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Décryptage : L’esprit du pouvoir

Ce matin, dans décryptage, l’esprit du pouvoir. L’esprit du pouvoir peut être entendu comme étant la manière dont un individu habite une autorité. Mal incarné, le pouvoir devient nocif. Mieux représenté, il devient un antidote contre la mauvaise gestion. Fanga en bambara, hini en songhay, le pouvoir est un rapport social entre les individus, qui tire sa source dans l’esprit, lakkal en songhay, hakili en bambara.

Entendons par esprit, notre capacité à veiller au respect des règles de vie communes, à garantir l’union et la paix, à œuvrer pour l’intérêt collectif, etc. Dans une logique d’interdépendance, l’esprit du pouvoir structure la vie des institutions : économique, familiale, judiciaire, législative, militaire, politique, scientifique… Ici, il s’agit de l’esprit du pouvoir politique et des capacités d’un régime à l’incarner.

 

Réinventer le système démocratique

Le 14 octobre 1497, il y a six siècles, Askia Mohamed s’est appuyé sur la bonne organisation de son Etat pour préparer son voyage en Arabie saoudite (Kati : 1970). Askia avait compris que son empire tirait sa puissance et sa légitimité de l’adhésion de ses concitoyens à ses réformes foncières, sociales, judiciaires, etc. L’Etat songhay fonctionnait grâce au respect de son cadre sociopolitique, économique et juridique. C’était une forme de démocratie, impulsée par la manière dont Askia incarnait le pouvoir. Malheureusement, ses successeurs en ont fait qu’à leur tête. Le pouvoir peut rendre fou. La suite, en 1591 à Tondibi, les luttes fraternelles accélèrent la chute de l’empire face à l’armée marocaine. Presque trois siècles après, ailleurs sur le continent américain, en 1776, le 2eme président des Etats-Unis d’Amérique, John Adams, rappelle que “[…] la démocratie ne dure jamais longtemps. Elle gaspille, s’épuise […]. Il n’y a jamais eu une démocratie qui ne se soit suicidée”. La sentence est sévère. Mais Adams pointe l’impérieuse nécessité à agir sur les contradictions (oppression, disparité) pour réinventer le système démocratique. Autrement il disparaît. L’esprit du pouvoir politique s’évalue en questionnant les dynamiques inhérentes à la marche de toute société.

 

La ceinture des coups d’Etat

La première dynamique concerne les oppositions sociopolitiques ou économiques à prendre en considération pour une gestion inclusive de l’Etat. Le 19 novembre 1968, les contradictions entre le régime du président Modibo Kéita et une partie des Maliens favorisent le 1er coup d’État militaire du Mali indépendant, porté par le Comité militaire de libération nationale (CMLN) de Moussa Traoré. D’autres causes du putsch militaire de Traoré contre Kéita se trouvent dans les dérives du régime de ce dernier : abus de la milice populaire, imposition d’un franc malien non convertible, etc.

Conséquence : l’esprit du pouvoir de Kéita (l’homme de l’indépendance) s’évapore. Son successeur, Moussa Traoré, squattera Koulouba durant 23 ans. La routine aidant, le valeureux soldat se perd dans les intrigues. Il commet l’erreur de minimiser la capacité de résistance des Maliens.

Les dérives dictatoriales de son pouvoir (le vendredi noir) sonnent le glas de son règne. Le 26 mars 1991, grâce à la détermination du mouvement démocratique, Amadou Toumani Touré (ATT) dépose Moussa Traoré au nom du Comité de transition pour le salut du peuple, CTSP. Désormais l’expression ceinture des coups d’Etat sied.

 

L’emprise des élites

La deuxième dynamique de l’esprit du pouvoir, c’est celle de la lutte des classes, qui pourrait paraître comme un concept marxiste désuet. Mais, ne nous méprenons pas. Nos sociétés sont encore traversées par des luttes antagonistes en raison de la mauvaise répartition des richesses. D’ailleurs, des régimes, comme celui d’ATT, s’y sont embourbés faute d’une lecture progressiste des rapports de force, c’est-à-dire qu’il ne répondait plus aux atteintes des Maliens. Ainsi, le président ATT a été rattrapé par la patrouille des putschs militaires.

Le 22 mars 2012, au nom du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE), le capitaine Amadou Haya Sanogo met fin à son régime. En cause, la mauvaise gestion des tensions sécuritaires dans le Nord du pays. En réalité, une des difficultés d’ATT a été son impuissance à construire une société malienne plus juste alors même que les Maliens le surnommaient le soldat de la démocratie. L’emprise des élites sur ATT a noyé au fin fond du fleuve Niger son esprit de réformateur. Mais à sa décharge, reconnaissons qu’ATT a réalisé des réformes sociales novatrices : Apej, Amo…

Les jeunes s’engagent

La troisième dynamique pour comprendre l’esprit du pouvoir, c’est celle de la lutte des places. Nos sociétés sont à un tournant, celui du désir d’autonomie individuelle : travailler, se loger, se soigner… Elle est amplifiée par la révolution numérique grâce à laquelle les combats pour la paix, la transparence, la sécurité, la liberté de pensée et d’expression se propagent. Aussi bien les manifestations pour le départ des forces occidentales que celles des forces onusiennes sont devenues virales.

Les jeunes s’engagent plus facilement pour défendre des causes auxquelles ils s’identifient. En 2020, les manifestations du M5-RFP contre le régime d’Ibrahim Boubacar Kéita (IBK) pour plus de sécurité et de bonne gouvernance ont pris de l’ampleur, en partie, grâce aux réseaux sociaux. Elles n’ont finalement laissé aucune chance à son pouvoir. Le 18 août 2020 à Bamako, le colonel Assimi Goïta du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) abrège son régime. Happé par la crise sécuritaire, IBK n’a pas su actionner des leviers démocratiques permettant de mieux incarner le pouvoir politique à travers des projets pour la jeunesse.

 

Pour la vie des Maliens

La quatrième et dernière dynamique pour lire l’esprit du pouvoir, c’est celle de la politique, portée par un parti politique ou une idéologie politique. La dynamique politique est avant tout avant-gardiste. Sa force, c’est de rassembler tout une nation. Symbole de l’espoir et de la démocratie, elle pousse un peuple à dire non à l’injuste et à l’inégal. Elle nourrit l’esprit du pouvoir grâce au débat d’idées, peu importe la coloration politique.

Aujourd’hui, la singularité du contexte sécuritaire invite à renouer avec une dynamique politique en accord avec les exigences démocratiques : élection, etc. Sous le poids des crises, nos économies risquent de craquer. Le secteur privé s’éteint. Les investisseurs deviennent rares. Par conséquent, il est temps d’agir pour le retour des conditions politiques favorables à la vie des Maliens. Nous le savons tous.

Concluons : la convergence des différentes dynamiques fortifie l’esprit du pouvoir politique. Le 17 septembre 2024 à Bamako, les attaques narcoterroristes du GNIM contre l’école de gendarmerie et le camp 101 appellent à l’esprit du pouvoir. Certes, l’équation pourrait paraître difficile, mais sa résolution est à portée de main si nous sommes unis. Enfin, incarner l’esprit du pouvoir politique, c’est gouverner avec réalisme et pragmatisme, car “ce qui ne peut être évité, il faut l’embrasser”, nous transmet William Shakespeare.

Mohamed Amara

Sociologue

Source: Mali Tribune

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