La démocratie n’est pas un mot figé, mais un chantier vivant. La démocratie n’est jamais donnée une fois pour toutes. Elle est toujours à construire, à corriger, à défendre.
La démocratie est un système politique dans lequel le pouvoir émane des citoyens. Mais au-delà des mécanismes électoraux, la démocratie c’est aussi le respect de l’État de droit et l’existence de contre-pouvoirs indépendants. C’est un équilibre entre des institutions légitimes et une culture citoyenne vivante, où la critique n’est pas une menace mais une promesse de progrès.
Quant à la gouvernance, il s’agit de la manière dont l’autorité est exercée pour gérer les affaires publiques. Une bonne gouvernance suppose des dirigeants responsables, transparents et redevables, capables d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques au service du bien commun.
Ces deux notions – démocratie et gouvernance – sont intimement liées et forment le socle du développement humain durable. La démocratie crée un environnement favorable aux progrès sociaux. Inversement, une gouvernance défaillante sape la démocratie et brise cet environnement propice, engendrant défiance et stagnation.
Le 26 mars 1991, une nouvelle page de notre Histoire s’écrivait en lettres de sang pour que le Mali puisse accéder à la démocratie, et la IIIe République naquit.
Aujourd’hui, certains accusent la démocratie d’avoir échoué. Je ne le crois pas. Je crois que nous avons sous-estimé les exigences de la démocratie. Et que nous avons encore à la parfaire.
I. Ce que la démocratie nous a apporté – Rendons justice au parcours accompli
La démocratie a d’abord été pour nous un espace conquis. Elle fut arrachée dans le tumulte de l’Histoire, portée par des voix, des luttes, des sacrifices. Ce que nous avons conquis par l’instauration d’un système démocratique au Mali, c’est :
• la liberté d’association, d’expression, de presse ;
• le droit de vote, la pluralité politique, l’alternance pacifique du pouvoir ;
• l’existence de contre-pouvoirs : justice constitutionnelle, société civile, médias.
La démocratie a permis au Mali de libérer ses énergies vives. Elle a permis aux jeunes de s’engager, aux femmes de s’affirmer, aux idées de circuler.
Ces trente dernières années, nous avons connu des avancées réelles et sans être exhaustif, permettez que je cite :
• le développement des centres de santé communautaire et de référence, hôpitaux nationaux et régionaux ;
• l’instauration de l’Assurance Maladie Obligatoire ; logements sociaux, couverture en eau potable, l’accroissement de la capacité énergétique et des infrastructures télécoms et couverture TV-FM ;
• le triplement du taux de scolarisation ; multiplication écoles et lycées, structures de formation des enseignants ; infrastructures universitaires, financement de la recherche ;
• la loi d’orientation agricole, équipements, augmentation de la production de riz grâce aux subventions et aménagements hydro-agricoles ;
• l’expansion des routes, construction de ponts dont Kayes, Gao, Bamako ;
• le lancement du barrage emblématique de Taoussa et des infrastructures y attenantes ;
• le développement sans précédent des infrastructures sportives, culturelles ;
• l’essor du secteur privé national ; dispositif pour l’emploi des jeunes.
Ces progrès ne doivent pas être effacés de la mémoire collective, d’autant plus que notre peuple en est le vrai artisan. Ce n’est pas la démocratie qui a empêché le développement, c’est elle qui a rendu ces progrès possibles. Certes, tout n’a pas été parfait – loin s’en faut, entre autres en matière d’école, jeunesse et emplois, de défense et de sécurité, de gouvernance.
La question de la sécurité ne peut être contournée. Car il ne peut y avoir de démocratie véritable sans sécurité, tout comme il ne peut y avoir de sécurité durable sans démocratie. La démocratie oblige l’Etat à se défendre avec la loi, à protéger en rendant des comptes, à reconquérir le territoire avec et pour les populations.
Il nous faut donc penser ensemble la refondation démocratique et la refondation sécuritaire comme les deux faces d’un même impératif national : celui de garantir la souveraineté, la dignité, et la paix durable dans tout le pays.
