Elles sont nombreuses à avoir subi des atrocités lors des attaques terroristes contre leurs localités au centre et au nord du Mali, entre 2012 et 2019. De Yoro, à Gatji, en passant par Koulogo peulh, dans la région de Mopti, jusqu’à Gao, ces femmes, à la fois victimes et héroïnes de la crise, ont connu le pire. Malgré les séquelles, elles ont accepté de témoigner lors de la 4ème audience publique de la Commission vérité, justice et réconciliation (Cvjr), tenue le samedi 18 septembre, au Cicb.
Une charrette transportant des femmes à la recherche de nourriture pour leurs maris et enfants est réduite en pièces détachées par un engin explosif improvisé à Yoro. «C’était le 17 juin 2019 à Yoro, dans le cercle de Koro, à Mopti. Après la pluie, nous nous sommes rendus au champ pour semer. Vers 15 heures, beaucoup sont retournés à la maison. Des individus en tenue, sur des motos, sont venus encercler le village. Certains ont donc préféré rester dans leurs champs. De 16 heures jusqu’à 20 heures, des tirs nourris retentissaient dans le village. Les hommes étaient ciblés. Comme il faisait nuit, nous avons pensé qu’ils se sont retirés, mais ils étaient aux alentours. Ils attendaient le matin pour en finir avec tout le monde. On avait fait appel à nos militaires qui étaient à 25km de Yoro. Et c’est le lendemain à 11h qu’ils sont venus, mais il y avait eu une autre attaque à Gankafani 2. Ils ont continué sur là-bas. Les terroristes nous attendaient vers le cimetière. Quand nous sommes arrivés avec nos morts, ils ont repris les tirs. C’était le sauve qui peut. Beaucoup de gens n’ont pas été enterrés. Comme nous ne sommes pas loin de la frontière, beaucoup sont partis par le Burkina, les autres ont suivi les militaires. On est resté 17 jours à Dinangourou. Après notre retour, il n’y avait plus de famille à Yoro. Bétails, céréales et biens, tous emportés. Ils ont brûlé tout. Même le marché, le centre de santé, raconte Oumarou (nom d’emprunt), un témoin qui garde toujours le traumatisme de ce qu’il a vécu.
D’après lui, c’était la désolation depuis que les militaires leur ont annoncé qu’ils vont partir après plusieurs jours d’échanges de tirs entre eux et les ennemis. «Les femmes sont allées supplier les militaires ne serait-ce que de les accompagner jusqu’à la frontière burkinabé. Ils ont dit que ça ne fait pas partie de leurs missions. Ce jour, on a enterré deux personnes à cause de la déception. Les militaires sont partis et les plus jeunes ont dit que ça ne sert à rien de fuir, qu’il vaut mieux rester mourir chez eux comme leurs parents que d’aller mourir ailleurs, car ils vont les traquer. On est resté dans ces conditions, des nuits blanches, sans nourritures ni assistance. Les femmes sortent la journée pour aller chercher de la nourriture jusqu’au Burkina. Ce sont elles qui sortaient avec les charrettes pour aller quémander afin de venir nous nourrir. Nous les hommes restions avec les enfants dont beaucoup sont tombés malades à cause de la famine. Et avec le Cscom brûlé, il n’y avait plus de médicaments et les remèdes traditionnels qu’on pouvait avoir sont dans la brousse. Là-bas, il y a les terroristes. Chaque jour, un enfant mourait. Un jour, les femmes sont parties chercher de quoi manger. De loin, on a entendu un grand bruit. Leur charrette venait de monter sur une mine. C’est 3 jours après que les habitants d’un petit village à côté de nous sont venus avec un petit bébé. C’était le seul survivant. On est allé ramasser les parties des corps dans des sacs pour pouvoir les enterrer. Après, les terroristes sont venus pour nous dire qu’ils veulent faire la paix avec nous».
À Yoro, les terroristes font la loi. C’est la charia ou tu quittes la ville.
«Ils prennent nos femmes, nos mamans, et les frappent devant vous car ce sont eux qui font la loi. On nous matte devant nos enfants, nos femmes. C’est eux qui se promènent avec des fusils entre nous. Souvent ils amènent nos femmes dans leurs cours, sous nos regards impuissants. Là où je suis, je ne sais pas dans quel état se trouvent ma femme et mes enfants. On n’a personne pour nous aider».
De l’enlèvement au viol, Korotoumou explique les faits
«À cause de sa beauté, ma maman a fait un an avec les terroristes, ils l’ont tripotée». Korotoumou Sangaré, 28 ans, est mariée et mère de 3 enfants. Elle raconte le calvaire qu’elle et ses sœurs ont vécu après l’enlèvement de leur maman par des hommes armés en 2012, à Gatji, une commune de Youarou, dans la région de Mopti.
«Un lundi, les terroristes sont venus attaquer notre village, aux environs de 11heures. Ils se sont dirigés vers notre famille. Devant la porte, ils m’ont demandé où se trouve ma maman. Ils sont rentrés et l’ont embarquée devant moi et mes sœurs. Notre maman a été seulement victime de sa beauté physique. À l’époque, ils enlevaient les belles femmes pour les donner en mariage forcé. Deux semaines après, nous avons rejoint Niono, avec l’aide des gens. Moi et mes sœurs étions dans une chambre que j’ai prise en location. Je me promenais de porte en porte pour des travaux domestiques, afin de survenir à nos besoins».
