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CE QUE JE PENSE : Les trois (3) tares structurelles de la Démocratie malienne

J’ai eu l’opportunité, plus d’une fois au cours des dernières semaines, de m’exprimer sur le processus démocratique malien. D’abord le 27 mars dernier sur une chaîne de télévision locale et plus récemment, le 15 mai 2021, à l’occasion de la Journée de réflexion sur la transition organisée par Mali Prospective 2050 de Me Mamadou Gaoussou Diarra.

J’ai relevé trois (3) tares structurelles congénitales qui obèrent la démocratie malienne.

Le redressement de notre démocratie ne se réalisera pas tant que l’on ne coupera pas ces tares à la racine, à condition que le mal ne se soit pas déjà métastasé.

  • La tare économique :

Le changement de régime en mars 1991 et l’avènement de la 3e République sont intervenus dans un contexte international instable caractérisé par la mondialisation et une grave crise économique et sociale qui a assujetti nos pays aux programmes d’ajustement structurel les plus déstructurants.

Le Mali n’était pas préparé pour tirer profit de la mondialisation, malgré l’existence d’une clause exceptionnelle au profit des pays pauvres, la Clause de la Nation la plus favorisée.

La mondialisation consistait en un désarmement douanier pour faciliter la circulation des biens et services entre les nations à moindre coût. Un tel paradigme favorisait les pays qui produisent les biens de consommation et les produits industriels finis répondant à des standards internationaux de qualité établis. Les prestations de services devaient répondre aux mêmes standards.

L’économie malienne ne répondait pas et répond toujours pas à ces exigences. Elle apporte très peu de plus-value, parce que ne transformant pas localement sa production. En conséquence, elle s’est structurée de manière déséquilibrée. Le Mali a exécuté les engagements de désarmement douanier et importe des biens de consommation et des prestations de services à coût de centaine de milliards de francs. En contrepartie, il exporte la matière première à l’état brut (volumineuse et pesant lourd), à des coûts de transport non compétitifs à cause de l’éloignement de la mer. Le résultat est que l’économie du Mali est structurée autour de plus d’importation au détriment de l’exportation. La facilité d’importation a créé une situation structurelle intenable. Nous avons le sentiment que tous les biens de consommation et services sont à notre portée. Mais en réalité cette situation asphyxie notre économie. Elle pénalise la production locale qui produit à des coûts plus élevés. Le secteur industriel local ne peut s’épanouir si les produits de ces industries n’arrivent à pas à compétir avec les produits de consommation importés moins cher.

L’économie s’est donc transformée en un marché de commerce primaire où la seule plus-value ajoutée consiste en l’emballage du produit. A ce rythme nous n’avons aucune chance d’intégrer la chaîne des valeurs.

Il n’y a pas de stratégie de diversification de l’économie. Le secteur primaire se diversifie lentement et se modernise peu, malgré l’allocation de 15% du budget à ce secteur au cours de ces dernières années.

Enfin, il n’y a pas de stratégie claire visant à ramener les 80% de l’économie qui relèvent du secteur informel vers le formel de manière à générer de nouvelles recettes pour l’Etat.

Le second problème structurel de l’économie résulte des programmes d’ajustement structurel, qui ont vu le repli de l’Etat des activités économiques et de son rôle de prestations sociales. Sur injonction des institutions financières et des autres partenaires au développement, l’Etat a dû se délester de tous ses actifs en les bradant, à qui ? A une petite élite qui était aux affaires et à des investisseurs étrangers souvent mis au parfum par des complices locaux. Le résultat de cette opération de bradage a créé une situation de rente à vie au profit des acquéreurs des actifs, générant une classe sociale qui contrôle toujours les rênes du pouvoir politique et de l’économie. Et tant que la rente se maintient, ils ne nourriront aucune ambition de transformation qualitative de notre économie.

Le bradage du domaine foncier privé de l’Etat est une des composantes de cette démarche. La main droite vend les terres à la main gauche et cela tombe dans l’escarcelle des mêmes personnes en charge dudit patrimoine.

