Le franco-malien Yohann Sangaré nous a reçus chez lui à Lyon (France) après notre demande d’interview exclusive pour parler de sa carrière et des liens qu’il a aujourd’hui avec le Mali, pays de ses origines. Dans cette interview, Yohann s’est livré sans retenu en évoquant tous les sujets. De sa privée en passant par ses ambitions pour l’équipe nationale du Mali, Yohann Sangaré a dit tout. Lire plutôt l’interview !
L’Express de Bamako : Bonjour Yohann Sangaré, merci de nous recevoir chez toi ici à Lyon.
Yohann Sangaré : Bonjour, c’est avec plaisir.
L’Express de Bamako : Quelle est aujourd’hui l’actualité de Yohann Sangaré ?
Yohann Sangaré : Bien, il y a beaucoup d’actualités me concernant. Dans ma vie personnelle, je suis devenu Papa d’une petite fille qui s’appelle Maïmouna Sangaré, un nom typiquement malien (rire) et puis sur le plan professionnel, je suis de retour à L’ASVEL (Pro A) au club de Villeurbanne où j’ai signé une contrat de trois ans et pour le moment tout se passe bien. Ensuite, je suis passé président de l’association GIVING BACK, c’est encore plus de responsabilité, voilà à peu prés l’actualité de Yohann Sangaré.
L’Express de Bamako : Vous dites être de retour à ASVEL, comment ce retour s’est-il passé ?
Yohann Sangaré : Il se passe très bien, c’est vrai que j’avais laissé une bonne image de moi lors de mon dernier passage dans cette équipe de 2004 à 2008 ou j’avais été nommé «ALL STAR» trois fois de suite, accédé à l’équipe nationale de France et gagné la coupe de France avec le club. C’est ensuite que je suis allé en Italie et tout le monde attendait mon retour à l’ASVEL, parce que c’est le club avec lequel j’ai grandi, donc je suis de retour et je vois que les supporteurs sont très contents et puis petit à petit je retrouve mes sensations et les résultats de l’équipe commencent à bien suivre, donc je peux dire que tout se passe bien.
L’Express de Bamako : Vous êtes un cadre du championnat français Pro A, je voudrais savoir comment vous parvenez à conjuguer la vie professionnelle de haut niveau et votre vie de famille ?
Yohann Sangaré : Ben, j’ai eu mes enfants très tôt. J’ai eu ma première fille à 19 ans, donc j’ai toujours eu des responsabilités familiales et puis c’est une source de motivation. C’est vrai que lorsqu’on est joueur professionnel on est sollicité de partout, certains joueurs ont souvent tendance à prendre la grosse tête, mais le fait d’avoir une vie de famille permet de rester sur terre et de voir les choses du bon coté. Le week-end je peux marquer vingt (20) points et être acclamé par tout le public, mais le dimanche je suis obligé d’amener mon fils à son match de basketball ou amener simplement mes enfants à l’école le lundi, ou que je change des couches, donc automatiquement je deviens le Yohann Sangaré à la maison. Au fait, moi, ma famille a toujours été pour moi une source de motivation dans les moments difficiles, je me suis toujours accroché à ma famille en me disant qu’il fallait que je réussisse et puis on a toujours envi d’être fier devant ses enfants et d’être un exemple, en un mot la famille me permet de rester sur terre.
L’Express de Bamako : Vous êtes un joueur Français qui a joué avec l’équipe nationale A de la France, mais vous avez des origines maliennes, alors quel est le lien qui existe entre Yohann et le Mali aujourd’hui ?
Yohann Sangaré : Des liens très forts. C’est vrai que je suis né en France, mais nous ne sommes pas toujours considérés comme des français. Depuis notre petite enfance, on me le disait mais vous êtes malien ? C’est dans ce cadre que je me suis intéressé au pays et pour la première fois en 2000 ou 2001, je suis parti au pays et depuis presque chaque année je vais pour faire des œuvres humanitaires. J’avais monté mon école de Basketball aussi au Mali en un moment et puis en plus j’ai toute ma famille là-bas que j’ai appris à connaître. Aujourd’hui, je me sens tout aussi malien que français.
J’ai joué avec l’équipe de France en 2007 je crois, puis après j’ai voulu que l’équipe de France me permet de jouer avec le Mali à travers une demande de lettre de sortie, mais les responsables n’ont pas voulu me lâcher cela a trouvé que j’avais même fait des entrainements avec l’équipe nationale du Mali et j’avais même fait des matches amicaux, mais je ne pouvais pas faire de match officiels, parce que simplement je n’étais pas libéré par la France. Mais maintenant, c’est le cas et tout ce que j’attends c’est un projet solide pour pouvoir jouer sous les couleurs du Mali un jour.
L’Express de Bamako : Cela me permet de poser cette question que beaucoup de maliens attendent la réponse depuis des années : votre retour en équipe nationale du Mali, mais vous venez de parler de projet solide, qu’est ce que vous voulez dire par là ?