Sur la défense et la sécurité, au-delà du soutien indéfectible à nos Forces de défense et de sécurité, je suggère un processus de livre blanc pour mettre fin aux narratifs, conduire à leur institutionnalisation comme objet de consensus indispensable à une république et à une démocratie.
II. Pourquoi notre démocratie s’est fragilisée – Un diagnostic lucide et équilibré
Je ne crois pas que la démocratie ait échoué. Je crois que nous avons, collectivement, sous-estimé ce qu’elle exigeait pour s’enraciner et durer.
Nous avons négligé la construction du citoyen démocratique. La démocratie n’a pas irrigué les comportements quotidiens, ni les pratiques sociales ordinaires. Le vote est resté un acte ponctuel, Il faut reconstruire une culture démocratique parce que la culture démocratique, c’est le terreau sans lequel les institutions ne tiennent pas.
Le système électoral a manqué de crédibilité. La justice a manqué d’exemplarité. La décentralisation est restée incomplète.
La gouvernance n’a pas su incarner l’éthique de l’intérêt général. La délinquance financière, la gestion opaque, les pratiques de prédation se sont installées dans l’impunité. Il est impératif de rétablir la chaîne de responsabilité.
Le dialogue politique a été trop souvent instrumentalisé, utilisé comme un mécanisme de contournement ou de légitimation, plutôt qu’un espace sincère de construction collective.
Il faut des acteurs politiques responsables, qui acceptent la défaite électorale comme un temps de reconstruction, la victoire comme une charge, et la gestion comme une mission. La démocratie ne peut non plus exister sans une justice indépendante, accessible et crédible. Elle a été perçue comme une promesse sans effets et l’État a laissé le citoyen seul, désarmé, devant un système qu’il n’a pas toujours compris.
III. Que faire maintenant ?
Dans la crise que nous traversons, ce n’est pas la démocratie qui est en cause. C’est la fiabilité de nos institutions et le manque de confiance. Il s’agit donc de poursuivre et renforcer notre processus démocratique afin de créer les conditions d’un nouveau progrès démocratique. Il nous faut refonder notre démocratie de l’intérieur à partir de nos réalités, de nos forces et de nos aspirations.
Je propose donc un pacte autour de quatre piliers :
1.le renouveau de la démocratie
Refonder nos institutions, en les rendant plus lisibles, plus accessibles, plus redevables. Réconcilier le citoyen avec l’État, redonner sens à l’idée même de représentation, clarifier le rôle des pouvoirs, renforcer les contre-pouvoirs.
Au total, déployer des Institutions sur lesquelles chaque Malien doit pouvoir compter pour défendre ses valeurs, ses droits et faire prendre au pays les bonnes directions ; des institutions qui doivent inspirer à chacun l’envie de les servir, de les respecter et de les défendre.
2. le renouveau de la politique
Il faut repolitiser la politique, la recentrer sur le débat d’idées, sur la confrontation des projets, le culte de l’intérêt général.
Réconcilier le politique avec la société, restaurer l’autorité morale de la fonction politique, moraliser la vie publique, c’est travailler à ramener la politique à ses lettres de noblesse, à rétablir la transparence et le respect de son vote au citoyen malien, à donner au paysage politique les couleurs permettant la compréhension des différentes visions et des projets pour notre pays.
3. Le renouveau citoyen
Il faut des citoyens conscients, des citoyens qui ne se contentent pas de voter, mais qui surveillent, questionnent, proposent. Des citoyens qui se sentent responsables de leur environnement. Il s’agit de faire émerger un citoyen actif, informé, critique, engagé. La jeunesse est au cœur de ce renouveau citoyen.
L’unité du peuple et la justice sociale sont des conditions indispensables à la solidité de la société et de ses institutions. Aussi, la cohésion sociale doit s’articuler autour de trois axes : développer la citoyenneté ; assurer à chaque citoyen l’accès au savoir, aux soins de santé, à la création et à la distribution de la richesse nationale ; assurer l’accès à l’emploi et à la protection sociale. Une charte de la Cohésion sociale pourrait être élaborée dans ce sens.
