conseiller resté huit mois de trop, et un autre encore, admis à la retraite, ayant prolongé son séjour de quatre mois.
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Ce désordre administratif traduit une absence totale de suivi de la part du Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération Internationale (MAECI), et dénote un dysfonctionnement profond dans la chaîne de contrôle et de coordination.
Une gestion financière approximative et coûteuse
Sur le plan financier, les faits sont tout aussi édifiants. L’ambassade ne dispose pas de manuel de procédures, ce qui laisse place à une improvisation administrative généralisée. Pis encore, elle paie des dépenses sans les justificatifs obligatoires, notamment l’Attestation de Service Fait. Des dépenses d’entretien de bâtiments et de véhicules ont été réglées sans que la réalité de ces services soit vérifiée.
Autre fait marquant : le non-respect du plafond autorisé pour les fonds en caisse. Le 16 décembre 2024, le montant en caisse s’élevait à plus de 3,7 millions de FCFA, soit 15 fois le maximum autorisé (250 000 FCFA). Ce manquement grave expose les deniers publics à des risques de perte, voire de détournement.
Le Secrétaire Agent Comptable (SAC), garant des deniers publics à l’ambassade, n’a ni tenu les registres comptables requis, ni effectué de rapprochements bancaires. Il n’a pas non plus justifié la disparition de plusieurs quittanciers fournis par le Trésor. Ces documents, indispensables au suivi des recettes, se sont tout bonnement volatilisés.
Plus de 36 millions FCFA d’irrégularités non régularisées
Le rapport chiffre à 61 293 799 FCFA le montant total des irrégularités financières constatées, dont 36 620 393 FCFA n’ont pas été régularisés à la date de clôture des travaux. Parmi les fautes les plus graves, l’on note :
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17 197 659 FCFA de recettes non reversées au Trésor public ;
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1 961 124 FCFA de frais médicaux irrégulièrement payés à des diplomates, bien que ces dépenses soient couvertes par un contrat d’assurance en vigueur ;
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17 461 610 FCFA de surplus de salaires non retournés à l’État ;
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Sans compter la non-justification de l’absence de trois carnets de quittances.
Face à ces faits, le Vérificateur Général a saisi le Président de la Section des Comptes de la Cour Suprême et le Procureur de la République du Pôle national économique et financier, ouvrant potentiellement la voie à des poursuites judiciaires.
Une diplomatie à reconstruire
Ce rapport n’est pas seulement un audit technique ; il jette une lumière crue sur la déliquescence de notre diplomatie à l’étranger. Il révèle un système désorganisé, parfois complice, où l’inefficacité et la légèreté dans la gestion sont la norme. Le manque de rigueur dans la gestion du personnel, l’ouverture illégale de plusieurs comptes bancaires à Accra et à Lomé, et le non-respect des lois locales sur le paiement des salaires en devises locales (le Cédi ghanéen) illustrent une diplomatie malienne mal préparée aux exigences contemporaines de la bonne gouvernance.
Des recommandations à mettre en œuvre d’urgence
Le rapport recommande, entre autres, la mise en place immédiate d’un manuel de procédures, la stricte application des plafonds de caisse, la régularisation des dépenses irrégulières et une réforme structurelle du suivi du personnel diplomatique.
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Mais au-delà des recommandations, c’est toute la politique de gestion des missions diplomatiques maliennes qu’il faut repenser. Une mission diplomatique ne saurait être une zone de non-droit financier ni un refuge pour les privilèges indus.
Conclusion : Le miroir d’une République à redresser
Ce rapport, s’il est bien exploité, pourrait constituer une opportunité pour redresser la gouvernance des missions diplomatiques maliennes. Il appartient désormais aux autorités de transition, souvent promptes à dénoncer les tares de l’ancienne gouvernance, de faire preuve de la même fermeté envers les représentants du Mali à l’étranger.
La diplomatie ne peut être crédible sans exemplarité. L’Ambassade du Mali à Accra doit redevenir un exemple, et non un scandale ambulant de mauvaise gestion.
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Moise Touré
Source: Bamada.net