Ce week-end, Bamako a vibré sous la tension politique. Environ une centaine de partis politiques, toutes tendances confondues, sont montés au créneau pour exprimer leur indignation face à ce qu’ils considèrent comme une menace sans précédent contre le pluralisme démocratique au Mali. Au cœur du conflit : un projet de dissolution des partis politiques, né des premières recommandations des consultations des forces vives convoquées par le Ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé des réformes politiques et institutionnelles.
Un projet qui fait déborder la coupe
Bamada.net-En lieu et place d’une véritable réforme de la charte des partis politiques, la proposition phare qui a émergé des consultations locales appelle à la dissolution pure et simple des formations politiques. Une recommandation jugée « provocatrice » par les acteurs politiques, qui y voient la manifestation claire d’une volonté d’installer un pouvoir autoritaire, en foulant aux pieds la Constitution du 23 juillet 2023 et le principe sacro-saint du pluralisme démocratique.
« Nous ne pouvons accepter cette dérive », ont scandé d’une même voix les leaders politiques, réunis pour une conférence de presse à haute tension à Bamako. Par la voix de l’ancien ministre Oumar Ibrahim Touré, les partis ont rappelé que le combat pour le multipartisme au Mali avait coûté la vie à plus de 300 citoyens. « Aujourd’hui, il est inconcevable que des acquis démocratiques aussi chèrement obtenus soient sacrifiés sur l’autel d’un autoritarisme rampant », a-t-il prévenu.
Le respect de la Constitution, une exigence non négociable
Pour les partis politiques présents, l’heure est grave. Ils exigent sans détour le respect absolu de la Constitution du 23 juillet 2023, ainsi que des lois en vigueur, notamment la charte des partis politiques. Ils dénoncent également la détention de plusieurs figures politiques, dont Mamadou Traoré dit « Le Roi », président du parti Alternance, arrêté et placé sous mandat de dépôt à la suite d’une garde à vue mouvementée au pôle national spécialisé dans la lutte contre la Cybercriminalité.
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« La démocratie ne se gouverne pas par la répression et la terreur », a martelé Me Mountaga Tall, ancien ministre et ancien allié des autorités de la transition, qui n’a pas mâché ses mots pour dénoncer « la dérive autoritaire » en cours.
Une légitimité contestée
Dans leur déclaration, les partis politiques ont également fustigé les conditions dans lesquelles les consultations initiées par le gouvernement ont été menées. Avec seulement 1 500 participants recensés, ces assises locales peinent à justifier leur légitimité face aux chiffres massifs des précédentes consultations nationales, telles que les Assises Nationales de la Refondation (plus de 76 000 participants) et le référendum constitutionnel de juin 2023 (plus de 3 millions de votants).
« Sur quelle base légitime le gouvernement compte-t-il imposer des décisions aussi graves à l’ensemble du peuple malien ? », s’interrogent-ils, dénonçant des « simulacres » de consultations destinés selon eux à légitimer des décisions déjà prises en coulisses.
Un coup dur pour la démocratie malienne
Au-delà des consultations controversées, c’est la nature même du projet de réforme qui inquiète. L’une des propositions les plus choquantes est l’instauration d’une caution de 200 millions de FCFA pour la création d’un parti politique, une mesure jugée discriminatoire et « socialement excluante ».
« Ce type de disposition vise à écarter une grande majorité de Maliens de la vie politique, renforçant ainsi la mainmise d’une minorité privilégiée », ont déploré les représentants des partis politiques. Ils dénoncent un projet qui s’apparente plus à une stratégie d’éradication des contre-pouvoirs qu’à une modernisation de la scène politique.
Une fracture inquiétante entre pouvoir et opposition
La classe politique malienne, bien que souvent critiquée pour ses propres insuffisances, se présente aujourd’hui comme un rempart contre une dérive antidémocratique. L’opposition dénonce la volonté des autorités de la transition de transformer temporairement le pouvoir en un régime pérenne, en marginalisant toute voix discordante.
« Nous avons tendu la main pour une réforme inclusive. Nous avons été repoussés. Aujourd’hui, ils veulent nous traîner dans la boue. Nous refusons et refuserons toujours », a déclaré Me Mountaga Tall, visiblement amer.
Et maintenant ?
Face à cette montée des tensions, une question fondamentale se pose : quel avenir pour la démocratie malienne ? Le bras de fer engagé pourrait soit déboucher sur un dialogue national sincère, soit plonger davantage le pays dans une crise politique aux conséquences incalculables.
Les observateurs craignent que cette tentative de restriction du pluralisme ne soit un pas de plus vers un isolement international du Mali, alors que le pays a déjà à faire face à de lourds défis économiques, sécuritaires et sociaux.
Pour l’heure, la classe politique malienne affiche sa détermination à défendre le pluralisme démocratique et les libertés fondamentales, coûte que coûte.
Bamada.net continuera de suivre de près l’évolution de cette situation explosive qui engage l’avenir même du Mali.
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Fatoumata Bintou Y
Source: Bamada.net