4. Le renouveau de la gouvernance
Mettre fin à la confusion entre service public et pouvoir personnel, intégrer la reddition de comptes, promouvoir l’efficacité administrative. La gouvernance, ce n’est pas seulement gérer, c’est servir, agir pour le bien commun, et non pour des intérêts privés ou corporatistes.
La décentralisation doit avoir un contenu stratégique axé sur un véritable aménagement du territoire, intégrant une cartographie des besoins, des ressources et des dynamiques régionales. Il s’agit de faire émerger des pôles régionaux et locaux de croissance et de développement.
Le chantier est vaste et complexe. Et pour structurer ce chantier dans la durée, nous devons progresser avec la quête de notre modèle démocratique que les différents foras et autres concertations n’ont pas dessiné.
Je propose la mise en place d’un Haut Conseil de la Refondation démocratique, instance nationale, inclusive et transversale, composée de représentants des partis politiques, de la société civile, des femmes, des jeunes, des autorités coutumières et religieuses, des universitaires, des Maliens de la diaspora, des opérateurs économiques, et d’anciens hauts responsables de l’État.
Ce Haut Conseil aura pour mandat, pendant deux ans, de :
• conduire une réflexion de fond sur l’état de notre démocratie ;
• animer un large dialogue national, participatif, incluant toutes les régions, et toutes les sensibilités du pays ;
• proposer une Charte du Renouveau démocratique, issue de cette démarche collective ;
• formuler des propositions de réformes constitutionnelles, institutionnelles, électorales, éducatives et sociales, à inscrire dans un agenda national de transformation.
Son objectif ne sera pas de remplacer les institutions existantes, mais de préparer les bases d’un nouveau contrat démocratique, fondé sur la vérité, la justice, l’inclusion et la projection vers l’avenir.
Dans l’immédiat, nous avons besoin d’un choc de gouvernance.
Le choc de gouvernance doit être un sursaut volontaire, profond, systémique. Il s’agit d’une transformation assumée des rapports entre l’Etat, les citoyens et la puissance publique. Ce choc doit se traduire par des gestes clairs : la réduction du train de vie de l’Etat, la rationalisation des institutions et des structures redondantes, la limitation stricte des avantages protocolaires, l’introduction et le renforcement de mécanismes indépendants d’évaluation et de reddition de comptes.
Il s’agit de restaurer l’autorité morale de l’action publique par des actes sobres mais forts. Il s’agit de montrer que le pouvoir n’est pas un privilège, mais une charge.
Dans cette optique, la société politique et la société civile doivent faire leur introspection. C’est un chantier de vérité, d’exemplarité, et d’efficacité publique.
La crédibilité se reconstruit dans la durée, par la constance, par la clarté des priorités, et par le respect des engagements. C’est cela, l’exigence du renouveau. Et pour que la confiance revienne, il faudra donner des gages, parce que le citoyen doit pouvoir constater que la gouvernance repose désormais sur la transparence, l’équité et la redevabilité. Le citoyen doit sentir que le respect de la règle est redevenu la norme, y compris au sommet.
Nous sommes à l’heure du courage politique et de la transmission
J’ai la conviction que la démocratie malienne peut se relever et doit se relever !
Nous ne repartons pas de zéro. Mais nous devons repartir avec d’autres repères, d’autres exigences, d’autres ambitions, un nouveau contrat entre l’État et les citoyens, entre les institutions et la société, entre le politique et l’éthique et l’adoption d’un agenda consensuel de sortie de crise durable.
Notre démocratie a besoin de courage moral, de patience refondatrice, de citoyens debout, d’une jeunesse engagée.
Elle a besoin que ceux qui ont porté le combat démocratique hier, le transmettent aux générations nouvelles.
Une œuvre nous attend. Une œuvre à poursuivre. Un pacte à réinventer.
Modibo Sidibé
Ancien Premier Ministre