Yohann Sangaré : Bien, je pense que ce qui empêche les joueurs professionnels d’origine malienne à venir jouer pour le Mali c’est que dans les années précédentes en termes de préparation pour l’Afrobasket et autres compétitions majeures, il n’y avait aucun effort dans l’organisation. Et ces joueurs auraient aimé avoir de meilleures préparations. C’est vrai qu’ils sont des joueurs de haut niveau, mais pour être performant, il faut les meilleures conditions de travail. On ne peut pas se dire que voilà Amara Sy ou Yohann Sangaré, les convoquer comme ça sans aucune condition de préparation et s’attende à ce que le Mali gagne. Le basket, c’est un sport d’équipe, c’est tout un travail d’équipe qui doit se faire en amont.
Quand je dis équipe, ce sont les 12 joueurs plus le staff technique et la fédération. Je me souviens que lors de certains regroupements les joueurs professionnels arrivent trois jours avant l’échéance, dans ces conditions on ne peut pas faire une bonne compétition.
L’Express de Bamako : Il y a eu des changements au niveau de la fédération avec l’élection de Me Jean Claude Sidibé, est ce que vous êtes en contact avec cette nouvelle équipe de la fédération pour revoir ces manquements ensemble ?
Yohann Sangaré : C’est vrai que j’ai eu quelques contacts et puis j’ai eu Sylvain Lautié au téléphone une fois, mais c’était pour savoir si je suis avec l’équipe de Villeurbanne. En ce moment j’avais des matches très importants avec l’équipe, j’ai pas pu aller à son rendez-vous, mais j’ai toujours laissé la porte ouverte pour l’équipe nationale du Mali. Je viendrai quant il y a un projet solide, parce qu’il ne s’agit pas juste de participer à l’Afrobasket, mais de pouvoir représenter le pays de la meilleure des manières. Des fois, il ne faut même pas aller, moi si j’y vais, c’est pour gagner ou faire un résultat.
Je vois qu’il y a eu de beaux exemples au football ou autre, je vois que la Côte d’ivoire, lorsqu’elle a gagné la coupe, cela a pu unir les gens et je pense qu’au Mali aujourd’hui, on peut écrire une belle histoire. Cela sera dommage de gâter tout ça pour une question de mauvaise organisation et le fait que quelques joueurs refusent de comprendre qu’on ne vient pas en équipe nationale pour juste figurer.
L’Express de Bamako : Justement sur ce sujet, le Mali a été victime lors de l’AFROBASKET 2013 ou beaucoup de cadres ont refusé de venir et le résultat était décevant (15 sur 16 participants), alors est-ce que vous échangez entre vous joueurs professionnels d’origine Malienne, je pense notamment à Amara Sy ?
Yohann Sangaré : C’est sûr qu’on en parle. On en parle tous les jours. C’est vrai que nous sommes en France, nous nous préoccupons beaucoup de l’équipe nationale. En 2013, contrairement à ce que les gens pensent, nous suivions de prés l’évènement et nous avons tous été affectés par la tournure de la compétition. C’est justement pour cela que Amara et moi avons discuté pour réunir nos forces pour venir donner ce qu’on peut à l’équipe nationale, mais jusque là toujours, c’est le tâtonnement. On ne sait pas qui est l’entraineur jusqu’à la dernière minute. C’est ça qui nous pose problème.
L’Express de Bamako : Alors est-ce qu’aujourd’hui il y a une possibilité de faire revenir tous ces joueurs et renforcer l’équipe nationale et facilité la tâche à Me Jean Claude Sidibé qui dit vouloir faire du basket malien une référence en Afrique ?
Yohann Sangaré : Oui c’est vrai, c’est une possibilité avec les autres joueurs, on a beaucoup parlé et je pense qu’on va le faire.
L’Express de Bamako : Pour revenir aux engagements humanitaires de Yohann Sangaré, vous l’avez dit tantôt, vous aviez créé une école de Basketball, qu’en est-il de cette école ?
Yohann Sangaré : Effectivement, après les événements de 2012 et la guerre qui s’en est suivie, j’ai fermé l’école pour des raisons de sécurité par rapport aux enfants. C’est vrai que j’étais pas sur place donc je ne pouvais pas laisser les enfants sans connaitre la situation, donc on a préféré laisser les enfants poursuivre leurs cursus dans d’autres établissements soit aux Etats-Unis ou dans d’autres pays, maintenant de la première expérience, j’ai tiré beaucoup de leçons avec l’autres écoles au Sénégal ou j’ai amené des jeunes joueurs maliens. Donc juste vous dire que le projet est toujours dans un coin de ma tête.
L’Express de Bamako : A l’issue de la première expérience, on le sait, un grand nombre de ces joueurs est parti aux Etat- Unis et en Europe, est-ce que tu es satisfait aujourd’hui ?