N’oublions pas non plus la gestion des marchés publics de l’Etat, qui est noyautée d’un bout à l’autre par les mêmes intérêts soit en tant qu’ordonnateurs ou prestataires de biens et services.

Ce choix est délibéré. Il vise à maintenir la domination d’un petit groupe de privilégiés sur le plus grand nombre et à conserver la main mise sur l’économie et le politique, quitte à faire une dévolution patrimoniale des biens et dynastique du pouvoir.

  • La tare institutionnelle :

La Constitution de février 1992 nous a donné des institutions essentiellement calquées sur la Constitution française de 1958.  Hormis le Conseil d’Etat et la Cour des comptes qui existent dans notre constitution au sein de la cour suprême sous une autre appellation, les principales institutions sont articulées de la même manière. Or l’inspirateur de la Constitution de 1958, le Général de Gaulle, a lui-même reconnu que la finalité recherchée était d’affaiblir les partis politiques en mettant en place un exécutif fort pour mettre fin à l’instabilité gouvernementale sous les 3e et 4e Républiques. L’Exécutif fort signifiait pour lui un Président de la République au-dessus de la mêlée, qui ne répond devant personne en dehors du suffrage des électeurs.

Ainsi, le Président de la République est le premier magistrat du pays ; il est le commandant en chef des forces armées et de sécurité. Il nomme et démet le Premier Ministre et son gouvernement. Il nomme aux emplois civils et militaires. Il dispose du droit de grâce.  Il exerce une influence certaine sur la politique extérieure. Le gouvernement est supposé définir et conduire la politique nationale, mais jamais sans l’empreinte du programme du Président. En contrepartie, le Président de la République a peu de comptes à rendre.

Dans le contexte culturel qui est le nôtre où nous avons développé le culte du chef, de tels pouvoirs seront exercés de manière débridée et avec excès.

Le déséquilibre entre les pouvoirs des différentes institutions est tellement poussé que les autres institutions finissent sous l’autorité du Président de la République. Les autres institutions perdent en partie ou totalement leur raison d’être.

Ce choix institutionnel est également délibéré.

  • La tare du système électoral :

La démocratie malienne a institué le système majoritaire à deux tours qui veut que la liste qui l’emporte « rafle tout », ne donnant aucune opportunité de représentation aux formations moins performantes au sein des représentations nationales ou locales. Ce système ne reflète pas la diversité des sensibilités politiques au sein des instances élues. Ce système, que d’aucuns qualifieraient d’injuste, se trouve consolidé par une émulation financière en faveur du gagnant et détriment du perdant, rendant plus forts ceux qui sont déjà bien implantés et ne donnant aucune chance aux partis les moins performants, aux petits partis ni aux formations nouvelles.

La caution financière de 25.000.000 fCfa exigée des candidats à l’élection présidentielle vise également à écarter les jeunes candidats et ceux ne disposant pas de moyens, mais qui peuvent être porteurs d’idées novatrices. Sinon, les conditions de parrainage doivent suffire à départager les candidats.

Vouloir trouver des solutions à la démocratie malienne sans déraciner ces tares reviendrait à mettre un pansement sur une fracture béante.

La solution à la première tare requiert des réformes structurelles de l’économie vers la modernisation, la diversification, la transformation locale et l’inclusion économique.

La solution à la deuxième tare passe par une réforme en profondeur des institutions en créant plus d’équilibre entre elles, en supprimant celles qui ne sont plus pertinentes et en créant de nouvelles en fonction des besoins.

La solution à la 3e tare passe par la réforme du système électoral favorisant l’éclosion de la diversité politique et d’une nouvelle génération de la classe politique. A défaut de cela, il n’y a aucune chance que la classe politique se renouvelle et qu’elle nous apporte l’innovation et la fraîcheur dont nous avons tant besoin.

J’ai écrit ceci et je l’offre comme contribution au débat.

Cheick Sidi Diarra

Ancien Secrétaire général adjoint des Nations Unies.

Kelendji2@gmail.com

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