Mais, tout cela pèse bien peu à côté d’un fait menaçant : la dégradation sécuritaire. Car, à Tougoumé et à Allaye Kokolo (Bandiagara), la semaine dernière a été marquée par des atrocités sécuritaires. Encore des morts, des blessés et des déplacés internes sur la conscience des spadassins de la violence. Les territoires urbains sont moins touchés au quotidien par la dégradation sécuritaire que les territoires ruraux. Le monde rural est devenu la chasse gardée des groupes narcoterroristes qui ne ratent pas une occasion pour donner un écho à leur violence. Une situation que certains experts qualifient d’injustice sécuritaire, la première des injustices. Bien entendu, on dira que le Mali est en guerre, que les FAMa continuent de « monter en puissance », que tout ceci ressemble à l’insécurité « résiduelle ». Tout cela pourrait paraître vrai, mais n’efface pas malheureusement, la souffrance et le sentiment d’abandon des populations en prise avec le narcoterrorisme.
Nouveaux visages des guerres du 21eme siècle
En tout état de cause, la fragilité des dispositifs sécuritaires ne cesse de s’accentuer. Les politiques sécuritaires apparaissent donc sérieusement mal-en-point, d’autant que les tentatives de réimplantation des services publics peinent à se concrétiser. Aujourd’hui sur la cinquantaine de conflits dans le Monde (Cattaruza : 2017), le nôtre est un des plus violents avec ses images de désolation (ruines, viols, humiliations, etc.) foulant au pied les conventions internationales. Les réfugiés, les déplacés et les morts se comptent par milliers. Au Mali comme au Burkina-Faso, au Niger comme au Nigéria, le narcoterrorisme reflète le nouveau visage des guerres du 21eme siècle : criminalité, désinformation, bataille de l’opinion… À l’intérieur de nos états, le narcoterrorisme a parfois des implications régionales et internationales. Au fil du temps, la crise malienne, comme on l’appelle, a contaminé les voisins burkinabé et nigérien dont le Liptako Gourma est devenu l’épicentre. Les alliances se redéfinissent. Il en est de même au Nigéria où la secte Boko Haram a phosphoré le long du lac Tchad, ébranlant la sécurité d’une partie des territoires tchadien et nigérien. Ces crises divisent.
Multipolarité des relations
L’attaque du 28 octobre dernier de Boko Haram contre l’armée tchadienne (plus d’une quarantaine de morts) a conduit le Président Idriss Déby à se retirer de la Force multinationale mixte (FMM), créée en 1994 pour lutter contre la criminalité et le banditisme le long du lac Tchad. La raison invoquée est le manque de solidarité du Niger, du Nigéria, du Bénin et du Cameroun, États membres de la FMM, à l’égard du Tchad, également pays membres. Le contexte géopolitique change. La multipolarité des relations titille les liens entre états, voire même le système de sécurité des Nations-unies, construit à la fin de la 2eme guerre mondiale pour préserver la paix dans le Monde. En 2023, le départ de la force onusienne (Minusma) du Mali illustre les difficultés d’adaptation des opérations de maintien de la paix aux nouveaux visages des conflits : sociétés militaires privées, trolls de déstabilisation, cybercriminalité… Finalité : les résultats des opérations de maintien de la paix restent maigres. La vulnérabilité économique, climatique, démocratique et sociale des États s’aggrave. Les enjeux de développement tels que l’éducation, la santé ou la justice ne constituent plus une priorité.
La multiplicité des conflits menace la stabilité des Etats, dans certains cas leur survie. Prenons garde. La proposition serait de penser les crises sécuritaires et politiques comme un sujet territorial, parce que les enjeux sécuritaires sont différents d’un espace à un autre. C’est le premier palier pour construire des réponses sécuritaires collectives, d’autant que gouverner c’est conduire des actions quotidiennes pour satisfaire les demandes des populations.
Mohamed Amara
Sociologue