À l’origine de la crise au Mali, se trouve un ensemble de questions. Pourquoi le Mali ne parvient-il pas à sortir de cette crise de cinquante (50) ans ? Cette rébellion est-elle une affaire malienne touarègue ou une lutte (de rivalités et de représentations) des «Noirs» contre les «Blancs» ? Cette insurrection fait-elle partie d’un héritage culturel ? S’agit-il d’un conflit d’autonomie ou un banditisme récurrent ? L’homogénéité de cette région qui cristallise de nombreux enjeux et mobilise de nombreux acteurs, pose-t-elle question ? Qu’en est-il du territoire et du peuple touareg ? Pourquoi, après la signature des différents accords de paix, la rébellion a-t-elle repris ses activités ? Ces questions ont suscité parmi les chercheurs, les politiques, les «experts» et les «spécialistes» de longs débats qui rebondissent à chaque rébellion.
Au Mali, la fracture commencée, en 2012 est née, il, de la rencontre de facteurs de géopolitique interne et externe, au-delà d’une lecture purement internationale de la crise (souvent trompeuse). N’y a-t-il pas un phénomène d’usure des institutions dont l’immobilisme de la présidence d’Amadou Toumani Touré (ATT) a été le symbole et l’illustration ?
L’atmosphère de «fin de règne» a encore été assombrie par la corruption, le népotisme et la kleptocratie qui caractérisent la classe politique. Par ces failles se sont introduits deux (02) puissants voisins dont l’influence tutélaire et délétère s’est longtemps contrebalancée. Elles ont rempli les béances ouvertes dans le territoire national par «l’archipellisation de l’État» comme l’a signalé Pourtier (chercheur et universitaire français)
La chute de Kadhafi a produit un vide dans le Sahel dans lequel se sont engouffrés tous les trafics et toutes les dissidences. L’Algérie, plus fragile que l’on croit, et qu’elle le croit, désireuse de protéger ses hydrocarbures (attaque d’In Amenas, en 2013), a préféré «fermer les yeux» sur le passage des «revenants» sur le long de ses frontière.
En le faisant, ceux-ci se sont dirigés vers le «ventre mou» du Sahel, le Mali. Les autorités du Niger, en pleine reconstruction, n’ont pas agi autrement. Le Tchad, lui qui relève d’une longue guerre civile, a également clos ses frontières et le Mali était donc la seule issue.
Il était évident que l’effondrement du régime de Kadhafi aurait des répercussions dans toute la bande sahélo-saharienne. Pour autant, Amadou Toumani Touré, le président malien de l’époque avait évoqué, lors d’un voyage au Mali-Nord dès le début du conflit libyen, les effets collatéraux de cette crise, craignant ainsi le risque de déstabilisation de son pays et de toute la région.
Certes, l’intervention en Libye n’est toutefois pas le seul facteur qui a poussé la zone sahélo-saharienne vers les crises. D’autres, plus anciens et profonds (marginalisation, crise climatique, insécurité, trafics en tout genre…) seront évoqués dans ce travail. Du coup, la présence des trafiquants et celle d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), en connexion avec les rebelles touaregs, a beaucoup contribué à affaiblir le pouvoir: «la chute de Kadhafi a été l’élément catalyseur pour déclencher la crise, mais tous les facteurs de cette crise étaient déjà réunis, depuis longtemps», observe Amandine Gnanguènon, chargée d’études à l’Institut de recherches stratégiques de l’École militaire-IRSEM (Le Monde, 4: 2012). Autrement dit, la faiblesse de l’Etat, laissant le champ aux acteurs mafieux et terroristes a précipité l’offensive des rebelles touaregs du MNLA (dès 2011) qui se sont emparé progressivement de nombreuses villes au Nord.
Après la prise de Tin-Zawatan, à la frontière algérienne (décembre 2011), quelques semaines plus tard (janvier 2012), les grandes villes (Tombouctou, Gao, Kidal…) tombèrent aux mains des rebelles et de leurs alliés narco-djihadistes, presque sans combattre. Cette série de défaites a achevé de discréditer le chef de l’État malien (de plus, ancien militaire) dont la réaction tardive et la mauvaise communication (en refusant de dire la vérité) ont renforcé les doutes et les suspicions de ses compatriotes sur la capacité du pouvoir central face aux attaques des rebelles qui avaient mis en déroute l’armée. Ce récit illustra la manière dont la rébellion touarègue est arrivée à occuper une place capitale dans le débat politique malien et les relations intercommunautaires au Nord.
Face à cette situation, l’opinion nationale malienne n’a cessé de critiquer la stratégie de défense adoptée par l’armée et pressa le président Touré de s’expliquer sur la crise. Ainsi, au-delà de cette dimension, nous apporterons une analyse géopolitique approfondie d’un des plus anciens conflits de l’Afrique de l’ouest; puisque c’est en 1963-64, il y a cinquante (50) ans, qu’a éclaté le conflit touareg au Mali. Ce conflit que certains experts appellent la «question touarègue» ou encore «le problème du Nord» pour les Maliens, n’est pas nouveau, mais il se pose aujourd’hui en des termes qui sont maintenant clairs: une revendication à la fois territoriale, autonomiste et séparatiste.
Pour autant, l’effondrement du Mali a «surpris» la plupart des médias, au printemps 2012 alors que c’était le «bon élève» de l’introduction de la «bonne gouvernance» et de la décentralisation en Afrique subsaharienne sous la férule paternelle d’un président, ancien officier général, qui se réclamait de l’application de la démocratie.
Le putsch de 2012 a été le coup de boutoir supplémentaire qui a entraîné l’effondrement d’un édifice dont les fissures étaient camouflées par un vernis démocratique. Dans un contexte régional nouveau, nous verrons comment le dernier choc des rebelles était grave, plus fort et de nature différente des précédents. Cependant, le coup d’État n’est pas nouveau au Mali, c’est le troisième du genre depuis l’indépendance du pays, en 1960.
Abdoulaye TAMBOURA
Inter De Bamako