Sikasso, 12 juillet (AMAP) Sikasso, terre des Sénoufo. Depuis très longtemps, la région est connue par sa diversité culturelle, fortement influencée par les Sénoufo. Elle regorge d’intéressants rites qui méritent d’être vulgarisés au Mali comme ailleurs. A Sikasso, c’est ce à quoi s’attelle le musée sénoufo, en fait le Centre de recherche pour la sauvegarde et la promotion de la culture sénoufo,qui œuvre pour promouvoir et valoriser la culture sénoufo.
A l’entrée, le visiteur tombe nez à nez avec la statue d’une femme agenouillée, une calebasse en main. Des statues de taille humaine et de nombreuses statuettes complètent le comité d’accueil ! Au fond, à gauche, la statue d’un grand paysan sénoufo debout, qui tient une houe. Egalement, la statue d’un féticheur jetant les cauris pour une femme. Non loin de là, à l’intérieur du musée, de nombreuses statues dont celle des guerriers sénoufo de Boundiali (Côte d’Ivoire) sur des chevaux. Bienvenue au Centre culturel sénoufo de Sikasso.
Selon les responsables du musée, les Sénoufo du Kénédoudou seraient venus de divers horizons, à la suite de migrations tourmentées. Ils auraient trouvés sur les lieux les Samogo. L’essentiel, pour leurs hôtes, était que les nouveaux arrivants respectent les coutumes et la terre. Pour communiquer, les deux ethnies utilisaient une langue appelée « Siéna » qui serait à l’origine du mot « sénoufo ». Il existe quatre sous groupes de Sénoufo à Sikasso : les « supyibi » ; « shèmyibi » ; « shènabi » et les «pômpôrôbi ».
Le musée sénoufo possède plus de 1200 objets d’arts, de la vie quotidienne, sociale et religieuse du peuple sénoufo et d’autres ethnies. « Le centre possède, en plus des statues et statuettes qui sont souvent sacrées, des masques de culte et de réjouissances, des instruments de musique, notamment le balafon, des armes traditionnelles et des outils de travaux domestiques et champêtres du milieu sénoufo et d’ailleurs », explique le directeur du centre, le père Bruno Ssennyondo.
Selon lui, le centre permet d’aider la communauté sénoufo à sauvegarder et promouvoir sa culture. Il aide, également, le monde sénoufo à, non seulement, connaître ses richesses culturelles mais surtout à s’ouvrir davantage à d’autres perspectives socioculturelles susceptibles de contribuer à son rayonnement. « A cela, s’ajoute la facilitation des rencontres et le dialogue avec les différentes expressions confessionnelles et l’univers culturel sénoufo », poursuit notre interlocuteur.
« Ici, on a des objets spécifiquement sacrés qui sont gardés dans la case des hommes. Ni les femmes, ni les enfants ne sont autorisés à voir ni toucher à ses objets. Seuls, les hommes initiés en ont la permission», confie le chargé des visites et des transcriptions du musée, Yaya Elie Bamba.
Il précise que c’est toute l’équipe du musée qui part sur le terrain, à la découverte du monde sénoufo. Il ajoute que cela fait quatre ans que le centre, à travers sa collection « wu niré », publie des livres sur le monde sénoufo. Le centre a, notamment, produit « Les contes et les devinettes sénoufo », « Les bouffons (koredouga) en milieu sénoufo » et « Les rites agraires en milieu sénoufo ». Les monographies de quatre villages sénoufo (Katon, Dioumaténé, Lofiné et Ouatialy) en font aussi partie.
La gestion d’un centre sans grandes ressources n’est pas un long fleuve tranquille. Le père Bruno Ssennyondo indique que l’année dernière, le centre a rassemblé 140 femmes joueuses de « Cicara » (un instrument de musique des femmes sénoufo, lié à l’agriculture). Il voulait organiser une compétition entre ces femmes. Mais faute de soutien, l’événement, n’a jusque-là, pas pu se tenir.
Egalement, le responsable du centre a cité l’exemple de la production du livre sur le « Ciwara » (un rituel agricole pratiqué par la communauté sénoufo) pour laquelle il a remué ciel et terre sans obtenir le moindre soutien. Cependant, l’équipe a réussi, contre vents et marées, à publier le livre. « Même quand nous avons envoyé des exemplaires à ceux que nous croyions être nos soutiens, aucun d’eux n’a daigné se manifester par un simple accusé de réception ».
S’exprimant sur les difficultés lors de la collecte d’informations dans les villages, Yaya Elie Bamba indique que, bien souvent, les chercheurs restent sur leur faim. « Sur le terrain, si nos questions sont relatives au sacré, nos interlocuteurs préfèrent s’abstenir de répondre », raconte-t-il. Pour avoir gain de cause, les chercheurs sont obligés d’approcher leurs interlocuteurs, individuellement, après la rencontre publique, pour qu’ils acceptent d’aborder ces sujets. A cela, s’ajoute le temps que l’on met à attendre les villageois, une fois sur le terrain, car ils priorisent d’abord leurs occupations. « Souvent, on se pose la question : est-ce qu’ils vont accepter de nous recevoir aujourd’hui ? Mais on ne désespère pas, on les attend », témoigne-t-il.
D’après l’abbé Edouard Coulibaly, le responsable du volet recherche du musée, le centre élabore, chaque année, un calendrier sénoufo pour la population. Ce calendrier compte six jours, contrairement à celui des français.
Il indique que, parmi les 80 dialectes du sénoufo de la troisième région, le centre a opté pour trois dans la conception de son calendrier. Il permet aux sénoufo de connaître le sens des jours.« C’est à travers cela qu’ils choisissent les jours de mariages et le premier jour des semis. Le calendrier leur permet de connaitre la semaine noire ou amère ainsi que la lune noire (moments inappropriés pour prendre des décisions) », confie-t-il. Et d’ajouter que c’est aussi l’outil d’aide au choix des jours appropriés de baptême, de funérailles et de grandes rencontres.
Les Sikassois apprécient leur musée
La vendeuse de chenilles au grand marché de Sikasso, Adjaratou Bengaly, se réjouit de l’initiative du musée et estime que le lieu permettra d’immortaliser la culture sénoufo. L’enseignant Ousmane Diamouténé se dit très honoré de l’initiative du centre. « En tant que sénoufo et habitant de la 3èmeRégion, ce centre est très significatif pour moi. C’est vraiment un moyen de restituer les valeurs et les cultures de nos ancêtres », indique-t-il.
Quant à Amadou Diarra, un fervent visiteur du musée pendant les week-ends, ce centre est très intéressant. Il soutient qu’il a beaucoup appris de ses visites, notamment sur l’histoire du royaume du Kénédougou et sa capitale Sikasso ainsi que des séances de lecture en français, bambara et sénoufo.
Le centre a été créé en novembre 2005 par le regretté « père Emilio Escudero », membre de la Société des « missionnaires d’Afrique » ou encore « pères blancs ». Durant 50 ans, cet Espagnol amoureux de la culture sénoufo passait le plus de son temps dans les villages, à la recherche de tout élément susceptible de sauvegarder et de promouvoir les valeurs culturelles autochtones dont l’existence lui semblait menacée.
Les responsables du centre, qui poursuivent son œuvre, se disent convaincus que le Mali, à travers sa culture, peut trouver la réponse à de nombreuses équations de son développement des populations. Pour cela, les acteurs du centre, soutiennent que ce musée, bien entretenu et aidé par les pouvoirs publics, est un outil de promotion culturelle qui contribue au rayonnement du Mali, comme le font d’autres musées de grande renommée.
MFD/MD (AMAP)