Triste retrouvaille!
«C’est un an après qu’on a pu voir notre maman. Un soir, lorsque nous étions assises dans la cour, nous voyions rentrer notre maman. Elle était méconnaissable, très malade. Ils l’ont tripotée et se sont débarrassés d’elle. Elle nous a fait savoir que c’est quelqu’un qui travaille avec ses gens-là qui l’a aidé à nous retrouver. Depuis ce jour jusqu’à sa mort, elle n’a pas retrouvé la paix. De Niono à Bamako, nous nous promenions d’hôpital en hôpital. On a fini à Luxemburg. Difficile pour des personnes démunies comme nous de se faire soigner dans cet hôpital. On a fait 4 mois là-bas grâce aux soutiens de mon mari, des bonnes volontés et la Cvjr à travers l’Anam. On ne payait pas le loyer et les analyses médicaux. Un mois après avoir été libérée de l’hôpital, sa maladie a rechuté et elle a finalement succombé à Niono. Et depuis, c’est mon mari et sa famille qui nous prennent en charge».
«Ma seule fille qui m’aidait à supporter les charges de la famille a été victime d’un tir d’obus»
Hawa Doumbia, 56 ans, est veuve et mère de 2 enfants, une fille et un garçon.
Elle raconte : « En 2014, un dimanche matin à Gao, ma fille divorcée et ses enfants vivaient avec moi, étudiante dans une école de santé. Ce jour, elle préparait son examen du lundi. Tôt le matin, elle est montée à l’étage pour apprendre ses leçons. Au même moment, je sortais pour le marché. À quelques pas de la maison, j’ai entendu un bruit et puis boom. L’on ne voyait que de la poussière. C’était des tirs d’obus. L’un est tombé chez moi, et l’autre chez un voisin. Ma fille a été touchée au pied. Après quelques jours à l’hôpital, ils ont finalement coupé son pied. Le CICR nous a beaucoup soutenus. Une fois à la maison, le 2 mai, il faisait très chaud. Elle se plaignait de la chaleur jusqu’à ce qu’elle est tombée. Je lui ai donné ses médicaments, mais son état ne s’est pas amélioré. On était sous couvre-feu. On a attendu le matin de bonheur pour l’amener à l’hôpital. C’est à la porte de l’urgence qu’elle a rendu l’âme. Je n’ai plus d’espoir», a-t-elle avoué, fondant en larme.
Fousseyni Diallo et Binta Dembélé ont fait un témoignage collectif sur leur village, attaqué le 1er janvier 2019. Il s’agit de Koulogon-Peulh, dans la région de Mopti.
«Le chef du village et une trentaine de personnes calcinés»
«Vers 5heures du matin, après la prière, nous avons entendu des tirs lorsqu’on était dans la mosquée. Des gens couraient dans tous les sens. Nous avons demandé aux femmes et aux enfants de rentrer dans les maisons. J’ai appelé le chef du village par téléphone et il m’a fait savoir que des militaires doivent venir de Bankass. Ce n’est jusqu’à 8heures que les tirs ont cessé. Je suis sorti pour constater et je voyais les soldats qui arrivaient. Nous nous sommes dirigés vers la maison du chef de village. Sur place, des gens brûlés sous le hangar ; plus d’une trentaine, dont le chef du village. Après l’assurance du président qui avait demandé aux militaires de rester nous garder pendant un an et 4 mois, l’armée a plié bagage. Depuis, tout le monde s’est dispersé», a expliqué Fousseyni Diallo.
Un nourrisson d’une semaine a brûlé vif
«Nous nous apprêtions à nous lever ce jour, car c’était le baptême de mon nouveau-né. Lorsqu’on a entendu des tirs, j’ai dit à mon mari de rentrer dans la chambre avec les 5 enfants. Au moment où je voulais sortir, une balle, à travers la porte, m’a touché au niveau du pied. C’était eux devant notre porte.
Ils ont défoncé la porte de la véranda, où j’étais avec le bébé. Ils m’ont demandé où se trouve mon mari, j’ai aussitôt répondu qu’il est parti hier sur le site d’orpaillage. Ils m’ont pris par la main et m’ont jeté dehors. Je suis retourné pour mon petit bébé qui dormait sous la moustiquaire. Je le voyais faire sortir une bouteille de boisson et un briquet. Ils ont mis le feu à la moustiquaire. Je les ai suivis jusqu’à la mosquée, à l’intérieur, quelques fidèles dont mes beaux-frères. Ils leur ont tiré dessus devant moi. Pire, ils ont coupé l’appareil génital d’un de mon beau-frère agonisant et l’on emporté. Je suis retourné à la maison pour défoncer la fenêtre de la chambre et aider mon mari à faire sortir les enfants. Pour mon bébé, c’était trop tard. Le feu avait consumé la véranda. On n’y pouvait plus rien faire. Soudain, les militaires sont arrivés…»
Moussa Sékou Diaby
Source: Tjikan