Un collectif d’enseignants-chercheurs maliens dénonce la pratique de faux diplômes dans l’Université de ce pays. C’est un mal qui ne frappe pas que l’Afrique. La lutte contre le plagiat et l’abus de titres académiques tend à se répandre. Cela prend une tournure particulière dans la sphère politique. On lira ici l’analyse qu’en fait le collectif dans le cas du Mali.
Les maux actuels du Mali sont nombreux: instabilité, violence, perte de l’autorité parentale, perte de l’autorité académique, perte de l’autorité de l’État. Ils trouvent leur source dans la corruption. Aujourd’hui celle-ci affecte l’université, censée être indépendante et à l’abri de toute pression politique. À ce propos, Hannah Arendt disait : « dans la mesure où l’Académie se souvient de ses origines antiques, elle doit savoir qu’elle a été fondée par le plus influent des opposants à la polis ».
Certes, le rêve de Platon ne s’est pas réalisé et l’Académie n’est jamais devenue une contre-société. Mais ce dont Platon n’a jamais rêvé est devenu vrai : le domaine politique a reconnu qu’il avait besoin d’une institution extérieure à la lutte du pouvoir s’ajoutant à l’impartialité requise dans l’administration de la justice.
Mais aujourd’hui que valent les lieux d’enseignement supérieur au Mali ? Rien, car en plus de recruter n’importe comment, il y a des enseignants usurpateurs de diplômes de Master et de Doctorat au sein de la Faculté des Sciences économiques et de Gestion —FSEG— et d’autres sphères de l’Université.
La démission du Directeur de l’ENA Amadou Keita en février dernier a été un exemple de dignité et d’indépendance, propre à un vrai enseignant. Elle avait donné une lueur d’espoir quant à l’avenir des structures d’enseignement supérieur au Mali. Malheureusement, les révélations fracassantes avec preuves à l’appui, sur l’immixtion des détenteurs de faux diplômes de doctorat ont ruiné cette perspective.
Parmi les faussaires ont trouve un ancien conseiller à la présidence du Mali (Etienne Fakaba Sissoko) qui bénéficie de la complicité de responsables de l’enseignement supérieur. Il usurpe un titre qui lui a valu un poste d’enseignant-chercheur à la FSEG (recrutement sur titre de docteur sans concours) en tant que fonctionnaire de l’État malien.
Corrompre veut dire rendre mauvais, avarier. La corruption suppose une transgression des règles et normes établies qui s’effectuent avec la complicité d’une personne investie d’une autorité qui agit contre les devoirs de sa responsabilité pour satisfaire des intérêts privés. Dans cette affaire de corruption qui sont les soutiens des sieurs Etienne Fakaba Sissoko, Mohamed Keita et Abdramane Coulibaly ?
Est-ce le gouvernement du Mali à travers le ministère de l’Éducation nationale et celui de la fonction publique ? Est-ce le comité SNEsup de la FSEG ou le Bureau National du SNEsup ? Est-ce le rectorat de l’Université des Sciences Sociales et des Sciences de Gestion de Bamako ? Est-ce la direction des ressources humaines de l’éducation, notamment le bureau des équivalences ? Est-ce une certaine presse passive?
Pour vérifier la réalité de ces faux diplômes, il suffit d’un seul clic en tapant le nom de famille et le prénom de la personne concernée dans theses.fr où se trouvent les informations sur toutes les personnes ayant soutenu une thèse en France depuis 1980 jusqu’à nos jours. Pourquoi l’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche Scientifique Mme Assétou Founè Samaké Migan a-t-elle ignoré les recommandations de la commission, qui lui avait pourtant signalé ces faux doctorats ?
Nous en appelons aux ministres de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, et de la Recherche scientifique : le Docteur Témoré Tioulenta et le Professeur Mahamadou Famanta. Éduquer et former ne sont pas seulement synonyme de transmission de savoirs et de connaissances : il s’agit surtout de transmettre des valeurs et d’usages de nos sociétés, c’est-à-dire donner des repères éthiques et culturels en plus des compétences.
Les manifestations de corruption à l’université ne peuvent être aucunement dissociées du contexte général d’affaiblissement et d’affaissement de l’État. Michel Offerlé ne disait-il pas que la politique est le seul métier où on n’a pas besoin de diplôme ? En revanche, pour exercer le métier d’avocat, il faut réussir un concours. Pour devenir professeur, il faut obtenir des diplômes et réussir le concours de recrutement. Se faire recruter avec un faux doctorat pendant que de vrais docteurs se retrouvent sur le carreau après des années de souffrance est tout simplement criminel.
Nous accusons la Faculté de Science Économiques et de Gestion (FSEG), son Doyen Papa Kanté qui le protège en dépit de la lettre envoyée par Paris 10 Nanterre (Valérie Mignon a fait une attestation pour confirmer qu’elle n’a jamais encadré Oumar ou Etienne Fakaba Sissoko) ainsi que le Syndicat qui doit réagir vigoureusement quand il s’agit de dénoncer les faux docteurs dans l’enseignement supérieur au Mali.
Nous irons au bout de cette affaire car il en va de la survie de la nation malienne. Si on peut se faire recruter sur des faux doctorats confectionnés au marché Dibida de Bamako, alors autant fermer la boutique. L’école n’aura plus sa raison d’être et encore moins l’Université censée former les cadres maliens.
Pour le collectif des enseignants-chercheurs maliens pour la ‘‘ méritocratie républicaine’’, Karim Sacko, enseignant-chercheur (karimsacko79@gmail.com)
Source: Mediapart