En cette période de chaleur, la baisse de niveau du fleuve Niger, source principale d’approvisionnement inquiète plus d’un au Mali. Pour savoir les causes et les dispositions visant à faire face à ce phénomène, nous avons rapproché, Dr Baba Faradji N’Diaye, géographe environnementaliste, chef de département protection et gestion des écosystèmes au niveau de l’Agence du bassin du fleuve Niger.
Les Echos : Depuis un certain moment, il est constaté une baisse de niveau du fleuve Niger, est ce que cette situation est dû seulement à la rareté des pluies ou s’il y aune autre explication ?
Baba Faradji N’Diaye : La péjoration climatique à sa part, mais il faut dire que ce n’est pas quelques choses de nouveau, on appuie beaucoup effectivement la péjoration climatique parce que depuis 30-40 ans on est dans ce contexte, on est dans ce climat changeant qui fait qu’il pleut moins, donc si il pleut moins forcement les cours d’eau vont le ressentir, il y a moins d’apport et ça va jouer sur l’hydraulicité du fleuve.
Depuis 30-40 ans, on a connu beaucoup de sècheresse, les années 1970, 1980 et il faut se rappeler qu’en 1984 c’était plus grave que cette année, en 1984 le fleuve avait arrêté de couler à Niamey tellement que l’hydraulicité avait baissé.
C’est pour dire que c’est vraiment un contexte et c’est une continuité, on constate depuis ces années que l’hydraulicité baisse de plus en plus, c’est comme si on est dans de processus de tarissement peut être ça va changer des années àvenir, c’est ce qu’on souhaite mais on est dans ce contexte dû au changement climatique en partie.
En plus de cela, il y a des activités qui contribuent aussi à accélérer cette baisse d’hydraulicité parce qu’avec les activités entropiques de plus en plus on constate qu’il y a des phénomènes d’ensablement du lit. Le fait par exemple de couper, de détruire les forêts, tout ça fait qu’ il y a moins de barrières en amont même du cours d’eau du fleuve Niger. Il y a beaucoup d’activités de dégradation de forêts qui font que de plus en plus, le sol est exposé avec l’érosion hydrique, l’érosion éolienne. Tous ces matériaux vont dans le fleuve.
Puisque la quantité d’eau de pluie baisse, cela veut dire qu’il y a moins d’écoulement. Le fleuve à moins de force dans sa force synectique, même le fait de transporter les matériaux-là qui sont dans l’eau, ça aussi ça baisse et de plus en plus, il y a beaucoup d’eau pourrie, il y a beaucoup de sédimentation, ce qui fait que le lit aussi se comble avec tout ce que les gens produisent aussi comme déchets. Quant on regarde au niveau de Bamako, le fleuve c’est la décharge finale en quelque sorte.
Bien sûr, il y a le changement du climat mais aussi il y a nos activités, une des activités aussi, c’est le débroussement mais aussi les activités dans les lits comme l’orpaillage, qui se fait dans le lit avec des centaines et des centaines de machines, qui bouleverse tout ce qui est dans l’eau, ça amène des perturbations, beaucoup de dépôts.
Les Echos : On parle aussi d’une construction de barrage en Guinée Conakry, est ce que cela pourrait avoir aussi un impact sur cette baisse de niveau du fleuve Niger ?
BFN :Il y a ce projet. Le barrage n’est pas encore construit, mais c’est un projet, donc il y a des études depuis quelques années. Les études techniques ont été faites et il y a des études environnementales qui sont en cours. Effectivement, l’expérience montre que ces genres d’ouvrages risquent de réduire les débits environnementaux.
Notre pays est dans une certaine situation : le fleuve traverse beaucoup de pays et à un certain niveau, il y a ce qu’on appelle le delta intérieur du Niger qui regroupe près de deux millions de personnes, qui ne vivent que de ça. C’est un système qu’on appelle les zones humides qui ont besoin d’eau. Maintenant avec le barrage, beaucoup d’études ont montré que ça va réduire les débits environnementaux, les débits dont le delta a besoin. Il ne va pas les avoir avec la construction de ce barrage.
Avec cette situation qu’on a, c’est 40 m3/seconde qu’on envoie, qui passe au niveau de Markala pour aller vers le delta. Cette année au mois de janvier, c’est seulement 13 m3/seconde qu’on a pu relâcher, parce qu’il n’y a pas d’eau.
Avec le barrage, il y a des scénarios qui ont été faits en fonction de la capacité du barrage. Le delta aura plus ou moins d’eau. Plus le barrage est grand, ça va jouer sur le delta. Donc, ce sont ces études qui ont été faites. Quelle capacité il faut donner au barrage pour que le delta ait les débits environnementaux nécessaires pour la survie de l’écosystème, parce que ce sont des personnes, des êtres qui sont là, qui vivent de ça et parce qu’ il y a de l’eau.
Les Echos : Que faut-il faire maintenant face à cette situation ?
BFN : Cette année, ça alerte tout le monde, mais ce n’est pas cette année qu’il faut essayer de résoudre le problème parce qu’on sait que c’est une situation qui s’est installée depuis 30-40 ans.
Les études ont été faites. Beaucoup de données existent. Ce qu’il faut, c’est certainement de ne pas chercher seulement à résoudre le problème cette année, sinon les années suivantes, on va encore tomber là dans. C’est de poser des actes durables, d’aller carrément pour que le fleuve Niger puisse être traité de façon durable, pour que tout ce qu’il nous donne puisse être durable. C’est dans ça qu’il faut réfléchir et trouver les solutions. Ce sont des actions d’envergure qu’il faudra mener.
Au niveau de l’Agence du bassin du fleuve Niger, il y a beaucoup de projets qui sont là, mais les coûts aussi sont là, parce que ce n’est pas des petits travaux. Il faudra penser à des actions de curage du fleuve à Bamako. Là, c’est vraiment encombré. Le fleuve ne doit pas y avoir ce visage-là. Il y a forcément des actions de curage à faire. Il faudra réfléchir à avoir des berges.
Les Echos : Qu’avez-vous comme dernier appelle ?
BFN : Je lance cet appel à tout le monde : le fleuve Niger est une ressource pour le Mali et pour les Maliens. Il est important que tout le monde comprenne cela. Que sa gestion, sa sauvegarde n’incombent pas seul à l’Etat, à une structure. Il faudra que l’ensemble des riverains maliens comprenne, qu’ils réfléchissent sur les actes qu’ils posent, si ça va avoir des impacts sur le fleuve ou pas.
On peut dire qu’on est un peu loin du fleuve. On peut sortir les déchets et on les jette quelque part. Mais, il faut que nous ayons en tête que tout ce que nous jetons va finir dans le fleuve, parce que ça va rentrer dans les égouts, après ça va couler et comme tous les collecteurs d’égouts mènent sur le fleuve.
C’est bon aussi que nous ayons des comportements environnementalistes, pour dire qu’il y a de petits gestes qui comptent beaucoup. On avait fait beaucoup d’actions pour enlever les plantes nuisibles dans le fleuve, mais si on les enlève deux ou trois mois, ils repoussent parce que ces plantes vivent aussi de cette pollution qui quitte les ménages. Les eaux usées domestiques sont aussi connectées au fleuve.
Entretien réalisé par
Mariam Coulibaly
les echos