Yohann Sangaré : Je suis très satisfait, déjà quant on fait quelque chose au pays, c’est une satisfaction et puis quant on a la chance de pouvoir former des jeunes maliens afin de les permettre de devenir ce que nous sommes, c’est un plaisir. Il faut retenir que cette expérience a deux issues positives pour les jeunes : soit ils deviennent des joueurs professionnels ou au finish ils ont leurs diplômes. Dans les deux cas, cela permet d’aider la société à la base, c’est à dire la famille. Au fait, mon objectif n’est pas qu’ils soient forcement des joueurs professionnels, mais qu’ils soient utiles à la société.
L’Express de Bamako : Alors, au delà du Mali votre engagement humanitaire s’est étendu dans d’autres pays comme le Congo, le Niger, le Sénégal pour ne citer que ceux-ci et vous venez d’être nommé directeur de Giving Back, comment vous vivez cette expérience ?
Yohann Sangaré : C’est vrai, les gens pensent que ça va faire un gros changement. Il faut comprendre que j’étais vice-président depuis longtemps, donc j’avais des responsabilités de présidence. Mon ami Babacar Sy était assez pris, donc nous nous partagions les responsabilités. Aujourd’hui, il n a pas déserté l’association, mais il a un statut de consultant, il nous fait part de son expérience et surtout de comment il a pu gérer les choses pendant tout ce temps. J’étais à ses côtés depuis l’âge de 16 ans. Aujourd’hui, j’ai beaucoup appris avec lui c’est pourquoi la transition s’est faite de façon naturelle. C’est donc une continuité, maintenant il s’agit de passer à un nouveau stade avec beaucoup de projets. Il y a beaucoup de jeunes que nous avons formés et qui veulent rejoindre l’association donc on va le faire de la manière suivante. S’il y a un jeune Sénégalais qui veut aider des jeunes sénégalais, on l’aidera dans ce sens et idem pour les jeunes maliens.
L’association sera là pour tout coordonner. Aussi, ce sont les orphelinats que nous voulons continuer d’aider encore plus. Depuis un moment nous essayons de nous lancer dans ce domaine avec l’orphelinat de N’Bour au Sénégal qui s’est agrandi et qui peut accueillir plus d’enfants. On travaille avec les femmes de Thiaroye au Sénégal. Nous essayons aussi d’ouvrir les yeux à des joueurs d’origine africaine comme nous l’avons vécus. C’est vrai comme le dit Babacar Sy, on donne beaucoup mais on reçoit beaucoup à notre tour, par exemple lorsque moi je viens au pays et que je vois le sourire sur le visage de mes petits cousins et voir qu’on peut leur donner de l’espoir, cela n’a pas de prix.
L’Express de Bamako : Est-ce qu’il y a un point de regret aujourd’hui ?
Yohann Sangaré : Je pense qu’on ne peut pas avoir de regret. Toute est une leçon de vie, on apprend de ses erreurs. Je me dis qu’on aura quand même essayé, parce que souvent les gens ont la paresse d’essayer ou ils ont simplement peur en se disant que c’est trop compliqué. Cela n’est malheureusement pas notre mentalité. On se lance dans nos projets, si on réussit c’est bien, au cas contraire, on attend le bon moment pour le refaire avec les leçons. La collecte des fonds n’est pas facile mais on se fait avec. On essaie d’organiser des matches de gala, des soirées de Gala et on vend des tee-shirts Giving Back, c’est tout cela qui nous permet d’amener tout ce que nous apportons en Afrique.
L’Express de Bamako : Quel mot vous avez à l’endroit du peuple malien et au monde du sport en général ?
Yohann Sangaré : C’est vrai que nous avons suivi tout ce qui s’est passé au Mali. On était très inquiet par ce que nous avons toutes nos familles, moi particulièrement, j’ai une partie de ma famille à Bamako, mais j’ai aussi des parents dans le nord et puis on avait pas la vraie information, parce qu’en France tout le monde sait que les informations sont ciblées. Donc, on essayait d’avoir nos familles au téléphone pour avoir l’information, mais au delà de toute cette crise, je pense que le sport a sa place surtout si on pouvait redorer l’image du Mali à travers le sport cela serait une bonne chose. On a vu en 1996 comment le Rugby a unifié tout un pays en Afrique du Sud, comme je l’ai dit tantôt le cas de la Côte d’Ivoire et je pense que le basketball pourra être un facteur pour notre pays de s’unir et de se réconcilier.
L’Express de Bamako : Votre dernier mot pour terminer cet entretien ?
Yohann Sangaré : Je suis très content de te recevoir ici chez moi. C’est vrai que c’est pas tout le temps que nous avons des journalistes du pays pour dire ce que nous pensons du pays en général et du sport en particulier, donc je te remercie d’avoir pensé à moi et de faire le déplacement et j’espère qu’on se reverra pour de heureux événements au pays là-bas.
Réalisée par M. KONDO, depuis Lyon
Transcrit par Issa KABA
source : L’Express de Bamako